Chapitre un
Beaucoup d’écrivains, sinon tous, se sont déjà retrouvés dans la situation dans laquelle je me trouve en ce moment. Ce moment assez frustrant où on voudrait écrire, commencer une histoire, la finir… Mais rien ne vient. Nada. Quedal. On appelle ça » la page blanche « . Mais vous le saviez déjà.
Le hic, c’est que je dois rendre mon manuscrit dans une semaine. J’ai signé un contrat avec une maison d’édition pour un projet de nouvelles policières. J’étais sûr de pouvoir assurer cinq histoires bien ficelées, empreintes de mystère et d’énigmes compliquées. Mais là, il m’en manque une. Et inutile de vous dire à quel point je rame.
Quand je me retrouve dans cette situation, je dois avouer que mon humeur est exécrable. Un vieux chien bougon serait de meilleure compagnie. Pas étonnant que ma femme et ma fille aient décidé de partir ce week-end chez mes beaux-parents, dans le nord. Me voilà donc seul, face à cette page qui se remplit, certes, mais non pas avec une histoire qui fera date et contribuera à mon succès.
Quelqu’un vient de sonner à la porte. Quand je suis allé ouvrir, personne ne se trouvait sur le perron. Il y avait juste un paquet emballé dans du papier kraft. L’adresse est la bonne, mais pas le nom… Il n’y a aucun ʺJarvis Hunterʺ qui vit ici. Peut-être est-ce le nom du propriétaire précédant. Quand nous avons acheté cette maison, l’agent immobilier nous a dit que l’homme qui vivait ici avant a disparu, ne laissant aucune trace. Sa voisine (qui est aussi la nôtre, logique) s’étonnait de ne plus le voir depuis un moment. Elle savait qu’il sortait rarement, mais régulièrement quand même. Cependant, cela faisait deux semaines qu’elle ne l’avait plus vu. D’un naturel curieux, elle était venue frapper chez lui, en vain. Elle avait alors regardé par les fenêtres et elle était même entrée par la porte de derrière, l’appelant et profitant de l’occasion pour explorer ce lieu où vivait cet homme bizarre qu’on ne voyait presque jamais et qui n’adressait la parole à personne. Elle avait espéré ne pas sentir une odeur déplaisante avant de découvrir le cadavre de son voisin grouillant de vers. Mais au lieu de cette épouvantable éventualité, elle avait trouvé un lieu presque vide, au mobilier simple, sans décoration. A vrai dire, on aurait pu difficilement croire que quelqu’un vivait réellement dans ce lieu sans vie. Elle avait alors appelé la police, qui après enquête n’avait trouvé personne de sa famille. Personne ne semblait le connaître réellement. C’était comme si il n’avait jamais vraiment existé. Après de longues et infructueuses recherches, on avait alors mis la maison en vente et nous l'avions acquise pour une bouchée de pain.
Je suis donc allé trouver Madame Cuddle, notre chère et curieuse voisine, pour lui demander si elle connaissait un certain ʺJarvis Hunterʺ. Elle a fait des yeux ronds et m’a confirmé que c’était l’ancien maître des lieux.
Alors, j'ai ouvert ce paquet. Je me suis dit que si le véritable destinataire du colis revenait, je pourrais toujours dire que je n’ai pas vu de suite que le paquet ne m’était pas destiné. « Mensonge éhonté », me hurle ma conscience. C’est toujours mieux que de lui dire : ʺMonsieur Hunter ! Ça alors, vous n’êtes pas mort ? ʺ.
J’ai commencé par secouer la boîte. Il y a eu un bruit semblable à celui d’un grelot. J’ai déchiré le papier kraft qui recouvrait une boîte de carton scellée par du ruban adhésif. Après avoir lacéré celui-ci, je l’ai enfin ouvert et je me suis figé. Il y avait une tête de clown qui semblait me regarder du fond du colis. Une tête blanche, avec un sourire rouge sang et des petits yeux cernés de noir. Ses sourcils fins étaient arqués dans une arabesque grimaçante, le rendant malveillant plutôt qu’amical. Un bicorne rouge et noir couronnait le tout, avec un petit grelot à chaque extrémité. Cette petite tête de plastique avait dû appartenir à une poupée. Il faut être dingue pour offrir ce genre de poupée à un enfant… Moi, coulrophobe ? Peut-être. Je sais juste que je déteste les clowns. N’y voyez ici aucun traumatisme dû à un quelconque événement qui se serait passé dans mon enfance. C’est juste qu’on ne voit jamais vraiment qui se cache derrière le maquillage d’un clown. Un clown semble toujours sourire, même si en fait, sous son masque bienveillant, se cache un être nourri de mauvaises intentions. Il y aurait peut-être matière à débattre avec un psy, mais je vis très bien avec cette phobie. Sérieusement, on ne rencontre pas des clowns à tous les coins de rue. Je n’avais juste pas prévu d’en rencontrer un dans mon salon.
Il y avait un bout de papier plié en quatre à côté de la tête de Bozo. Je l’ai déplié. Un message, pas très amical : « Je t’ai enfin trouvé. Tu es mort. » Décidément… Qu’avait fait ce Jarvis pour recevoir ce colis si… déplaisant ?
Mal à l’aise, j’ai vite remis ces petites choses méprisables dans leur boîte et j’ai jeté celle-ci derrière le canapé, pour ne plus la voir. Je sais, j’ai parfois des réactions bizarres, mais sur le moment j’ai fait ce qui me semblait le mieux.
Ces événements m’ont donné mal au crâne. Pour ne rien arranger, j’ai l’impression d’étouffer. Il faut que je sorte un peu, que je me change les idées…
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