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Avais-je encore été infidèle à Liliane ? Techniquement oui enfin quasi, mais moralement non évidemment. Pourquoi me sentais-je alors un tantinet coupable ? Oui, pourquoi ? Parce que peut-être que de son côté, Liliane ne se gênait pas, elle avait bien fauté avec Lefut !

Au matin blême j’émergeai d’un sommeil de plomb encombré des corps de Delphine et de Pitou. Je m’extrayais du lit et vins à la baie vitrée contempler le paysage morne de cette ville triste. Ce ne serait pas aujourd’hui que nous aurions du soleil. Que faisais-je, là ? Dans quelle aventure m’étais-je encore embarqué ? Delphine allait-elle me gonfler avec des histoires de sentiments et me pourrir la vie, me faire payer la nuit câline ? La veille, je la trouvai adorable et au matin je me défiais d’elle. Chienne de vie !

Je m’aperçus de plusieurs messages sur mon phone. Liliane avait appelé dans la soirée et laissé un message touchant : « Mon Loulou, mon téléphone n’avait plus de batterie. J’espère que tout se passe bien pour toi. Tu me manques trop et aux filles aussi ; la vie est impossible sans toi, il faut que ça change, je ne le supporte plus. Je m’en charge. À ton retour on en parle, j’ai un projet, je t’expliquerai. Je t’aime, sois sage, évite les pouffes et les histoires. » Son « sois sage » me fit mal aux oreilles, comme si elle se doutait de quelque chose. Était-ce possible ? Je n’en croyais rien, étant discret comme une hyène ! Je suis un pro quand même, sans me flatter, ni me vanter.

Qu’est-ce que c’était encore que cette histoire de projet ? En fait j’étais agacé : je n’aime pas les surprises de Liliane, ni qu’on se mêle de ma vie. Qu’avait-elle encore en tête ? Probablement rien de bon !

En second un message de la petite Ilana : « Dis Doudou, c’est quand que tu rentres ? M’man est infernale, elle arrête pas de me gueuler dessus, c’est pas juste ! N’oublie pas de m’appeler, bisous ! ».

En troisième sa sœur Océane qui ne m’aime pas : « Loulou, j’espère que tu seras là pour les fêtes. On s’ennuie trop sans toi ! »

Cela me consterna totalement : les filles seraient chez leur mère pour les fêtes ? Mais pourquoi leurs paternels ne les prenaient pas ? Pourquoi ? Pourquoi moi ?

Je filai à la salle de bain tenter de me dissoudre dans l’eau de la douche. Rasé, branlé, parfumé avec mon after-shave citron, beau comme une racaille Française au RSA qui fait fondre la bourgeoise de gauche, je me préparai à affronter une nouvelle journée de merde.

— Dis, Lorenzo, tu prends quoi au petit déj ? Café ?

— Bah chocolat, céréales choco-grenouilles et orange pressée !

Delphine en resta baba.

— Tu me fais marcher ? Sérieux ?

— Quoi ?

— Comme les gosses ?

— Et alors ?

Elle vint à moi toute penaude et me fit le bisou du matin. C’est une douceur cette Delphine, un peu comme un loukoum à la pâte à tartiner.

— J’ai rien de tout ça… fit-elle. Je ferai les courses…

— Te casse pas pour moi…

— Tu vas rester la semaine, non ?

— C’est que…

— Mais quoi ? On s’entend bien ensemble, non ?

— Écoute Delphine… C’est compliqué… Rapport à ma femme…

— Mais… Tu l’aimes pas !

— Je l’aime pas ?

— Bah non ! J’ai bien vu que t’étais trop malheureux. Tu as besoin d’une femme qui t’aime !

— Toi ?

— Oui !

Elle me serait fort contre elle. Je tentai de me libérer, elle résista.

— Dis Delphine… Faut aller au boulot, non ?

— Oui… Tiens, une tartine !

— Sans rien ? C’est la misère ! Je vais m’étouffer avec ça.

— Lorenzo ! Il est pas possible ce mec ! T’es bizarre tu sais ? Je peux rien avaler le matin, alors j’ai rien… Mais demain… Faut aussi que je pense aux croquettes du chat...

— Delphine…

— On en reparle.

Elle se dirigea vers la salle de bain. Sur le pas de la porte, elle se retourna.

— T’inquiète pas… Je te collerai pas. J’ai l’habitude que les mecs restent pas… C’est ma vie.

— Tu peux me le refaire avec plus de trémolos dans la voix ?

— Va chier !

Je savais que ça n’allait pas être simple. Faut baiser de la salope mariée sinon on entre dans les complications sentimentales, les reproches, les larmes, les cris. Faut toujours casquer pour baiser.

Delphine se prépara tout en me parlant.

— Tu sais, avec toi, je crois que ce serait le bonheur.

— Mais nan…

— Si, j’te jure ! Pour moi, c’est une évidence.

— Je suis trop vieux pour toi. Faut arrêter le délire, nous deux c’est impossible...

— Bah, tu vois, je croyais ça aussi. Mais à la réflexion, je me dis qu’en fait je me suis toujours gourée à chercher des mecs de mon âge. Ce qu’il me fallait, c’est un mec comme toi, avec du vécu.

— Ah bon ?

— Oui. Au pieu par exemple…

— Quoi ?

— Bah, tu m’as fait découvrir des trucs… Je ne dis pas que j’ai aimé… enfin, c’était bien, mais... différent de… Enfin, tu me comprends.

— Nan. Que dalle !

— À un moment, j’ai cru que tu allais me…

— Quoi ?

— Me bouffer !

— Ah quand même…

— Mais c’est bien aussi… Tu ne caches pas tes sentiments.

— C’est surtout que j’en ai pas…

— Mais si ! C’est inconscient.

— Tu crois ?

— J’en suis sûre. J’ai lu un truc qui explique le phénomène dans Cosmo. D’ailleurs avec toi, j’ai réalisé que je suis hétéro en fait. C’est un vrai choc. Je sais pas comment Anaïs va le prendre. Elle va péter un câble, c’est sûr. Elle voudra te casser la gueule… Faut qu’on reste discret au boulot. Pas un mot.

— Oui. Pas un mot ! À personne, jamais. D’ailleurs, il ne s’est rien passé en réalité. Juste un plan cul. On était fatigué, on a pas fait gaffe… Un mot en entrainant un autre, on s’est laissés emporter.

Delphine apparut, yeux incendiaires avec un maquillage torride. Elle pouvait aussi être belle la coquine quand elle était en mode hétéro et pas bariolé.

— C’était pas un plan cul !

— Bah si quand même.

— Tu m’as dit des mots que je n’oublierai jamais !

— Moi j’ai dis…

— Tu as dit !

— J’ai dit quoi ?

— À un moment, tu as dit : « ah, je t’aime toi ! Torpedo los !». Tu parles Espagnol ?

— C’est de l’Allemand. C’est quand on balance la sauce… Enfin la torpille… Enfin, tu me comprends. Je parlai pas à toi… C’était pas une décla à la con.

— Hein ? Qu’est-ce que tu me racontes la ?

— Je parlai à ma queue.

— Quoi ? Tu parles à ta queue ?

— Ben ouais.

— Tu te fous de ma gueule ?! Tu te prends pour Terminator « parle à ma main ! » ?

J’éclatai de rire de cette référence fort à propos de Delphine, imitant Schartzenegger. Trop forte la fille, en plus elle ne manquait pas d’humour. Je tentai de reprendre mon sérieux.

— Nan, j’te jure, c’est vrai.

— Me prends pas pour une conne ! Personne parle à sa queue !

— Moi, oui. La vérité si je mens…

— Putain, on m’aura tout fait ! Mais là… Mais là… Ce mec est pas croyable !

— C’est que j’ai un rapport particulier avec ma queue. De temps en temps, elle prend le contrôle de…

— T’es un gros mytho ou un grand malade, en fait ! C’est ça ?

— Tu vois, nous deux c’est pas possible.

— Ouais... Faut que tu trouves autre chose. T’es bizarre comme mec… T’es bizarre. Mais je m’en fous. Je t’aime bien comme tu es. Au moins, toi tu es pas hypocrite. Tu caches pas ce que tu es même si ça craint un max.

— Mais putain… Delphine… En plus je suis fauché !

— Même en caravane je serai heureuse avec toi ! Assez. On va au boulot ! Espèce de malade ! Il parle à sa queue… Non mais sérieux… Faut te faire soigner mon vieux… Avance ! Des céréales choco-grenouille et ça…

— L’orange pressée… N’oublie pas l’orange pressée.

— Hein ? Du jus d’orange quoi ?

— Nan ! Tu prends une orange, gros calibre, sans défaut…

— Non mais t’es sérieux ? Tu crois que je vais presser des oranges, pour môssieur? Attends… Reviens ici, Lorenzo que je t’en colle une !

J’ai toujours eu du mal avec les filles. C’est comme qui dirait qu’on est incompatibles. Ce n’est pas de mon fait, notez le bien. Moi, je suis le mec sympa et cool, mais on n’est décidément pas sur la même longueur d’onde. Ça ne colle pas. Point c’est tout.

Une journée morne se dessinait à l’horizon. J’allai avoir la Delphine sur dos dans le petit local informatique, elle allait me saouler de questions et de reproches. Ne couche pas avec les collègues de boulot, ce n’est pas un bon plan. J’avais fait une bourde, je m’en mordais les doigts. La faute à ma queue. Forcément.

Mais je n’étais au bout de mes surprises. La galère ne faisait que de commencer.

Non, je n’ai pas la force de raconter. C’est pas humain.

Bzzz !

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