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Je roulais vers la Belgique, ma nouvelle patrie. Je passai la frontière et de suite me sentis mieux. L’air était beaucoup moins chargé en conneries. En France la production nationale est essentiellement de la bêtise insufflée d’en haut par des dirigeants qui se sentent largement supérieurs à tout ce qui se fait au monde. Un Français digne de ce nom, ne coure pas un cent mètres olympique sans un sac de cinquante kilos sur le dos et en n’oubliant pas de se tirer une balle dans le pied, sinon, ce n’est pas drôle. Si on arrive derniers dans les compétitions internationales c’est par pur fair-play.

En Belgique on est con, mais on le sait et c’est déjà beaucoup, on ne s’imagine pas être la lumière du monde. Les Suisses sont les plus intelligents du monde. Un grand savant du Cern vient de trouver le moyen d’arrêter le temps : il a enlevé la pile de sa montre et BAM. YALLA ! Je viens de voir son exposé sur YT avec un préambule de trente-cinq minutes que si tu résistes à l’envie de balancer ta tablette contre le mur, c’est que tu as fait beaucoup de progrès dans la gestion de la colère, et c’est bien. Tu sais qu’en Suisse, on ne copule plus pour ne pas produire de chaleur et lutter ainsi contre le réchauffement climatique et la chaude pisse ? Bah, moi, je dis que c’est ça avoir une conscience et une intelligence supérieure. En plus ça dispense de contraception hormonale et ça limite le rejet d’œstrogènes dans les eaux usées qui donnent des malformations aux têtards. Que du bonus. Moi, je dis qu’il faut une grosse cervelle pour avoir pondu une idée aussi géniale. Remarque avec des Suissesses vilaines, ça doit probablement aider ? Bon, gardons-nous des généralisations, on va encore dire que je ne suis pas objectif.

En réalité, je pensai à tous ces trucs pour éviter de cogiter mon problème principal. Plus j’approchai de chez moi, enfin de chez Liliane, plus je flippais. Qu’allais-je bien pouvoir lui dire? Comment la convaincre de ma bonne foi ? j’avais beau retourner le problème dans tous les sens, Edwige lui avait parlé d’un Lorenzo Belge qui copule en grognant Ouba-Ouba. C’était chaud, mais la vie m’avait appris la loi fondamentale de la survie : n’avoue jamais, même pris la main dans le sac, tu nies ! Le doute profite à l’accusé, parce qu’en réalité, ce n’était que ouï-dire d’une grognasse trop jalouse et frustrée de la foune. Ça se plaidait, je ne dis pas que c’était facile, loin de là, mais c’était jouable.

Madame le juge, mon client à un casier vierge… Si ! Jamais pris sur le fait, la main dans la culotte, jamais une capote usagée n’avait traîné, rien de compromettant sur mon phone, pas de vidéo sur les réseaux. Je pouvais le faire et récupérer ma vie d’avant, ma maison Belge de 300 m², ma famille recomposée. Bordel, c’était bientôt Noël !

L’émotion me monta à la gorge. J’étais sur le point de chialer. Pas de cadeau de Noël de Liliane pour moi cette année et la soirée qui se poursuit par la mère Noël en guêpière et résille qui me demande si j’ai été sage ? Non, cela me faisait trop mal, je refusai de l’envisager.

Parce que j’avais changé, j’étais le bon Lorenzo ! Moi, j’avais un beau cadeau pour elle, un truc utile et stylé, un truc qui plaît aux femmes modernes et organisées : une agrafeuse de bureau, made in PRC, quasi neuve !

Vous, mesdames et mesdemoiselles qui me lisez, dites-moi en commentaire si c’est pas un truc qui vous chamboule le cœur si votre homme vous fait un tel cadeau ?

J’avais aussi gratté des fleurs dans la jardinière de mémé et piqué un livre pour Ilana et un papillon pour Océane : je n’allai pas arriver les mains vides, non plus. Je suis fauché, mais j’ai du savoir vivre !

Le temps était gris prison, l’heure était grave, j’étais comme à la croisée des chemins de ma destinée. Acculé, dans la dernière extrémité, je me montre souvent étonnant. Allais-je faire honneur à ma réputation ? Je me garai dans l’allée impeccable, une allée cossue, illustration flagrante de la richesse dispensant le beau. La BMW de Liliane était là ; si elle roulait en M5 510 CV, c’était bien grâce à bibi, non ? Seule qu’aurait-elle pu faire de son fric ? Il faut l’imagination d’un ambitieux pauvre, rongé d’envie, jaloux à en crever des riches, pour dépenser avec classe. Un Lorenzo !

Tel un pénitent je marchais portant ma croix et allai droit au feu. Que trépasse si je mollis ! Telle est ma devise. J’ouvris.

La télé était en marche avec une émission de tv-réalité que les filles regardaient hypnotisées. En m’apercevant, elles bondirent sur moi toutes excitées ; il allait y avoir de l’animation.

— Loulou, c’est Loulou, s’exclama Ilana.

— M’man, c’est Lorenzo ! confirma Océane.

Elles vinrent me faire le bisou, me saouler de questions, s’étonner de leurs cadeaux. C’était deux tornades.

— J’ai plus l’âge de lire Oui-Oui, Loulou, se plaignit Ilana.

— C’est quoi ce truc horrible ? Beurk. Il est mort le papillon ? T’es bizarre quand même, c'est glauque.

— Bah, les filles, j’étais en France. À part des dettes, du chômage, de la misère, des immigrés, des grèves, des cellules de soutien psy et du fromage qui pue, on n’y produit rien. Mais demain, si Dieu le veut, demain…

Liliane apparut, petite robe noire, brushing parfait, yeux bouffis d’avoir pleuré de rage contre son homme. Elle sortait probablement de chez l’esthéticienne avec qui elle avait probablement cassé beaucoup de sucre sur mon dos et sur le sexe dit fort.

— Demain, quoi ? fit-elle d’une voix glaciale.

— T’as fait une grosse bêtise, me souffla Ilana. Maman a dit que tu es un salaud !

— M’man s’est suicidée hier soir. Elle a bouffé une tablette de chocolat et a vomi, m’expliqua Océane, par ta faute.

Je me précipitai vers Liliane avec mes fleurs qui faisaient la gueule et mon regard de Chat Potté qui fait ses grands yeux qui font fondre tout le monde.

— Je t’avais dit de ne pas revenir, fit-elle, dédaignant mon bouquet.

— Poussin…

— Ne m’appelle pas comme ça ! Qu’est-ce que tu veux ?

Allais-je me jeter à ses pieds comme un paumé et implorer sa pitié ? Moi ? Un type de mon calibre ? Jamais ! Mon honneur de golfeur me le défendait !

— Pitié Liliane ! Me jette pas sans entendre la vérité ! Laisse-moi une chance !

— Tu ne manques pas d’air. C’est fini, Lorenzo. Cette fois la coupe est pleine !

— C’est cette salope d’Edwige. Elle t’a menti ! Elle ment ! C’est une menteuse. Je peux tout expliquer ! Je suis innocent ! Putain, ça se voit pas ?

D’un geste impérieux, elle intima l’ordre aux filles de filer dans leurs chambres. Elles protestèrent vigoureusement, elles avaient la télé-réalité à domicile ; c’était trop injuste.

Liliane m’entraîna vers la pergola, sur la terrasse.

— Tu peux expliquer ta présence dans un club échangiste ?

— Sans problème. C’est ma patronne qui m’avait demandé d’y venir pour discuter de ma prolongation de contrat. Elle s’était bien gardée de me dire quel genre d’établissement c’était, c’est une perverse ! Tu penses, si j’avais su, jamais, mais jamais... Elle m’avait promis de me filer mon fric, alors… J’étais obligé en quelque sorte.

— Je vois. Et c’est pour ça que tu l’a baisée et toutes les femmes de ce putain de club, y compris l’amie d’Edwige qui ne s’en est pas remise ? On ne lui avait jamais fait le coup du ouba-ouba, ta spécialité. Tu peux expliquer ça, aussi ?

— Mais personne peut baiser toutes les femmes du club ! C’est pas humain… Même les acteurs pornos sont obligés de se faire des picouzes dans le sgeg. Ça tient pas la route, c’est de la pure calomnie pour me nuire. Un mec peut baiser qu’une fois et encore. Dans ma jeunesse, je dis pas, j’avais des dispositions, mais je suis vieux maintenant… Tout vieux ! J’arrive plus à bander c’est simple. Je suis fini !

Liliane était ébranlée, mon argumentation était plausible et se tenait. Toutes les femmes savent bien qu’un mec ne peut baiser qu’une fois et encore… si elle a de la chance. Elles se plaignent assez de leur insatisfaction copulatoire, de l’absence d’orgasme et de l’éjaculateur précoce, gentiment appelé « lapin ». C’est dans toutes les revues féminines. Je n’ai pas dit que c’est la vérité, j’ai juste dit que c’est une donnée acquise par les femmes. Ne les détrompons pas.

Cependant, Liliane dodelinait du chef tout en me regardant avec grande sévérité. Se rappelait-elle les fois où je la rafalais et la laissait en vrac ? TACATACATAC… Les fois où, à la fin, elle glapissait « mais qu’est-ce que tu m’as fait là, espèce de dingue ? » ou les « Lorenzo, arrête, je vais crever ». Il est vrai que parfois mon enthousiasme m’emporte et que je me laisse aller à ma fougue… Mais s’en rappelait-elle ? Les femmes ont-elles la mémoire de leurs ébats ? Le solde exact de leur compte en banque, oui, le petit haut fuchsia acheté en 2021 en solde chez Dior ? Assurément. Mais les plans cul ? J’en doute fort. Il me fallait néanmoins continuer mon bluff sans montrer la moindre faille. Parce que Liliane repartait à l’attaque :

— De toutes façons, ça n’excuse rien. Même si tu n’en as baisé qu’une seule, c’est une de trop !

— Baiser c’est beaucoup dire…

— Allons bon…

— On parle de quoi ? Pénétration, fellation ? Soyons précis...

— Lorenzo je ne marche pas dans tes arguties ! Tu m’enfumes. Tu as couché ! Point c’est tout !

Il me fallait vite une parade plus convaincante. Un truc qui la laisse sans voix, un truc puissant, imparable comme un mat du couloir.

— J’ai été drogué avec la drogue du viol, voilà ! J’osais pas le dire parce que j’ai trop la honte. Voilà à quoi tu me forces... Je m’abaisse, là… Je m’abaisse. Mais soit, je m’humilie devant toi. Je savais pas ce que je faisais, j’étais drogué par cette perfide madame Chiffon, c’est le diable cette femme. Prête à tout pour assouvir ses fantasmes tordus et… ne pas me filer mon fric. D’ailleurs son mari a débarqué au club pour lui faire la peau.

— Son mari était là ?

— Quoi, Edwige a omis ce « détail » ? Parce que c’était chaud… Le scandale, la débandade totale dans le club. Elle a menti Edwige !

— Edwige ? Menti ? Mais pourquoi ?

— Parce qu’elle a envie de moi. Elle n’arrête pas de me reluquer les fesses. Un homme sent ces choses-là !

— Edwige ? Non… C’est impossible.

— Elle est jalouse de toi…

— N’empêche… Tu étais bien à ce club ! Tu m’as trompée ! T’es un salaud !

— J’étais pas moi-même. J’étais drogué !

— Je ne te crois pas ! Tu mens ! Tu es un menteur…

— La vie de…

— Ne jure pas. La drogue du viol ? Tu imagines que je vais gober ça ? Sérieusement ?

— La vérité ! Tu crois que je serais venu si j’étais coupable ? J’ai décidé de changer, de devenir bon. Je suis le bon Lorenzo, maintenant que je suis Belge. Regarde, j’ai quitté mon boulot, j’ai dormi dans ma voiture et me voilà devant toi. Je m’humilie comme un chien… Ça compte pas ? Liliane, as-tu un cœur ?

Le visage de Liliane resta sévère. Rien ne semblait la toucher.

— Pauvre chou. Tu m’aimes ? fit-elle.

— C’est évident !

— Tu n’arrives pas à le dire.

— Bah si je le dis. D’ailleurs je l’ai dit à Caroline, heu madame Chiffon.

— Ah bon ?

— Elle voulait que je dorme chez elle… J’y ai dit que j’aimais ma femme. J’y ai dit.

— Mais quelle salope ! Et après tu l’as niquée ?

— Hein ? Tu me prends pour qui ? J’ai pas été, évidemment. J’ai changé, je te dis. j’ai pas baisé depuis… Pfff ! Je sais plus. Je dois plus savoir me servir d’une foune, si ça se trouve.

Liliane fit quelques pas tout en méditant. Sur le moment, je me suis dit « mais qu’est-ce que tu fiches là ? Prends tes affaires, ta liberté et… » Mais partir sur un échec me déplaisait. J’aime laisser du regret quand je quitte, de la peine, de la tristesse, des idées suicidaires. Je suis perfectionniste, j’aime le travail bien fait.

Liliane se retourna :

— Lorenzo…

— Attends, avant de me condamner… Avoue que tu t’ennuies un max sans moi… Avoue que c’est mieux avec Lorenzo, ta vie sans moi c’est comme un kebab sans viande, un falafel sans…

— Assez ! Il faut que je réfléchisse. Putain, mais quel baratineur… Tu vendrais de la neige aux Suisses. De toute façon, je ne supporte plus cette vie où tu pars pendant la semaine. Je n’en veux plus. Pour les fêtes… Les filles tiennent à toi, je ne sais pas pourquoi. Après… On verra.

— En sursis ?

— En sursis.

Je la pris dans mes bras. Elle ne me repoussa pas, elle attendait que je le fasse. Je murmurai à son oreille :

— Je t’ai pas trompée, poussin.

— Comment peux-tu dire ça ?

— Une baise avec une nympho, ça compte pas.

Liliane me repoussa.

— J’ai voulu mourir hier, par ta faute.

— Je sais. Océane m’a dit. Le chocolat te fera un gros cul, ma douce.

Liliane sourit enfin. Elle n’avait rien gobé de tout ce que j’avais raconté, mais la force du baratin c’est l’emballage. Si c’est bien ficelé, ça peut le faire. Ce qui avait compté en définitive, c’est que j’étais rentré et aussi peut-être, qu’elle n’était plus de première jeunesse, divorcée trois fois avec deux gosses sur les bras. Elle avait la maturité de pardonner un plan cul sans importance.

— Lorenzo, je ne veux plus que tu fasses des contrats qui t’éloignent pour la semaine ou plus. C’est trop de tentation pour toi. C’est fini !

— Bon.

— J’ai songé que je pourrai ouvrir une boutique de fringues écolo, matériaux recyclés à base de plastiques usagés et d’emballages récupérés dans la mer, parce qu’il faut faire quelque chose pour les tortues qui meurent à cause de ces saloperies. Une sorte de salon de thé où l’on pourrait acheter des tenues tendance… Je ferai influenceuse sur les réseaux, avec des vidéo de présentation et des essayages sexy. Tu vois l’idée ?

— Un magasin ? Bababa… Et tu comptes y faire bosser qui ?

— Toi et moi… Peut-être une vendeuse ou deux. Enfin au début, nous deux.

— Le commerce c’est l’esclavage ! Sans moi, poussin.

— Mais non. Il suffit d’une bonne organisation. J’ai plein d’idées. J’ai songé à faire dans l’écologie à fond, avec tasses en bambou recyclables, et même les clientes pourraient venir avec leur propre gobelet tibétain… Électricité verte bien sûr…

— Toilettes sèches, pas de chauffage…

— Mais non ! Tu exagères toujours, Il faut que tu te moques, que tu caricatures.

— Mé nan… Fée verte, sors de ce corps !

— Qu’est-ce que tu racontes, encore ?

— La mascotte Suisse de l’écologie. Tu connais pas. En Suisse, ils sont champions du monde écolo, ils n'ont pas d’oxygène mais des idées. Tu sais qu’ils font pousser des tablettes de chocolat dans les arbres pour éviter de griller le cacao et réchauffer la planète?

— Pfff ! Tu te fiches de tout, même de l’écologie ? Pourtant on ne parle que de ça partout. Il faut changer nos comportements. Pour la planète, pour nos enfants. Tu n’aimes pas mon projet ?

— C’est pas que je l’aime pas…

— Mais quoi ?

— Bon, le commerce, j’aime pas. À la rigueur en ligne, mais en boutique c’est mort. Le concept est dépassé. Quant à l’écologie, j’aime pas du tout, ça me file des boutons.

— Tu n’aimes rien, quoi.

— Si… J’aime toi.

Cela fit beaucoup d’effet à Liliane. Elle m’embrassa tendrement et fut interrompue par Ilana.

— Ça y est, vous êtes réconciliés ? Océane a parié que Lorenzo allait partir…

— Mais non ! s’indigna la mère, rougissante.

— Alors c’est bien, conclut la petite, ravie.

Finalement, je ne m’en étais pas mal tiré. Je commençai à souffler, j’avais passé la tempête, enfin je le croyais. Mon téléphone sonna, c’était madame Chiffon.

— Lorenzo ? Mais qu’est-ce que tu fous ? Ici, c’est la panique ! Tout a sauté ! Il y a eu un pic de commandes et pouf ! Plus rien ! Je vais tout perdre ! Tu es où ?

— Belgique. Chez ma femme.

— Passe-la-moi !

— Ce ne…

Liliane qui épiait la conversation sans vergogne, s’empara du téléphone.

— Alors vous… Espèce de… Vous n’avez pas honte de...

— Je vais vous expliquer. Lorenzo n’y est pour rien… C’est un malentendu en réalité... Vous allez rire...

— Évidemment, espèce de…

— Écoutez-moi. Je suis dans la merde. Je vais tout perdre. Tout. Il faut absolument qu’il revienne.

— Il n’en est pas question ! Démerdez-vous.

— J’ai perdu mon mari. Je vais perdre ma boite. Il ne me reste plus rien !

Liliane pâlit. La sororité tambourinait à sa porte. Que devait-elle faire ? Qu’auriez-vous fait ?

Bzzz !

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