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On était dans une merde noire. L’obscurité était totale : surtout l’incertitude inhérente à la situation catastrophique. Personnellement, je n’arrivai pas à m’inquiéter ni à prendre les choses au sérieux, parce que comme à mon habitude, je me fous de tout. J’avais tort.
— Hé toi, le comique, silence ! On est armés !
— Ouais, on a une stink-bomb !
— Et des bâtons-éclairs pour les réfractaires dans ton genre !
— Les réfractaires ? Non mais sérieux, tu crois qu’ils vont te comprendre si tu leur parles comme ça ? fit de nouveau la voix féminine, manifestement une fille bardée de diplômes qui n’avait rien entravé à ce qu’elle avait lu.
Encore une qui aurait dû se contenter de pondre des chiards. Hein ? C’est ignominieusement sexiste ? Moi sexiste ? Attends... T’es sûre ? Non parce qu’un mec qui aime plus les femmes que moi, je ne dis pas que c’est impossible… mais quasi-presque. Quoi ? Aimer baiser c’est pas aimer les femmes ? Un peu quand même, nan… Je rigole! C’est humour ! T’as pas le sens de l’humour, toi, ça se sent ! T’as pas de mec… Pfff !
Reprenons.
— C’est qu’elle nous prend pour des cons en plus la terroriste… fis-je, plein de dédain.
Des lampes se braquèrent méchamment sur moi. On m’examinait.
— Alors toi… Mais qu’est-ce que c’est que cet accoutrement ?
— C’est un clown ?
— Je suis pas un clown ! Je suis un EXTRA !
— Un serveur, quoi ? Et tu acceptes ces conditions de travail dégradantes ? Tu n’as pas honte ?!
— Je suis pauvre, je suis exempté de la honte et je te merde !
— S., punis-le, fais un exemple, sinon ils ne nous prendront pas au sérieux !
— Oui, il est trop grossier ! Tu vas apprendre à tes dépens que « qui s’y frotte, s’y pique ! », monsieur l’impertinent.
— Hein ? Tu vas me faire quoi ? Tu crois que tu me fais peur avec ta bombe à bouse ?
— Mais enfin de quoi s’agit-il ? s’impatienta la comtesse Ponzzi, maîtresse des lieux. On n’y voit plus rien, c’est agaçant au possible. Philibert, voulez-vous aller rétablir l’électricité.
— Bien madame la comtesse.
— Maryse, appelez la police, vous serez gentille, et vous mon ami (s’adressant à moi), mettez ces « gens » dehors, vous avez la carrure qui sied à cette tâche.
— Pas un geste ! On vous a prévenu ! Ceci est une STINK-BOMB : concentré de glande anale de Moufette des marais. L’odeur est insupportable et pas moyen de s’en défaire pendant au moins une semaine. Il y a des gens qui préfèrent se suicider que de continuer à sentir cette pestilence.
— À l’odeurmètre du professeur Dugond, c’est 10 ! confirma la docte voix féminine. Heu, c’est le maximum quoi, précisa-t-elle.
Joignant le geste à la parole, les torches des intrus se braquèrent sur un cylindre de verre, brandi par un gaillard au crâne prématurément dégarni et fort maigre, contenant un liquide verdâtre qui puait déjà avant que d’être répandu.
— Nous sommes la BEP, Brigade Écologique Punitive...
— Punitive? On avait dit qu’on dirait « éveillée ».
— Non, c’est déjà trop connoté et ça fait BEE… c’est pas judicieux.
— Le concept est pris par des haineux qui véhiculent un message trop clivant…
— On avait dit « Frei Kampfer Brigad » ! s’exclama un petit binoclard tout frisé façon caniche.
— On ne va pas recommencer avec le Röstigraben fit l’intellectuelle brunette avec sa frange qui lui mangeait le front.
— Oui restons francophones…
— Heu, les mecs… fis-je.
— Quoi encore ?!
— Tu veux me faire croire qu’il y a un abruti fini qui a été masser le cul d’une moufette ? Sérieux ? Non, alors déjà, trouver une Mouffette c’est con, mais en plus... Nan… C’est cruauté animale, nan ? Au niveau Œdipien c’est glauque...
Une hilarité générale emporta les convives. Tel un Brice de Nice flamboyant, j’avais cassé les glands Suisses. Cassés, cassés… La fureur s’empara de la brunette, choquée dans son amour propre.
— Alors toi, tu vas regretter ta perfidie !
Elle me colla une fine tige métallique sur la poitrine. Rien ne se passa.
— Je suis censé faire quoi ? dis-je, intrigué.
— Heu… Attends… Pourquoi ça marche pas ? Qu’est-ce qu’il se passe encore ? F. ? Tu fais marcher la dynamo ?
— Attends… Je fatigue moi… Dès que j’arrête… ça se décharge… On aurait dû changer le condensateur… Je l’avais dit…
— Mais mer...credi ! Tourne la manivelle, idiot ! J’ai l’air de quoi, moi ?
— D’une dinde avec des lunettes…
— Oh ! Espèce de… Espèce de…
— Essaye d’avoir plus de deux mots de vo-ca-bu-laire.
— Oh ! Espèce de...
— Salopard, va… Tu vas voir ! fit la blondine.
Et voilà que sa copine avec une minuscule queue de cheval toute rikiki, me braqua un pistolet sous le nez.
— Tu rigoles, moins là, hein le comique ? fit-elle.
— Il a trop peur le fanfaron… Regarde sa tête…
— Alors ? On dit plus rien ?
— Ça tire quoi ? Du vomi de bébé ? fis-je l’air blasé, lassé de leurs réflexions.
Les deux filles se regardèrent et pouffèrent de rire malgré elles.
— Mais qu’il est con ! Mais qu’il est con !
— Il est trop… C’est pas possible… Les Belges… On m’avait prévenue, je ne le croyais pas… Je ne raffole pas des stéréotypes… Mais c’est trop !
— Tu te fous de ma gueule, en plus ? fis-je surjouant l’indignation. Alors ça te suffit pas de braquer un prolétaire, un travailleur pauvre, faut en plus l’humilier ?
Les rires se figèrent. L’activiste et surtout l’écolo a une conscience politique surdimensionnée. Elles se ressaisirent et m’observèrent attentivement, mortifiée : comment avaient-elles pu se laisser aller à une telle bassesse ? C’était politiquement très incorrect.
C’est à ce moment que la lumière fut, mais il est certain que si l’obscurité avait perduré, elles se seraient excusées. Le groupe de terroristes apparut dans toute sa splendeur (et décadence) composé d’un quatuor : deux garçons et deux filles.
La brunette, binoclarde, toute en vert, même son jean, baskets et cerclage des lunettes, une symphonie verte sur pattes, une ode à l’écolo-Dieu; la blondinette décolorée, potelée avec un poncho ridicule aux motifs andins; un grand dadais dégarni aux traits juvéniles et son acolyte avec un regard de chouette apeurée et une tignasse frisée.
— Oh putain… fis-je, en contemplant le désastre.
— Quoi encore ?
— Mais qui vous a laissé sortir ? Pourquoi ? Ta mère sait que tu sèches les cours ? demandais-je au demi-chauve.
— Non mais tu t’es vu, monsieur le bouffon !
— Laquais ! T’as les bas qui plissent !
— Ta perruque est de travers !
— Je bosse moi, je rapporte la graille à mes enfants ! Je fais pas des attentats de merde !
— Oui, il a raison ! Partez ! Cette comédie a assez durée !
— Sortez-les !
— Bandes d’idiots !
— Philibert avec votre ami, rossez ces importuns, voulez-vous.
— Oui, ils le méritent !
La lumière revenue, l’assemblée des convives reprenait courage. Cela déconcerta le groupe activiste.
— Ça devait pas se passer comme ça…
— C’est la faute de cet histrion…
— Sophie, arrête de parler comme ça, ou je fais une crise de tétanie, fit la blondinette.
— Mais tu viens de dire mon prénom !
— Oups…
— Il a tout gâché, cet idiot de Belge !
— Qu’est-ce que tu ne comprends pas quand on te dit qu’on a une bombe ?
— Fais péter, connard !
— Tu me cherches… Tu vas me trouver !
— Maurice, attends… s’écria Sophie.
— Tu t’appelles Maurice ! fis-je, mort de rire.
— Cette fois c’est trop ! Je vais…
— Didier, mouline, je vais taser cet énergumène ! Toi, tu vas la sentir passer ! On calme les éléphants avec ça !
Je fis un bond de côté. Je suis courageux, mais je n’ai pas la corpulence éléphantesque. Sophie essaya bien de me saisir. Tout ce qu’elle attrapa fut ma perruque. Fort heureusement, la Maryse apparut :
— La police arrive, madame Ponzzi !
— Scheisse ! fit le quatuor, saisit d’effroi.
L’allemand est une langue qui se prêtent bien au commandement ou à la stupeur. Totalement désemparés, ils se regardaient, visiblement tétanisé par l’adrénaline.
Quant à moi, mon bond m’avait rappelé qu’un collier Bvlgari me démangeait les couilles. C’était une opportunité à saisir des quatre mains.
J’étais soupçonnable jusqu’à présent. Mais avec ces terroristes qui s’étaient introduit en douce et avait coupé le courant du manoir… La donne était changé. Un plan (machiavélique) se mit en place à une vitesse effrayante.
J’attirai la brunette à moi et murmurai :
— Chérie, prends-moi en otage ! Faut plus traîner ici… Faut se tirailleur ! Schnell !
Totalement interloquée, elle bafouilla à la façon Suisse : bleu-chleu-tszchhh. On dira ce qu’on voudra mais les Suisses, niveau crapulerie, c’est pas mauvais, c’est très mauvais.
— Allez quoi ! m’impatientai-je.
Je me glissai dans ses bras, pointai son « bâton-tonnerre » sur ma poitrine et l’entraînai vers la sortie comme un pantin désarticulé. La fuite est un truc qui s’apprend et se cultive, faut commencer petit, sinon c’est foutu. Les privilégiés de la vie n’y connaissent rien.
— Je comprends rien, souffla-t-elle. Qu’est-ce que tu fiches ? Qu’est-ce que tu veux ?
— Je te sauve la peau ! Bouge de là faignasse !
— Sophie, heureusement que tu as pensé à ça, moi j’étais perdue ! lui glissa la blondinette, sortant de sa torpeur.
— Sophie tu es super, approuva un des garçons.
— Me dis pas que vous êtes venus en vélo ou je fais une crise, fis-je.
— Le combi, caché là-bas, m’indiqua le frisé.
— Cette merde ? Mais nan…
— Il est électrique ! fit fièrement le chauve.
— Alors ça va… j’ai rien dit.
Oui, parfois, je suis un tantinet sarcastique.
Le groupe bondit dans le véhicule bitnik, me délaissant totalement. Je grimpai par la porte latérale, à leur surprise totale.
— Tu me déposeras un peu plus loin, frérot, tu seras gentil.
— Ce mec est complètement malade !
— Laisse-nous ! Tu nous as pourri notre attentat !
— Dehors le bouffon ! On t’a assez vu !
— Je suis écolo plus que toi !
Sophie ouvrit de grands yeux. Pouvait-elle en conscience abandonner un écolo, qui plus est, un BG like me ? Le groupe la regarda.
— Démarre bordel ! Les flics Belges sont lents mais moins que les Suisses quand même ! beuglai-je.
Dans un sifflement très discret l’engin s’ébranla. Arrivé à la vitesse inconvenante de cinquante à l’heure il se stabilisa.
— Plus vite ! Plus vite ! m’écriai-je.
— Non, ça décharge trop la batterie.
— Combien il reste ?
— Vingt-huit pour cent.
Un abattement se lut sur les visages de ce groupe trop diplômé pour la vie actuelle. La peur que je vis dans les beaux yeux de Sophie me fit pitié. Visiblement aucun d’eux n’avait jamais enfreins la loi de sa life. Ne me demandez pas comment c’est possible, en France en tout cas, c’est pas. Mais la Suisse est un beau pays ou le crime ne paie pas, mais le secret bancaire oui.
Le véhicule se traîna et arriva en vue de ma maison. J’ouvris la porte coulissante et me préparai à sauter. Sophie posa sa main sur mon bras.
— Merci, fit-elle, baissant les yeux.
— Tracez, ne traînez pas… Et changez de fringues...
— C’est le valet qui nous dis ça ?
— Je bossais !
— Larbin !
— Pff !
Je sautai du véhicule qui s’éloigna dans le silence. Inquiet, je tâtai mes burnes. Tout était bien en place. Je courus à la maison et planquai le collier dans les combles, sans oublier de le bisouter, une cachette sûre qui m’avait déjà servie par le passé, une longue histoire sans intéret.
En redescendant, le slip plus léger, j’entendis sonner à la porte. Je frissonnais. La police ? Déjà ?
J’ouvris et me trouvais nez à nez avec Sophie et sa copine Annabelle.
— Toi ? Mais comment c’est possible ? firent-elles.
— Ce mec est partout !
— Heu, je suis chez moi ! Qu’est-ce que vous fichez là ?
— En panne de batterie à quelques kilomètres. On a décidé de se séparer. On s’est dit qu’on aurait plus de chance à deux. Les garçons sont partis de leur côté.
— Putain, c’est cossu chez toi ! Je croyais que t’étais pauvre !
— Je suis. C’est chez ma femme.
— T’es marié ?
— Pas vraiment.
— Mais qu’est-ce que c’est que ce mec ?
— Tirez-vous les pasionarias. Bzzzz !
— Tu vas nous jeter dehors ?
— Vous m’avez kidnappé ! La police risque de venir chez moi, mes amis vont s’inquiéter !
— Il a raison… fit Sophie avec une petite voix. On est foutues.
— Sophie… balbutia Annabelle, totalement désemparée.
Pouvais-je les laisser dans la merde ? Je le devais, parce qu’une des premières choses qu’on apprend dans la vie c’est : chacun sa merde !
Mais c’était réveillon de la nouvelle année, j’étais Belge à présent et je ne laisse jamais une meuf dans la panade. Des fois, sur un malentendu, on peut avoir une opportunité... Quand on a pas un physique facile... enfin tu la connais.
— Entrez, sales terroristes… On va trouver une combine.
Enfin, j’allais trouver une combine. Parce que les intellectuelles se morfondaient dans les regrets, le repentir et un tas de niaiseries bourgeoises.
J’avais à faire.
Bzzz !
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