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Deux petites Suisses dans la maison… Si jamais il prenait l’envie à Liliane de rentrer plus tôt que prévu… j’étais dead. Comment expliquer ça ? La vérité ne serait jamais crue. Oui, car le réel dépasse toujours la fiction. Je l’imaginais pointant un index accusateur me désignant la porte et criant :

— Tu te tapes deux putes !

— C’est juste pour les fêtes, chaton.

— Hors de ma vue, goujat !

Mais revenons à la réalité. J’étais inquiet avec ces activistes criminelles sous mon toit, probablement voleuses, menteuses…

Heu le synonyme de femme c’est menteuse, non ? Il me semble l’avoir lu dans un bouquin de psycho… Quoi ? J’ai mal lu ? Je ne sais pas lire ? Pfff !

Elles me regardaient avec circonspection, visiblement très nerveuses.

— Comment tu t’appelles, demanda la dodue Annabelle.

— Moi c’est Lorenzo.

— C’est pas Belge, ça… commença la brunette, Sophie.

— C’est pas vraiment mon blaze non plus, t’inquiète.

— Qu’est-ce que c’est que ce mec ? s’interrogea Annabelle. J’ai pas confiance.

— Faut que je reparte au manoir… Sinon la police risque de se pointer… En attendant… restez sages !

— Il va nous balancer, s’inquiéta Annabelle.

— Non, j’ai confiance en lui… Il a l’air… Tu es Français ? demanda Sophie.

— J’étais…

— Alors, il ne dira rien à la Police, fit-elle rassurée.

— Pourquoi tu dis ça ? fis-je intrigué.

— Tu as l’air trop... malhonnête.

— Moi ? Pfff ! Et ne volez rien en mon absence ! Je vérifierai !

En arrivant au manoir, ce fut l’affolement. La presse était là, la police, la brigade anti-terroriste, les autorités locales, les magistrats.

Je réclamai à cor et à cri une cellule de soutien psychologique, ce à quoi on me répondit qu’on n’était pas en France mais au royaume de Belgique ! À la place on me colla une bière brune en pogne et on me proposa un cannabis thérapeutique.

L’aréopage de sommités se congratula chaudement d’avoir retrouvé l’otage sain et sauf. Je fus bien malgré moi la vedette des médias dans mon costume ridicule de laquais sans perruque. J’avais l’air d’un con, mais d’un con… Misère !

On me débriefa longuement. Ce fut interminable. Je donnais force détails aux forces de l’ordre et cela me fatigua beaucoup d’inventer des signalements délirants, mais plus je donnai de détails plus la police était contente.

Finalement satisfaits et se faisant fort de retrouver les coupables sous peu, la flicaille se retira. La police Belge est définitivement un cran au dessus que la police Française.

— Mon brave, venez ici, j’ai à vous parler, fit nonchalamment la comtesse Ponzzi.

— Madame m’a fait mander, fis-je, outrageusement obséquieux.

Elle se pencha vers moi et murmura :

— Je sais que tu m’as volé le Bvlgari, crapaud ! Cesse tes singeries !

— Comment ? Moi ? Voleur ? Je…

— Ta gueule ! Je l’ai moi-même volé à la baronne… il y a un certain temps. Mais moi, j’avais la classe !

— La baronne… Celle à qui je pense ?

— Celle-là même.

Avec le regard scandalisé au possible, je dévisageai la ribaude.

— C’est pas moi, j’ai rien fait. Tu veux me fouiller ?

— Pas de familiarité avec moi, crapule ! Tu vas me le rapporter demain à la première heure… Sinon… Tu préfères ne pas savoir ce qu’il va t’arriver. Je te dédommagerai… Pour ta peine, dans un esprit de confraternité.

— Dis quand même… Parce que demain… On est déjà demain et j’ai pas le... quoi déjà ?

— J’ai dit que je te dédommagerai… Tu n’as pas la carrure pour écouler la marchandise… Ne fais pas l’idiot. Tu devrais t’estimer heureux de ne pas finir la nuit au ballon ! Et cesse de me regarder comme ça !

Je ne pouvais détacher mes yeux de cette femme. Je la haïssais profondément. Elle était tout ce que j’avais toujours rêvé d’être. Elle comtesse, respecté, gavé d’oseille et moi qu’on appelait crapule et que des terroristes Suisses prenaient pour un malhonnête ! Elle avait réussi là où j’avais échoué toute ma vie, elle représentait la somme de tous mes échecs, de ma vie ratée. C’était le miroir féminin de ce que j’ambitionnai depuis l’âge de ne plus porter de couche, parce que, depuis bébé, j’ai besoin de fric et je n’en ai pas !

Sachez chers contemporains qu’il n’y a pas de malhonnêteté pauvre ! C’est de la compensation de spoliation, un juste retour des choses, un prêté pour un rendu !

— Je vais tenter ma chance, fis-je, bravache. Les menaces glissent sur moi comme la bave du mécréant.

— Toi qui vois… Je t’ai donné ta chance.

Elle se détourna de moi comme si je n’étais rien qu’une immondice. Beaucoup d’hommes m’ont fait du mal, certains ont même tenté de me zigouiller avec ardeur, et il faut bien avouer que parfois je l’avais mérité. Mais je n’ai jamais autant souffert que des mains d’une femme. Salope ! Je te hais !

Morose, je m’en retournai chez moi. Mon âme était triste. En entrant, ma narine frémit d’une odeur de friture. Je fonçai à la cuisine. Les Suissesses mangeaient et buvait le vin, visiblement de bonne humeur.

Le bonheur des autres quand on est malheureux… fait trop mal.

— Oh putain… Un moment, je ne te reconnaissais pas ! s’exclama Annabelle. Sans ton costume de bouffon…

— Mais surtout ne vous gênez pas !

— On s’est fait un petit frichti… expliqua Sophie. J’adore cuisiner. Viens manger… tu vas te régaler. Salade composée avec lardons, gambas, omelette, caviar d’aubergines…

— J’ai pas faim ! Bordel, vous avez siphonné une bouteille de Pétrus !

— On était trop inquiète ! fit Annabelle. Faut bien ça.

— On te remboursera, t’inquiète, fit Sophie.

— Voilà comment vous me remerciez ? Dehors les terroristes !

— Mais il est bougon, le Français.

— Ça s’est mal passé chez la comtesse? s’inquiéta Sophie.

— La salope !

Un froid glacial s’abattit sur les filles soudain terrifiées.

— Cette femme est diabolique ! Si tu savais ce qu’elle pollue avec son jet privé et son hélicoptère ! Elle n’a aucune conscience cette femme. Le monde elle s’en fiche !

— C’est un monstre !

— Un monstre, confirmai-je.

— Et dire qu’elle va s’en tirer comme ça… On n’a rien pu faire…

— Par ta faute, quand même.

— Elle va s’en tirer, confirmai-je.

— C’est trop injuste…

— C’est dégueulasse !

— La salope ! m’exclamai-je.

Oui, j’avais le seum ! Rien ne fait plus de mal que de perdre du fric. L’idée de rendre le collier me tuait.

— La police est sur nos traces ? demanda Sophie.

— On va nous arrêter ? dit Annabelle.

— La police ? On s’en fout ! Il y a plus important…

— Mais de quoi tu parles ?

— Il est bizarre ce mec, je te le dis depuis le début.

— Mange quelque chose… Tu n’as pas l’air bien, dit Sophie.

Je mangeai. C’était un délice. Probablement qu’on n’avait jamais aussi bien cuisiné dans cette cuisine. Je vidai mon assiette, puis la poêle, tout méditant et pestant sur l’injustice de l’univers sous le regard circonspect des filles.

— Dis Lorenzo, tu veux coucher avec moi ou avec Sophie… ou nous deux ?

— Tu me dis quoi ? Qu’est-ce que tu me racontes là !

— Bah… Tu veux baiser quoi ?

— Ta mère sait comment tu parles aux hommes ?

— Ma mère ?

Annabelle éclata de rire.

— Tu sais, nous en Suisse, on a dépassé les conceptions étriquées et bourgeoises. Le sexe est naturel, expliqua calmement Sophie.

— On baise et puis c’est marre !

— Mais nan…

— Tu n’aimes pas les femmes, c’est ça ?

— Moi ? Tu me dis ça à moi ? À moi qui m’approche probablement de mille et tre ? À moi, LE Lorenzo ?

— Mais de quoi tu parles ?

— Silence ! J’ai besoin de dormir un peu… J’ai une grosse fatigue. Dès potron-minet, vous dégagez. Je ne veux plus vous voir ! Tcho !

— Tu es choqué ?

— Pourquoi ?

— Alors… Toutes les Suissesses sont comme vous ? Parce que si c’est le cas… votre pays est foutu, moi je vous le dis ! Vous allez avoir besoin d’une immigration massive… mais massive ! La France ne s’en remettra pas, enfin surtout ses élites. On va manquer de clandestins.

— Lorenzo, est-ce que tu es fou ?

— Il est bizarre ce mec !

— Je ne suis pas bizarre ! Je suis pauvre et je vous merde.

Je dédaignai les filles et montai me coucher. J’étais las. L’année commençait bien mal. Je me laissai tomber sur le lit conjugal et fermai les paupières. Un feu d’artifice de couleur m’éblouit.

Hélas, comme tout le reste, le sommeil me fuyait. Mon esprit n’était pas en paix, trop d’ambitions déçues s’y fracassaient comme des vagues sur une falaise intraitable. Des paroles se répercutaient en moi, comme un écho sinistre : le pauvre doit rester pauvre, le pauvre doit se satisfaire de sa condition…

J’avais beau tenter d’échapper à ces mots étrangers à moi. Rien à faire. À bout de force je hurlais : révolution ! et retombai à bout de force sur ma couche de souffrance.

Pendant quelques minutes, le calme se fit. Je crus que j’allais sommeiller un peu. Mais la porte s’ouvrit doucement. Une forme s’avança sur la pointe des pieds, hésita un instant, se glissa dans le lit et se colla à moi.

— Tu as fait un cauchemar ?

— Sophie ? Qu’est-ce que tu fous là ?

— J’arrive pas à dormir… Et je t’ai entendu crier.

— Tu ne peux pas rester là !

— Pourquoi ?

— J’aurais trop envie de te sauter.

— Je m’en remettrai. Tu vas t’agiter sur moi pendant vingt-secondes et… basta.

— Moi ? Vingt secondes ?

— Bon… Disons trente secondes… De toute façon, je ne sentirai rien. Les hommes sont tellement puérils et ignorants, ils s’imaginent donner du plaisir aux femmes...

Elle pivota sur le dos.

— Vas-y.

— Nan ! Mais ça va pas bien chez toi…

— Tu préfères que je sois dessus ?

— Je préfère que tu dégages !

Sophie se retourna vers moi.

— Je ne suis pas tranquille… Je préfère rester avec toi. Tu m’apaises. Tu sais, je ne suis pas comme ça… Enfin, comme celle que tu as vue ce soir…

— Tu voulais m’électrocuter avec ton bâton électrique !

— C’est tellement éloigné de ce que je suis… Je me suis laissée emporter, influencée par mes amis… Enfin mes amis… Je n’imaginais pas que cela déraperait autant. Si tu savais comme je regrette.

Je regardai le visage de Sophie dans la pénombre. Je la trouvai belle et j’avais terriblement envie de la sauter. Mais supporter un échec de plus était au-dessus de mes forces : elle était capable de me dire que c’était « bien ». À moi ! Avec moi ce n’est pas bien, c’est inoubliable ou ce n’est pas. De toute façon, j’avais changé. J’étais le Belge à présent. Le bon !

— D’où tu sors ? fis-je, désabusé.

— Tu veux savoir ?

— Oui, de toute façon, je n’arriverai pas à dormir. Raconte.

Alors Sophie raconta avec sa voix douce et traînante et ça me fit ma séance d’ASMR.

Je doute que cela vous passionne.

Bzzzz !

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