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Comme beaucoup de femmes, Sophie pensait qu’un homme était incapable d’écouter une femme parler aussi c’est avec une certaine circonspection et une grande méfiance qu’elle raconta, me scrutant, épiant mes moindres réactions.

— Tu sais, je suis Suisse…

— C’est pas ta faute, ma pauvre.

— Pourquoi tu dis ça ? La Suisse est un grand pays !

— Peuh… La Belgique est un grand pays ! La Suisse… pffff !

— Tu te fiches de moi, c’est ça ?

— Nan, nan… Qu’est-ce qui te fais croire ça ?

— Je le vois bien. Nous autres Suisses, nous sentons ces choses-là… Nous avons un grand sens de l’humour ! De toute façon, cela ne m’atteint pas, je ne suis pas une farouche nationaliste après tout. Pour les écologistes, les nations ne comptent pas. La terre sur laquelle nous sommes…

— L’écologie c’est de la merde !

— Ne dis pas ça ! Tu n’as pas le droit ! Je t’interdis… Et d’abord, comment tu peux ne pas être un tant soit peu écolo ? Tu ne vois pas ce qu’il se passe, le dérèglement climatique, les catastrophes qui s’enchaînent…

— Je roule au gazole, sans vanne EGR et décata ! RLAAA !

— Oh mon Dieu ! Mais tu es… Tu es… s’étouffa la pauvresse, scandalisée comme si j’avais fait dans le lit comme un vieux con incontinent.

— Je roule toujours à fond, je me fous de la terre, après moi le déluge. Yalla !

— Mais c’est… un manque total de conscience… Tu es un sociopathe !

— Pas plus que tous les dirigeants du monde qui veulent réduire la planète en cendre pour apprendre aux autres ce qui est juste et bien. L’apocalypse nucléaire est le fantasme inavoué des grands. Moi c’est niquer la foune, eux, c’est le bouton rouge. Chacun son truc.

— C’est une vision trop simpliste et manichéenne ! Il y a des dirigeants bien. Par exemple en France, le président est très à l’écoute de sa population, on sent l’homme de conviction, animé par de hautes valeurs morales…

— Babababa… Attends, je vais vomir et je reviens...

Dans un mouvement convulsif, elle m’agrippa le bras.

— Et même si certains sont… bref, l’homme est ce qu’il est, il ne faut pas se mentir… Mais la féminisation de la société est une avancée majeure qui laisse entrevoir une lueur d’espoir. Et il faut tout faire pour empêcher le désastre. Il faut se battre. C’est pour ça que j’ai rejoint le groupe des « amis de la terre ». Parce qu’au départ, je ne suis qu’une scientifique, une intellectuelle, je suis ingénieur agronome, si tu veux savoir. J’étais bien loin de l’action violente, j’étais juste scandalisée par le mal fait à la nature. Parce que la nature est belle. Prends les animaux… ils sont si beaux…

— Ils passent leur temps à se bouffer les uns les autres…

— Mais… Non, voyons ! C’est trop réducteur !

— Ils attendent même pas que leur proie soit morte pour la becqueter… Au moins quand on chasse à courre, on met une bastos dans la tronche de Bambi et après on lâche les chiens…

— Ne me dis pas que tu… Cette abomination… Je ne peux pas le croire, ce serait trop… Tu me fais marcher, encore !

— Moi ?

— Je le vois dans tes yeux ! Je lis en toi comme dans un livre ouvert !

— Tu ne vois rien du tout, il fait noir. T’es mutante ?

— Tu me provoques ! Mais cela ne m’atteint pas. D’ailleurs, je sens que tu es bon au fond.

— Moi bon ?

— Bah oui… Un autre m’aurait déjà baisée… Pas toi. Tu es homo ?

— Juste Belge.

— Ah… Je vois. De toute façon, j’ai un QI de 180… Alors n’essaye pas de me raconter des bêtises. Tu es un pauvre serveur, comment pourrais-tu chasser à courre… C’est invraisemblable, c’est puéril.

— Tu me prends pour un menteur ?

Elle me sourit comme a un demeuré. J’eus une envie sauvage de la culbuter, mais cela ne se fait pas dans le monde actuel, c’est puni par la loi. Elle reprit :

— Tu sais, moi j’aime le camping. Dès que je peux, je file en balade dans les endroits les plus reculés, loin du monde, en pleine nature sauvage, par tous les temps, avec mon petit chien… Je t’ai parlé de mon bébé ? Non, je ne crois pas. Il s’appelle Papito…

— Pépito ?

— Non PAPITO. Au départ, je voulais l’appeler Parzifal, mais ça m’a paru trop clinquant, parce que c’est un petit caniche tout mignon, tout beige, tout drôle, un amour. Alors tu vois, dire « Parzifal au pied », ça me gênait. Aussi après réflexion, j’ai opté pour Papito. Ça lui va bien, et d’ailleurs il a approuvé ce choix…

— Il a voté ?

— Mais non, c’est un chien ! Je ne suis pas sûre que tu sois très attentif.

— Tu me dis que tu as un sale cabot qui pisse et chie partout chez toi ?

— Mais non ! Il est bien élevé ! Mon Papito sait se tenir !

— Il fait chez les autres ?

— Non plus !

— Il fait pas, alors ? Il va mourir… Il est mort peut-être.

Scandalisée d’une telle idée, elle me donna une tape sur l’épaule.

— Tu n’aimes pas les animaux ? Je ne peux pas le croire ! Mais on ne peut pas ne pas aimer les animaux ! C’est impossible ! C’est… c’est inhumain !

— Bah, j’aime pas les gosses, les bébés, les vieilles connes, les vieux, les Français, les Suisses, les immigrés…

— Assez ! Je ne te crois pas !

— Mais tu vois, ceux que je déteste le plus, ce sont les pauvres. Alors eux… C’est pour ça que j’ai quitté la France. Trop de pauvres.

— Tu es Français ! Je le savais. Tu n’es pas Belge ! Tu n’as pas l’accent !

— Je suis Belge ! J’ai émigré ! Je suis résident Belge !

— Oui… En vérité tu es bien Français. On n’aime pas beaucoup les Français en Suisse… Toujours à s’imaginer être supérieurs aux autres… Donneurs de leçons.

— Ça veut dire que tu m’aimes pas ?

— T’aimer ? Mais comment cette idée a pu traverser ton esprit ? Je te suis reconnaissante de nous avoir aidé et de m’héberger… Rien de plus.

— Tu me fais de la peine.

— Moi ? Vraiment ? Je sais que tu te moques encore… Mais je ne t’en veux pas. J’ai l’habitude, les hommes n’aiment pas les femmes intelligentes. Ça les perturbe.

— Moi pas. Mais c’est vrai que tu es trop intelligente.

— Trop ? Mais… peut-on être trop intelligent ?

— Bah oui, c’est quand on a la tête dans le cul…

Elle se redressa folle de rage, prête à mordre. Puis, elle se ravisa, sans doute suivant une inspiration soudaine.

— Tu es bizarre ! Je n’arrive pas à te cerner.

— Cherche pas, ma poule, tu t’y perdrais.

Elle se rallongea, songeuse. Je regardais les chiffres rouges du réveil sur la table de chevet. Le temps n’avançait pas, le sommeil me fuyait, dans quelques heures, il me faudrait ramener le collier à cette malfaisante de Ponzzi… Ça me rendait malade. Sophie repartit dans son bavardage.

— Tu sais, je suis une bonne cuisinière, sans me vanter, on dit que je suis un cordon bleu. En réalité, je suis gourmande, j’aime la bonne cuisine. Je suis une gastronome. Et toi, tu aimes la grande cuisine ?

— Moi ? J’aime les crêpes… un bon kebab ave les mouches d’où l’expression consacrée « une mouche dans le kebab », de temps en temps… une poutine bretonne avec le supplément de sauce… le falafel aussi…

Cette fois, Sophie fit un bond dans le lit, comme électrisée. Elle était carrément en état de choc, en France son état aurait nécessité une cellule de soutien psychologique, voire même deux si les restrictions budgétaire le permettait. Elle se jeta sur moi et me tabassa à bras raccourcis. Une tannée ! Qu’est-ce qu’elle m’a mis, mais qu’est-ce qu’elle m’a mis, la Suissesse. Et après on va me raconter que la Suisse est un pays neutre. Pas avec moi, cousin ! La Suisse est en guerre contre le Lorenzo, moi je te le dis.

En réalité, si je l’avais violée avec les potes dans une tournante fraternelle avec le « à toi, à moi », elle m’en aurait moins voulu, je crois. Même, elle m’aurait pardonné, parce que c’est la faute de la société, si je suis une racaille. Mais ça ! C’était impardonnable comme les sortilèges interdits de HP. Pire, même, direct à Azkaban.

— Mais qu’est-ce que j’ai dit ?

— Tu es ignoble ! Tu es scandaleux !

— C’est le kebab, c’est ça ? Tu digères pas le kebab ?

— Tu es un monstre !

— Ça veut dire que tu m’aimes pas ?

— Mais on ne peut pas t’aimer ! C’est impossible !

— Tu me fais trop de la peine, tu sais ça ? Tu le sais ?

Oui, il y a des femmes qui réagissent mal au mot kebab. Les blagues salaces elles tolèrent, mais ça… Va savoir pourquoi, parce qu’en France, c’est le plat national avec le couscous, et il y a beaucoup de meufs en France, non ? Enfin, il y a longtemps que j’ai cessé d’essayer de comprendre le sexe fort qui se prétend faible, le sexe qui t’envoie en ‘zon pour un mot de travers ou un regard. Si tu complimentes une femme, tu harcèles. Si tu lui dis qu’elle est vilaine tu diffames. Si tu ne dis rien tu n’en penses pas moins et on te poursuit aussi pour pensées inconvenantes et intentions malveillantes. Le monde est homo ou n’est pas. Telle est la nouvelle logique. Reste woke, frérot.

Renfrognée, les bras croisés, Sophie pensait fort et se détournait ostensiblement de moi.

— Dis Sophie…

— Ne me parle pas !

— T’es maquée avec le chauve tout niais ?

— Mais non ! C’est un camarade…

— Avec le frisé ?

— Non plus ! Je te vois venir ! Tu n’as aucune chance ! Sale Français !

Un silence pesant se fit.

— En tout cas…

— Quoi encore ? fit-elle, agacée.

— Moi, je ne suis pas un criminel recherché par toutes les polices Belge… Je dis ça, je dis rien.

— Oh mon Dieu… Mais qu’est-ce que j’ai fait… Ma vie est foutue… Que va devenir mon Papito ?

— Ouais… T’es dans la merde. Faut que tu dégages d’ici dès le lever du jour. Vous ne pouvez pas rester !

— On voulait juste effrayer cette pollueuse de Ponzzi… Une prise de conscience à tous ces privilégiés qui abusent du jet privé, du yacht…

— Il y a eu kidnapping… Ça va chercher cher… Au moins vingt ans de ballon.

— C’est pas possible !

— Avec un bon avocat, ça se plaide… Vous m’avez relâché…

Sophie tremblait de tous ses membres, totalement désemparée.

— Tu veux qu’on aille se manger une bonne glace ? fis-je.

— Oh oui ! Ça me fera du bien… Je crois.

Elle s’enfila un pot complet d’Hägen-Dasz, le modèle XXL ! C’est dingue ce qu’une fille est capable de manger. Tu te demandes où ça va… Quand elles ne sont pas périmées (jeunes) ça passe, mais dès qu’elles sont mûres elles grossissent du cul, une misère. Après elles se demandent pourquoi les mecs préfèrent les jeunes. Et ça se dit supérieurement intelligente.

Après ça, elle décida de faire une partie d’échecs avec moi… La pauvre… Elle était mal, mais après… elle n’était plus rien, elle voulait mourir. Le QI de 180 était ruiné par un Français de merde.

Elle s’empara d’un couteau à beurrer et me le colla sous le nez.

— Lorenzo, je vais faire une bavure !

— Tu vas me beurrer la face ?

— Je suis très sérieuse ! Il faut t'empecher de nuire !

— Tu me fais trop peur ! Je fais chier dans mon ben !

Annabelle arriva fort à propos :

— Mais qu’est-ce que vous fichez tous les deux ?

— Je veux le tuer !

— Il t’a baisée ?

— Même pas !

— Tu es pédé ?

— Belge.

— T’es bizarre comme mec !

— Tout le monde me le dis. J’ai rien fait ! Je suis innocent !

— Pourquoi, tu veux le tuer ?

— Il est… Oh si tu savais, ce qu’il est… Il n’y a pas de mots !

— Mais quoi ?

Totalement à bout, Sophie reposa son couteau et leva les bras au ciel. C’était au dessus de ses forces, toutes les limites étaient franchies.

— Il roule au Diesel ! finit-elle par dire.

— L’enflure !

— Tu vois !

C’est à ce moment qu’on sonna à la porte. Ce n’était pas Liliane, elle avait sa clé. Intrigué j’allai ouvrir.

Le jour pointait, une lueur glauque irradiait dans le ciel. Le combi électrique était garé devant le porche et les deux acolytes des filles étaient là, toujours aussi ridicules.

— Venez les filles, il faut filer ! On a pu recharger la batterie !

Sophie et Annabelle se précipitèrent. Au moment de franchir la porte, Sophie se retourna :

— Merci pour tout Lorenzo. Tiens, un petit cadeau !

— Mais qu’est-ce que c’est que cette bouse ?

— Une gourde pliable pour ne pas utiliser les gobelets jetables qui tuent les tortues de mer.

— J’aime pas la couleur.

— C’est fait avec des matériaux recyclés.

— Beurk.

— Fais un effort, pour la planète. Je sais qu’il y a du bon en toi.

— J’aurais préféré un bisou.

Elle effleura ma joue de ses jolies lèvres et s’engouffra dans le combi. Dans un léger bourdonnement le véhicule s’éloigna et disparut.

J’étais seul à nouveau. Alone again. Pauvre toujours.

It seems to me that

There are more hearts broken in the world

That can't be mended

Left unattended

What do we do

What do we do

Alone again, naturally

J’allais manger mes céréales en regardant les dessins animés parce que les informations propagande gouvernementale m’ennuient. Inutile d’être prévenu à l’avance de la fin du monde. L’important n’est pas de survivre, l’important c’est d’être riche.

J’avais à faire.

Bzzz !

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