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Dans la matinée je me préparais, la mort dans l’âme, en proie à un désespoir tangible (oui je répète pour ceux qui ont la comprenette lente), à aller rendre le Bvlgari à la baronne. Avais-je vraiment le choix ? Cela me faisait un mal de chien et j’étais d’une humeur massacrante. J’allais le chercher dans la cachette aux trésors en prévision des mauvais jours que la vie ne manque pas de me concocter avec délectation. J’embrassai le précieux avec tendresse et pleurai un coup en poussant des cris déchirants. Le mot terrible revenait comme une litanie dans mes sanglots. Lequel ? POURQUOI ?

Je crois qu’il n’y a rien de pire au monde que voler un voleur. Non, rien.

Au moment d’ouvrir la porte, je tombais nez à face avec… une grosse ! Je ne sais pas pourquoi les grosses me font cet effet. Je poussai un cri (de désespoir, encore, journée pourrie).

— AYAAAAAAAAA !

Elle sursauta et fit un bond en arrière, puis reprenant une contenance :

— Bonjour monsieur Bueno. Je suis le chef adjoint Dejonts, police urbaine. J’ai quelques questions à vous poser… pour le rapport, concernant les évènements tragique de cette nuit.

— J’ai déjà tout raconté. J’ai pas le temps.

— Monsieur Bueno...

— J’ai une course à faire !

— Monsieur Bueno !

— Mais quoi ? J’ai déjà tout dit !

Cette brunette dodue, avec la casquette vissée sur le crane, fièrement galonée, un chignon retenant ses longs cheveux auburn, avait un visage doux, des yeux noisette, un petit nez mignon. Le visage seul passait, mais le reste… Elle remplissait largement son uniforme impeccable et sa ceinture peinait sous le poids de son imposant calibre. Son centre de gravité placé très bas lui donnait l’allure d’un culbuto. Tandis que je la détaillais, elle fronça les sourcils et m’inspecta de même, façon flic méfiant, sentant le larron. Il y avait de l’électricité dans l’air.

— Monsieur Bueno… Vous êtes Français, je crois…

— Non Belge.

— Enfin, c’est très récent, très… enfin... ici en Belgique, on aime pas beaucoup les Français.

— En France, on aime pas la Police.

— Monsieur Bueno ! Vous ne voulez pas aider la police à retrouver les terroristes ?

— Je m’en fous ! J’ai à faire ! Bzzzz !

— Vous préférez que je vous coffre et qu’on vous interroge au commissariat ?

— C’est abus de pouvoir ! Je vous rappelle que je suis la victime. C’est moi qu’on a kidnappé !

— Monsieur Bueno !

— Je veux mon avocat ! Maitre Fitoussi…

— Quoi ? Vous… Hein ? Qui ?

Soudain, je réalisais avec effroi que j’avais un Bvulgari volé dans un sac Carroufe et que si j’étais coffré et fouillé je partais dans une vrille mortelle. Je suis menteur mais justifier ce bijou c’était largement au-dessus de mes capacités. Aussi, je décidai de faire bonne figure à la maréchaussée malgré mon allergie sévère à cette race dégénérée.

— Vous voulez une tisane ? fis-je avec un sourire huileux, dévoilant mes crocs.

La fliquette m’observa décontenancée puis acquiesça.

— Un café, ça sera très bien, fit-elle, entrant et scrutant les lieux avec curiosité. Vous vivez seul, ici ?

— Non, c’est la maison de ma femme. Elle est chez son ex pour les fêtes.

— Votre femme est chez son ex ?

— On est pas vraiment marié…

— Vous me dites que votre femme est chez son ex et ça ne vous dérange pas ?!

— Vous connaissez les femmes… Toutes des salopes ! Mais on a plus le droit de les taper maintenant… Il paraît que c’est mal...

— Monsieur Bueno, vous êtes sérieux ?!

— Mais quoi ?

— Vous êtes… Vous êtes…

— Une victime, ne l’oubliez pas !

Elle respira un grand coup, médita, puis lâcha :

— Essayons de nous concentrer, voulez-vous…?

— Un sucre ?

— Deux, merci.

— Vous ne préférez pas une sucrette… Non, je dis ça, rapport à…

— À ? fit-elle, se raidissant, prête à sortir le taser.

Je fis un geste évasif suggérant sa bedaine ventrue, elle s’empourpra :

— Monsieur Bueno, vous avez quelque chose à me dire ?

— Non, non.

— Ne vous gênez pas ! J’ai déjà tout entendu, vous savez...

— Je veux mon avocat…

Elle leva les yeux au ciel.

— Je vois que j’ai affaire à un comique. Vous n'êtes pas très courageux, hein ?

— J’évite l’outrage et les poursuites. Mon courage s’arrête là où la connerie commence.

Elle plongea ses yeux dans les miens. Je détournai le regard; non vraiment, les grosses et les vieilles, c’est trop, c’est abuser, ça pique les yeux. Elle s’empara d’un petit carnet spiralé, tourna les pages puis :

— Votre description des terroristes est très… imprécise.

— J’ai rien vu ! J’étais…

— Quoi ?

— Terrifié !

— Vous ? Vraiment ? Qui l’eût cru ?

— Moi.

— Bon… Admettons… Mmmm...

— J’avais peur ! Voilà !

— Mmmm… Ils étaient quatre ?

— Plus… Plein… Une bande de fous ! Méchants, violents, des monstres ! Ils faisaient trop peur ! Leurs yeux surtout… des yeux de malades… et leurs mains !

— Quoi leurs mains ?

— Ils avaient beaucoup de mains… des mains partout ! Pleines de doigts…

— Vous vous foutez de ma gueule ? Je vous préviens...

— La vérité si je mens !

Elle respira profondément, gribouilla quelques mots dans son calepin, puis :

— Ils étaient combien ? Plus de quatre ? Dans la maison, ils étaient quatre, tous les témoins sont unanimes, deux hommes et deux femmes.

— Dans la salle à manger du manoir ? Oui… Oui… Mais il y en avait d’autres… Plein d’autres.

— Combien ?

— Une troupe.

— Plus précisément ! Monsieur Bueno, faites un effort !

— Au moins… Je dirais… Facilement… À la louche...

— Monsieur Bueno ! Je tiens à vous prévenir que votre attitude est très suspecte !

— Attends, je compte.

— Monsieur Bueno !

— Pi t’être… dix.

— Quoi ? Dix ? Vous êtes sûr ? C’est impossible.

— C’était la nuit, j’étais crevé ! Je bossais moi ! Servir les riches… Apportez ceci, allez chercher ça… En plus avec le costume de bouffon, la perruque, les bas…

— Ils avaient combien de voitures ?

— Plein. Un tas ! On ne savait plus où les mettre… Ces batards… Que du luxe…

— Les terroristes, pas les invités !

— J’en sais rien.

— Ils vous ont embarqué dans quelle voiture ?

— Une sorte de véhicule à moteur…

— Vous vous foutez de moi ! Je vous embarque ! J’en ai assez !

— Attendez… C’était une camionnette, je crois.

— Quelle marque ?

— Une Pigeotte ! Une sale Française...

— Une Peugeot ?

— Voilà ! C’est ça ! Elle sentait le cul cette camionnette.

Manifestement épuisée, la cheffe adjointe respira profondément. Son regard clair brillait d’intelligence. De toute évidence, elle ne gobait pas mon histoire. C’était bien ma veine de tomber sur une fliquette pas trop niaise.

— Ils vous ont menacé, c’est ça ?

— Qui ?

— Les terroristes !

— Ils voulaient me zigouiller ! Mais j’ai dit que j’avais des gosses et une femme…

— Et ils vous ont relâché ?

— J’ai menacé de vomir quand même.

— Vous avez… Quoi ?

— J’étais malade. Dites, faut vraiment que j’y aille, là !

Elle était à bout. Elle imaginait de me coller une bastos avec son calibre énorme probablement. Mais en bonne professionnelle elle se contint tout en fixant son calepin. Elle avait une envie furieuse de m’embarquer mais semblait manquer de motif suffisant.

Les grosses sentent que je ne les aime pas, je ne sais pas pourquoi. Sans doute un sixième sens qui s’acquiert avec le lard fessier.

— Bon, bon… nous allons en rester là, fit-elle. Ne quittez pas la ville. Je serais probablement amenée à revenir pour éclaircir certains points. Votre déposition est très confuse. Vous savez, en Belgique, il n’y a pas de crime impuni. Les coupables sont toujours arrêtés. TOUJOURS !

— Toujours ?

— Toujours !

Elle finit sa tasse de café et fit quelques pas vers la sortie.

— Monsieur Bueno, quelle est votre profession ?

— Consultant.

— Consultant ? En quoi ?

— Je consulte… Je donne mon expertise quoi…

— Mais dans quel domaine ?

— Tous les domaines… C’est varié, vous voyez… Un jour ici, un autre là...

— Vous ne répondez jamais aux questions ?

— Je réponds, je réponds !

Elle dodelina du chef.

— Et vous faites le serveur en costume ?!

— Je suis pauvre ! La conjoncture actuelle n’est pas facile, les gosses c'est ruineux. C’était un extra. C’est un crime ?

— Non, non… Du tout. Vous êtes bizarre, monsieur Bueno. Très bizarre ! Je vous aurais à l’œil.

— J’ai rien fait !

— Bonne journée.

La porte franchie le poids qui m’empêchait de respirer s’envola. L’allergie à la Police est un truc terrible.

Je m’emparai de mon sac en plastique contenant le « précieux » et m’engouffrai dans ma vieille voiture Diesel, honteusement polluante. J’aime polluer, cela me donne le sentiment d’emmerder le monde et c’est doux comme un chocolat après une agression par un détraqueur, parce qu’on doit subir toute la journée un tas de frustrations usantes. Se venger du sort est très sain, il faut exprimer son mécontentement. Surtout quand une flic, grosse et suspicieuse vient vous pourrir la matinée.

Je déboulai au manoir de la baronne Ponzzi, passant devant le Philibert et la Maryse ébahie de mon sans-gêne. J’entrai sans attendre qu’on m’y invite, je voulais me débarrasser au plus vite de cette corvée honteuse.

Un vieux tout gâteux, en tweed, très digne, descendait l’escalier double menant aux étages, à la limite de la culbute à chaque degré.

— Monsieur ? Qui êtes-vous ?

— Je viens voir la baronne.

Interloqué, il me dévisagea.

— Vous êtes l’amant de ma femme ?

— Plaît-il ?

Le vieux tout instable finit de descendre les quelques marches qui restaient et vint se poster devant moi. J’eus envie d’éternuer pour l’envoyer bouler au diable.

— C’est vous l’amant de ma femme ?

— La baronne ?

— OUI !

— La vieille ?

— Hein ?

— C’est une blague ? Tu m’as bien regardé, le vieux ?

— Mais qu’est-ce qu’il raconte, l’animal ? Vous êtes Belge ? Nous somme en Wallonie ici. Parlez Français. Le Flamand m’insupporte.

— Autant Belge que toi et je te merde !

C’est alors que les évènements devinrent un peu chaotiques et c’est un euphémisme. Mais je doute que vous ayez envie d’en savoir plus.

J’ai à faire.

Bzzzz !

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