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« Les jeux sont faits, rien ne va plus ». Tout allait de travers en réalité, c’est l’histoire de ma vie. Les choses les plus simples finissent toujours par virer à la catastrophe.

Un bonhomme en moustaches et uniforme, tout grisonnant, bedonnant d’avoir abusé à la cantine, arborant une dignité ridicule, s’interposa :

— Qu’est-ce qu’il se passe donc ici ?

— Te mêle pas de ça ! commençai-je.

— Monsieur, c’est la police Belge !

— Et alors ?

— Mais c’est que nous avons là, un drôle d’énergumène.

Mais le pire était encore à venir.

— Monsieur Bueno ? Vous ici ? fit la voix agaçante du chef adjoint Dejonts.

— C’est pas possible, c’est du harcèlement policier !

— Du tout, monsieur Bueno. Nous ne faisons que notre travail. Il y a eu un attentat ici, hier soir !

— Pfff !

— Vous connaissez ce monsieur ? demanda le chef.

— Oui chef. C’est le suspect dont je vous ai parlé.

— Moi suspect ? Je suis une victime !

— Oui… Enfin, vous refusez de répondre aux questions qu’on vous pose. Ce n’est pas l’attitude qu’on attend d’une victime.

— Moi ? Mais c’est de la calomnie. J’ai répondu à toutes les questions. Je sais rien ! Rideau, fin de l’histoire !

— Le Français ? fit le chef, me dévisageant tout en hochant la tête. Avec ces gens, il faut s’attendre à tout.

— Je suis Belge, bordel !

— Vous êtes en Belgique, nuance…

— Vous n’avez pas ce qu’il faut pour être Belge, ajouta insidieusement l’adjointe.

— Je rêve ! C’est du racisme anti-Français ! Je me plaindrais !

Les deux flics se regardèrent puis le chef reprit :

— Que faites-vous donc ici ?

— Je viens voir la baronne ! Elle m’a demandé de passer ce matin.

— La baronne ? Vous ? fit le sénile qui m’avait accueilli.

— J’ai fait un extra hier au dîner ! Je viens chercher mon fric !

— Un serveur… Et vous pensez que la baronne va parler à un simple serveur ? Voyez ça avec Philibert ! Ouste, canaille !

— Qu’est-ce qu’il me dit le vieux con ?

— Monsieur, restez poli ! s’interposa le chef. Restez poli.

— Si je veux ! On est en démocratie !

Le flic posa la main sur mon épaule. Mon sang ne fit qu’un tour. D’un mouvement fluide, je me dégageai et hurlait :

— Madame Ponzzi ! Madame Ponzzi !

— Chef Cagneux, arrêtez cet homme, s’indigna le vieux riche. C’est un voyou de Français !

— Monsieur Bueno ! fit l’adjointe, se mettant devant moi et me barrant le passage.

C’eut été un homme, elle aurait pris mon genou dans les burnes et c’était mérité. Hein ? Non, je ne suis pas violent, juste je n’aime pas la flicaille qui fait du zèle et qui est raciste. C’est tout.

— Qu’avez-vous dans ce sac, monsieur Bueno? demanda le chef.

— Hein ? Mes affaires.

— Mais encore ? ajouta l’adjointe.

— Rien. Du linge.

— Du linge ? Faites voir !

— Vous avez un mandat ?

— Monsieur Bueno, ouvrez ce sac ! fit le chef me braquant son arme de service qui n’avait probablement jamais servi. Reculez Dejonts ! Cet homme est armé !

— Moi armé ? J’ai une paire de couille qu’il te manque, c’est sûr...

— Monsieur Bueno, dans le cadre de notre enquête, je vous arrête ! Ouvrez ce sac ! fit l’adjointe tout en se débattant pour dégainer son arme. N’y arrivant pas, elle me braqua une bombe de poivre.

— Nan ! Je refuse. Butez-moi ! Faites une bavure ! Vive la France !

Très dignement, je bombai le torse et fit face à l’adversité avec la classe Française.

— Monsieur Bueno, dernière sommation ! Ouvrez ce sac ! fit Dejonts.

— Je veux mon avocat ! Maître Fitoussi…

— Il n’y a pas de maître Fitoussi ici en Belgique ! Mais vous en aurez un commis d’office, observa le chef. Au poste !

— Jamais ! Je suis innocent ! Madame Ponzzi ! Madame Ponzzi !

— J’ai mis ma femme à la porte ce matin, monsieur ! Elle n’est pas ici ! expliqua le sénile en tweed.

— Hein ? Mais pourquoi ?

— Cela ne vous regarde en rien !

— C’est normal qu’elle couche ailleurs, tu t’es vu, le vieux débris…

— Chef Cagneux, vous allez tolérer que cet homme me parle ainsi ! J’en référerai à qui vous savez !

C’est à ce moment précis que Dejonts décida qu’il fallait me punir. Aussi lança-t-elle une giclée de gaz lacrymo qui lui gicla à la face ainsi qu’au chef, la buse étant probablement défectueuse, restrictions budgétaire oblige.

La police Belge suffoquait, hurlait, se débattait, pleurait beaucoup. Le vieux baron se pâma. Je le rattrapai, le calai sur un fauteuil et lui collai une petite baffe. J’avais besoin de me calmer les nerfs, c’est humain.

Que faire ? Me carapater ? C’était la logique. Va savoir pourquoi, mais mon bon cœur me perdra. J’allai chercher de l’eau et des serviettes pour la police aveuglée.

Les beaux yeux de l’adjointe étaient rougis. Elle me regarda avec un air d’incompréhension total.

— Monsieur Bueno…

— Hein ?

— Qu’est-ce qui ne va pas chez vous ?

— J’aime pas les flics.

— Vous êtes dingue ! Vous prenez des médicaments, c’est ça ?

— Finalement, t’as de beaux yeux… un gros cul, mais les yeux, ça va.

— Monsieur Bueno ! Vous êtes en train de me draguer ?

— Du tout.

— Il y a outrage, vous savez ?

— Sérieux ?

— Vous aggravez votre cas…

— C’est possible ?

Elle se contenta de sourire tout en se passant la serviette humide sur ses yeux brûlant.

— Bon, bah je vais vous laisser, fis-je.

— Monsieur Bueno, vous êtes en état d’arrestation.

— J’ai rien fait !

— Qu’y-a-t-il dans le sac ?

Vous pensez que la situation était calamiteuse ? Point encore. Le pire était encore à venir.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? s’exclama le chef Cagneux, extirpant le Bvlgari du sac Carrouffe que par une négligence coupable, j’avais abandonné pour venir en aide aux tocards.

— Mais c’est… Mais c’est… LE BVLGARI, hurla le vieux baron, suffoqué. Au voleur ! Au voleur !

Sur le moment, mes pensées étaient confuses. Je conjecturai sur le confort des prisons Belges, la qualité de la cantine, la surpopulation… Avais-je encore suffisamment de vocabulaire arabe pour m’y faire une place ?

Dejonts me prit la main et la serra très fort :

— Vous êtes un voleur, monsieur Bueno ?

— La vie de ma…

— Ne dites plus un mot ! Attendez votre avocat.

— Mais putain ! Demandez à madame Ponzzi !

— Nous le ferons. Vous allez devoir nous suivre… Vous voulez bien ?

— Oui, mon brave. Aidez-nous, fit le chef, tout titubant. Dejonts, je vous retiens avec vos initiatives… Qu’est-ce que vous nous avez mis ! On va crever...

— Mais chef, ce n’est pas ma faute ! C’est le matériel !

— Dites, vous allez pas conduire comme ça au moins ?

Oui, il me fallut ramener dans ma voiture, la police Belge aveuglée, au commissariat de la police municipale. Comme j’avais secouru on m’était chaudement reconnaissant, mais le règlement interdisait à un civil de conduire un véhicule de police. Le chef affirma qu’on m’en tiendrait compte.

Au poste, on me regarda comme un type bizarre. On me laissa téléphoner, j’appelai maître Fitoussi :

— Lorenzo ? Qu’est-ce que t’as encore fait ?

— J’ai rien fait ! Je suis innocent ! Comme d’habitude !

— Tu as avoué un truc ? Tu sais qu’il faut fermer ta gueule ?

— Tu me prends pour un cave ? Tu connais un cador en Belgique ?

— Le meilleur ! Maître Oud. Je l’appelle.

— Il est bon ?

— Tu vas gicler de là, tu vas voir. Tu seras dehors avant… Tu seras dehors.

— Oud, tu dis ?

— Tu fermes ta gueule. Pas un mot. Ils ont quoi contre toi ?

— Un Bvlgari.

— Bordel ! Comment c’est possible ?

— Et en plus, je venais le rendre…

— Lorenzo faut que tu lâches le métier, tu te fais trop vieux. T’es devenu con.

— Je sais. C’est foutu ?

— Avec Oud, tu as une chance… Petite, mais… Sur un vice de procédure, c’est jouable. Dans quelques années tu seras dehors… Bon, je te laisse. Ne m’appelle plus. Tu me déçois beaucoup Lorenzo…

Oui, j’étais tombé bien bas. Mais le fond est sans limite. On peut continuer à tomber encore plus bas. Le pire n’est jamais décevant parait-il. Mais moi j’étais un max déçu.

Dejonts m’interrogea, les yeux gonflés et rouges, tapant à deux doigts sur son clavier d’ordi pour saisir ma déposition avec grand peine. Pourquoi cette meuf voulait absolument me poser des questions ? C’était du domaine de l’incompréhensible féminin.

— Ce collier, monsieur Bueno ?

— Jamais vu.

— Il était dans votre sac !

— C’est ton chef qui l’a mis là ! Vous voulez me coller un délit sur le dos. C’est trop facile.

— Monsieur Bueno… Et si vous me disiez la vérité, pour une fois.

— La vérité !

La flic leva les yeux au ciel ce qui lui colla un violent mal de tête. À taton, elle prit son téléphone et appela un psychiatre de garde pour une expertise, tant elle était convaincue que je ne jouissais pas de toutes mes facultés.

— Vous êtes trop bizarre, monsieur Bueno. Sympathique, mais bizarre.

— Moi bizarre ?

— Vous voulez que j’appelle votre femme ?

— Ne vous donnez pas cette peine…

— Pourquoi?

— Elle s’en fiche.

— Vous pensez qu’elle s’en fiche ? Elle vous l’a dit ?

— Je le sais, c’est tout. Personne ne m’aime, c’est comme ça.

— Pourquoi vous dites ça ?

— La vérité.

— Votre femme vous a quitté ?

— Voilà.

On me laissa moisir en geôle en attendant le psy. J’étais au bout de ma vie, mais je sais attendre. Je révisai mes ouvertures d’échecs mentalement. Cela me fit oublier ma misère.

Un grand chauve, très maigre avec des lunettes cassées et un grand mouchoir à la main, arriva.

— Monsieur Bueno ?

— C’est moi.

Il souffla, visiblement très las, puis se moucha.

— T’es malade, Doc ?

— Covid…

— Pourquoi tes lunettes sont cassées ?

— En éternuant, je me suis… Vous… me tutoyez ?

— On ne peut sérieusement pas te vouvoyer, frérot.

— Monsieur Bueno ! Je … J’ai regardé votre dossier et je ne trouve pas trace de… Vous êtes vacciné ?

— Moi vacciné ? Tu me prends pour un con ?

— Gardien ! Gardien ! Vite !

Vous pensez que j’étais dans la merde la plus profonde ? Non, non. Il fallait en rajouter une couche, du rab comme on dit en Frankaouiland.

— Qu’est-ce qu’il se passe docteur Semi ?

— Terroriste biologique ! Je mets le poste en quarantaine !

— Qu’est-ce que vous dites ?

— Il n’est pas vacciné !

— Mais c’est impossible ! Cela ne se peut ! Cela ne se doit !

— Monsieur Bueno, vous êtes vacciné, hein ? Comme tous les Français ?

— Bah nan… Je suis allergique aux vax. Si on me vax, je meurs.

C’était la fin du monde au commissariat. On courrait dans tous les sens, on criait, on s’affolait. Fort heureusement, une cellule de soutien psychologique arriva avec la musique d’ascenseur apaisante-ronronnante qui répétait en boucle « tout va bien, respirez calmement ».

Dans cet affolement, je fermai les yeux. Un air me revint en mémoire, une musique venue d’outre tombe qui allait bien avec mon mood :

I don't want to set the world on fire

I just want to start

A flame in your heart

In my heart, I have but one desire

And that one is you

No other will do


Ma vie était foutue. Rien d’autre à dire. Rien à faire. Foutue.

Bzzzz !

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