Le docteur Semi, revint, masqué, ganté et capoté (comme le chat capoté, voyons).

— Monsieur Bueno j’ai quelques questions à vous poser.

— Je ne réponds pas aux questions.

— Hein ? Mais pourquoi ?

— Par principe. C’est la règle numéro six.

— Vous… La règle ? Vous suivez des règles ?

— Évidemment. Pas toi ?

— Mais… Si bien sûr… Quelques questions… J’y suis obligé… C’est la règle vous comprenez ?

— Alors ça va.

Le doc s’épongea le front avec son mouchoir plein de morve puis retirant son masque qui l’asphyxiait, se moucha de nouveau.

— Tu vas mourir doc…

— Hein ? Mais non, voyons ! Je suis vacciné. Quatre doses !

— Comment ce fait-ce que tu as Covid, ma poule ?

— C’est un variant ! Nous nous dispersons… Reprenons, voulez-vous ?

— Non. J’ai peur que tu me colles tes miasmes ! Suis pas vax.

— Hein ? Mais vous étiez d’accord !

— J’ai changé d’avis.

— Répondez au moins à cette question : vous considérez-vous comme une femme, un homme, un non binaire…

— Tu m’as bien regardé, dis !

— Monsieur Bueno… Une réponse simple… On ne vous demande pas la lune !

— J’ai baisé au moins… Attends, je compte… 1003 femmes, bordel ! Le Lorenzo, c’est moi !

— 1003 ? Vous en êtes sûr ? C’est un chiffre étonnamment précis.

— Comme Don Giovanni ! Pareil ! De toute façon, passé mille, qui compte encore ?

— Ce n’est pas faux. Vous considérez-vous comme mentalement sain d’esprit ?

— Complètement barge, cousin. Dans le monde actuel qui est siphonné grave, je suis totalement inadapté. Faut être complètement barré pour copuler une meuf actuellement. On risque la prison rien que pour lui avoir dit bonjour, alors aller y mettre Youssouf dans la crèche…

Le doc médita mes paroles tout en dodelinant du chef. Le monde de demain sera tarlouze ou ne sera pas, il fallait bien en convenir. Il commenta :

— Ah, je vois… Je vois… Irresponsable ?

— Complètement.

— Pouvez-vous me donner des exemples ?

— Je suis totalement zététicien, j’approuve le Darwinisme...

— Mais non… fit le doc consterné.

S’il avait été curé, il aurait jeté l’anathème sur moi. Il reprit visiblement très affecté :

— Quoi d’autre ?

— J’aime pas les pauvres, les migrants, les socialistes...

— Sérieusement ?

Le doc se tordait les doigts et se mordait les lèvres pour ne pas crier. J’ajoutai :

— Je suis pas marié.

— Assez ! Assez ! Taisez-vous ! Silence ! Totalement sociopathe ! Au moins, regardez-vous un peu la télévision ?

— La propagande gouvernementale qui veut aller refaire la guerre de Crimée comme en 14 ? Beurk.

Le doc me fixa d’un air de dégoût profond, comme si j’étais porteur du bacille de Hansen. Il reprit :

— Monsieur Bueno, êtes-vous un mythomane ?

— Je dis toujours la vérité.

Il fit un bond sur son siège.

— Vous n’avez pas le droit ! C’est totalement inconvenant ! Ne ressentez-vous donc aucune honte ?

— Je me fous de ce que pensent les autres. Je les merde.

— Oh mon Dieu… Mais sur les réseaux…

— J’y suis pas. Aucune trace internet.

Le doc en resta totalement abasourdi, il tangua d’abord imperceptiblement, puis vacilla, puis il fit un malaise, totalement asphyxié dans son masque, et coula de sa chaise sur le sol. Un flic se précipita :

— Qu’est-ce que t’as fait au Doc, espèce de salopard ! ALARME ! ALARME ! Le Français ! Le sale Français !

Un groupe de poulagats se précipita, matraque à la main pour me coller une dérouillée sévère. C’était la fête au Lorenzo, la chasse était ouverte. La matraque n’a pas de patrie. Je courrais, bondissais partout, poussant des cris stridents de gorets qu’on égorge et hurlant :

— C’est pas moi, j’ai rien fait !

À la réflexion, je pense qu’il faudra mettre cette épitaphe sur ma pierre tombale. La police Belge se marchait sur les pieds et se cognait mutuellement. Fort heureusement, un évènement inattendu se produisit :

— Mais que se passe-t-il, présentement ? Maître Ali Oud, je suis l’avocat de monsieur Bueno ! Que signifie… C’est totalement inacceptable ! Violence policière !

Le monde se figea, les matraques restèrent suspendues en l’air.

— Non, sérieux, tu t’appelles Hollywood ? fis-je, éclatant de rire.

— Monsieur ?

— Tu vois pas mes hématomes, connard ?

— Ah… Je vois… Mon pauvre monsieur Bueno…

— Tu t’appelles ALIOUD ? Ton père est un comique…

— Monsieur Bueno… Pouvons-nous avancer ? Nous n’avons plus cinq ans !

— OK… OK… Attends…

— Monsieur Bueno…

— ALI-OUD ! Les mecs… Mon baveux c’est ALI-OUD ! Je suis foutu !

Toute la flicaille était pliée de rire, on se roulait par terre.

— Tu nous excuses pour… Hein le Français ? me fit un géant, rangeant sa matraque.

— Je prendrais bien une petite bière pour digérer, fis-je.

— Messieurs sortez ! s’indigna l’avocat. Nous portons plainte !

— Nous portons, approuvai-je

Le doc refit surface. Tout ébaubi, il regarda alentour comme s’il tombait de la lune.

— Mais enfin, que s’est-il passé ?

— Cet énergumène de Français voleur, vous a cogné ! expliqua le chef Cagneux.

— Mais non ! J’ai eu un malaise… Mon covid… Qu’est-ce que je tiens...

— Comment ? Il ne vous a pas cogné, ce malfaisant ?

— Mais non ! Nous étions en train de parler...

— Oh la boulette ! s’empourpra le chef.

— Nous n’en resterons pas là, persifla l’avocat, l’air sévère.

— C’est une méprise, une regrettable méprise ! Maître Oud, comprenez-nous !

— Violence policière gratuite sur un innocent !

— Innocent ! m’exclamai-je.

— C’est un voleur !

— Moi voleur ?

— Sortez ! Sortez tous ! s’énerva l’avocat.

Restés seuls, l’avocat m’observa.

— Monsieur Bueno, avez-vous volé le collier ?

— Pas à moi ce collier. Jamais vu ! C’est le chef qui l’a collé dans mon sac.

— Parfait.

— Je sors quand ? Non parce que j’ai été contaminé par Covid, tabassé, humilié… J’ai subi le racisme anti Français…

— Ça se plaide. On peut obtenir un paquet d’indemnités… Je prends 25 %

— 15 %

— Monsieur Bueno… Vous n’êtes pas en situation de marchander.

— Tu t’appelles ALI-OUD !

— Vous n’allez pas recommencer ! 20 %, mais je ne descendrai pas plus bas !

— On parle de combien ?

Le baveux ouvrit son attache-case et en sortit une calculette. Il pianota sur les touches et me présenta la machine. On pouvait lire…

— Bordel ! Autant ?

— Au moins.

— Et je sors ?

— Il y a vice de procédure flagrant. C’est dans la poche.

— Je t’aime, toi, cousin ! Allez, on dit 18 % et on crache.

— C’est 20 %, monsieur Bueno ! Ne recommencez pas ! Mon ami Fitoussi m’avait prévenu…

— Fais-moi sortir, on en reparle et c’est marre.

L’avocat me lança un regard noir, surtout parce que j’avais un mal fou à me retenir de rire. Il sortit de la cellule dont la porte se referma avec un bruit sinistre.

La chef-adjointe Dejonts apparut avec une chopine.

— Monsieur Bueno… Vous allez bien ?

— On m’a maravé la face ! Regarde !

L’air contrit, elle me tendit la bouteille.

— Mon pauvre… Ce n’est pas votre journée.

— Ta faute !

— Remarquez que je n’ai pas participé à… Ma faute ? Mais non… Vous faites tout pour...

— Mmmm, fis-je vidant la bouteille.

— Avouez que votre attitude est…

— Mmmm !

— Monsieur Bueno, j’enfreins le règlement en vous portant une chopine !

— Je suis innocent ! Je n’ai rien à faire là !

— Vous avez volé le collier !

— J’ai rien volé ! D’ailleurs mon avocat, Maître ALIOUD va vous fesser le fessu !

Dejonts se mordilla les lèvres, puis n’y tenant plus, elle éclata de rire. Femme qui rit, femme dans ton lit, c’est ce qu’on dit, non ? Mais elle était trop grosse. Nan, cela ne se pouvait.

— Vous voulez un petit en-cas ? fit-elle, prévenante.

— Nan, je vais sortit bientôt, j’irais me faire un resto gastronomique… Un kebab royal à la roulotte de mon poto fat Momo.

Elle baissa les yeux puis s’en retourna. Avant de tourner l’angle du couloir :

— J’ai appelé votre femme. Elle arrive avec vos filles. Elle était affolée… Pourquoi dites-vous que personne ne vous aime ? Vous avez une famille...

— Pfff !

— Monsieur Bueno !

— Tu peux pas comprendre.

Je restai méditatif, fixant le mur couvert de graffitis très laids. Ce n’est pas la privation de liberté qui me gênait le plus, parce qu’en réalité, on n’est jamais libre, on est toujours coincé dans des obligations illusoires… Non, ce qui me chagrinait, c’est que je ne contrôlais rien, je subissais.

Sur ce… Un grand chambardement se fit. SPR (Santé Publique Royale) débarqua avec le camion blanc et le personnel en combinaisons étanches, parce qu’on avait signalé la présence d’un NON-VAX. On colla un bâtonnet dans le pif de tout le monde… Enfin, une grande bagarre eut lieu pour me le coller. Il fallut six hommes et deux femmes. Un pugilat digne d’une tranchée de la bataille de Verdun. Je crois qu’on m’entendit hurler jusqu’à Lille.

Certains réclamèrent la prise de sang, d’autres voulaient la coloscopie, enfin on se précipitait en quête d’examens. La foule est vorace de médecine, il ne faut pas lui en promettre. Les gens veulent vivre frénétiquement. Ils ne savent pas pourquoi, ni dans quelles conditions. Juste vivre un jour de plus. Personnellement, vivre pauvre ne m’intéresse pas. Je passe mon tour, je veux faire le voyage en première classe ou rien.

Les résultats tombèrent. Tout le monde était malade : covid, grippe, VRS, Papilloma, herpès, coli… C’était une catastrophe sanitaire d’ampleur. Enfin… Tout le monde sauf…

— Monsieur Bueno ! Vous sortez ! beugla le chef Cagneux, se précipitant et ouvrant grand la porte de la cage.

— Hein ?

— Quittez les lieux sur le champ !

— J’ai rien fait !

— On s’en fout. Vous ne pouvez pas rester là.

— Qu’est-ce que j’ai ?

— Rien ! Rien ! Tout le monde est malade sauf vous ! C’est une honte ! Si vous attrapez quelque chose ici… On risque trop gros… Les assurances ne nous couvriront pas… Cela pourrait mettre l’état en péril… Sortez !

— On ne m’accuse plus de vol ?

— La baronne Ponzzi est venue… Elle a expliqué vous avoir remis le collier dans la panique de l’attentat pour le mettre en lieu sûr… Elle vous en remercie. Elle a laissé un mot pour vous.

J’ouvris une petite enveloppe en papier gaufré filigrané :

« Monsieur Lorenzo,

Merci de votre discrétion, je n’en attendais pas moins d’un… homme tel que vous. Je sais me montrer reconnaissante. Voici pour votre peine une petite compensation qui ne manquera pas à mon pingre d’époux. Baronne Bernadette Ponzzi»

Au fond de l’enveloppe, un petit diamant d’une pureté incroyable me faisait de l’œil. J’aurais préféré de la maille, mais bon… Il faut savoir se contenter.

Je n’eus pas le temps de m’appesantir plus avant, on me poussait vigoureusement vers la sortie.

Dans le hall, Liliane et les filles se précipitèrent sur moi.

— Mon Bibou, qu’est-ce qu’ils t’ont fait ? Mais dans quel état tu es ? On t’a battu ? Ça ne se passera pas comme ça ! C’est un scandale ! Je balance tout sur TikTok ! Vous en entendrez parler !

— Doudou ! s’exclamèrent les filles, me regardant comme un héros de roman.

Oui, j’étais beau, tel Edmond Dantès, je quittais ma geôle ! Je croisais le regard de Dejonts. Elle avait de beaux yeux… le reste… Je l’ai déjà dit ? Pfff ! De toute façon, je lui en voulais : elle m’avait accusé à tort. Parce qu’indubitablement, j’étais innocent ! Un bon Belge ! Si ! Demandez à mon avocat, maître ALI OUD !

Bzzzz !