Chapitre 2

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« Ma Violette,

Coincée au boulot,

obligée d'annuler notre

soirée. Désolée »


Pauline travaillait dans une agence de pub. Cela faisait des semaines que ses collaborateurs et elle travaillaient sur leur maquette en vue de leur présentation à l'équipe commerciale. Violette se rappela que la confrontation avait lieu le lendemain. Elle rédigea un bref message pour rassurer son amie et se décida à aller l'attendre à la sortie de son agence. L'air était doux et elle n'avait aucune envie de rentrer. Si elle appréciait certains aspects de sa solitude, rien ne l'angoissait plus que de rentrer contempler le vide abyssal que lui projetaient les quatre murs de son appartement.

Elle s'arrêterait en chemin pour acheter des sushis. Pauline n'aurait sûrement pas eu le temps de manger et ça la réconforterait de ne pas avoir à cuisiner après cette journée harassante. La connaissant, elle n'aurait, de toute manière, sûrement rien dans son frigo.

Les mains enfouies dans les poches de son sweat, elle avança sur les ruelles pavées et parvint bientôt au bas de l'immeuble abritant le bureau de son amie. Elle s'assit sur le banc qui jouxtait le bâtiment et contempla les passants. Elle observait leur démarche, détaillait attentivement leur profil en tentant de disséquer leur expression, de deviner leurs émotions, de comprendre leur souffrance dissimulée. Elle imaginait leurs vies, songeait à leur direction, leur prêtait un futur tout en leur soufflant des vœux d'amitié comme autant d'aigrettes de pissenlit dispersées par le vent.

Les portes de l'agence s'ouvrirent et des éclats de rire lui parvinrent. Violette reconnut Fred mais pas la jolie brune à ses côtés qui, les yeux rivés sur son compagnon et les joues rougies, se fendait d'un rire franc et sonore. Lorsqu'il l'aperçut à son tour, il vint la saluer sans remarquer la déception de sa collègue. Mais Violette, elle, distingua l'ombre qui voila le regard de la jeune femme. Elle perçut le léger tressautement de sa lèvre supérieure et entendit l'écho de son rire se perdre au coin de la rue. En la regardant s'éloigner, les épaules voûtées, le cœur flétri, la boxeuse s'imaginait parfaitement sa direction. Elle savait qu'au bout de son chemin, cette jeune femme retrouverait le vide et le silence.


— Qu'est-ce qui t'amène ici ? demanda soudain Fred.

— J'attends Pauline.

— Elle ne devrait pas tarder. Je peux ? demanda t-il en désignant le banc.

— Bien sûr.

— On n'a pas eu l'occasion de bavarder l'autre soir.

— J'ai un peu plombé l'ambiance d'entrée non ?

Fred sourit.

— Je suis désolée...

— Ma réputation me précède, tu n'y es pour rien.

— Alors tu ne m'en veux pas ?

— Viens boire un verre avec moi et je te pardonne.

Violette éclata de rire. Elle songea de nouveau à cette jolie brune qui riait à son bras quelques instants plus tôt. Son cœur se serra puis son regard se reporta naturellement sur les trottoirs que quelques passants foulaient encore avant de jeter un nouveau coup d'œil à Fred qui en avait fait autant. Un reflet brillant luisait à la surface de ses yeux et un sourire était accroché à ses lèvres. Il semblait fixer un point au loin. Elle plissa les paupières et tenta de plonger dans le décor qu'il contemplait mais ne vit rien d'autre que l'ombre de la nuit qui se rapprochait.

Pauline sortit de l'agence et les rejoignit, le regard suspicieux braqué sur son collègue.

— La cheftaine arrive, je me sauve. Ravi de t'avoir revu Violette.

Sur ces mots, le jeune homme s'éclipsa.

— Qu'est-ce qu'il te voulait ?

— Rien, on bavardait en t'attendant. Alors, ce projet ?

— Bouclé ! Je n'en peux plus, répondit Pauline en s'affalant sur le banc.

— Sushis ?

L'œil pétillant, Violette tendit à son amie la barquette de poisson cru et les baguettes.

— T'es la meilleure ! Toujours là quand il le faut.

Être présente l'une pour l'autre, c'était leur credo depuis toujours. Les deux amies s'étaient rencontrées à l'école primaire comme bien des amis d'enfance. Violette était arrivée en cours de semestre l'année de ses six ans. Timide et sauvage, elle s'était isolée du reste du groupe, incapable de faire un pas vers qui que ce soit. Il n'en avait pas fallu plus pour qu'une troupe de garçons s'amusent à la taquiner. Les genoux écorchés et les cheveux blonds en pagaille, Pauline s'était approchée et leur avait hurlé qu'ils n'étaient qu'une « sale bande de cornichons pas plus grand qu'un saucisson » ce qui avait beaucoup fait rire Violette.

Elle se souvenait encore des poings serrés de la petite intrépide et de ses yeux flamboyants durant cette altercation. Les gamins avaient déguerpi et Pauline s'était assise tout près de sa camarade, un sourire satisfait sur les lèvres. « Ils ne t'embêteront plus, je te le garantis. Moi c'est Pauline, tu veux être mon amie ? » Violette avait souri et, en guise de réponse lui avait tendu sa boite à goûter. Les deux petites filles s'étaient rapprochées jusqu'à devenir aussi fusionnelles que deux sœurs. Elles se complétaient parfaitement et partageaient leurs manques et leurs faiblesses.

Au carrefour de leurs vies, là où les relations s'étiolent, où les connaissances se perdent de vue, où les centres d'intérêt divergent, Violette et Pauline avaient été plus que jamais présentes l'une pour l'autre. C'est ce qui à leurs yeux faisait la différence entre une simple camaraderie et une profonde affection.

Violette remerciait le destin d'avoir mis une personne aussi sincère et généreuse que Pauline sur son chemin. Elle adoucissait ses jours moroses et savait transformer le sel de ses larmes en sucre d'amitié.

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