Chapitre 2

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Assise au pied de leur tilleul, Violette, les yeux clos, tentait de sentir vibrer la sève sous l'écorce rugueuse de l'arbre. Sentir la vie couler en elle. Mais elle était bien trop en colère pour ressentir quoi que ce soit. Elle en voulait à Fred d'avoir précipité les choses, de ne pas lui avoir fait confiance. Elle en voulait à Antoine d'être réapparu au moment où elle tournait enfin la page de leur histoire commune, de s'immiscer dans son futur alors qu'il avait fui leur passé. Mais pire que tout, elle s'en voulait de constater que son retour ne la laissait pas indifférente. De penser qu'il était peut-être un signe. Elle serra de toutes ses forces le petit ange qu'elle avait emporté avec elle, celui qui gisait sur la tombe de Florian depuis trois ans, celui qui la relierait pour toujours à Antoine.

Une ombre se dessina devant elle. Elle ouvrit les paupières et découvrit la silhouette qui lui tendait la main. Elle hésita, la saisit et se hissa. Ils marchèrent côte à côte en silence. Une fine pluie tomba du ciel. Elle pensa que le temps se jouait d'elle. Lorsque l'averse s'intensifia, Antoine attrapa sa main et l'entraina dans sa course. Ils passèrent devant l'Atelier dont les vitres blanches obstruaient l'intérieur du magasin. Violette s'arrêta un instant devant la vitrine. Elle revoyait les gens entrer et sortir, faisant tinter la cloche au-dessus de cette porte à présent condamnée. Sa mère ne s'était jamais résolue à céder sa boutique. Elle avait fermé les portes laissant le noir envahir l'intérieur et étouffer ses fleurs comme il envahissait et étouffer son cœur. La pluie continuait de tomber en cascade, Antoine pressa sa main. Ils étaient à présent trempés de la tête aux pieds. Violette l'emmena à sa suite pour se mettre à l'abri.


**


Elle éclata de rire en le voyant sortir de la salle de bain, visiblement mal à l'aise de se montrer devant elle, entortillé dans sa serviette.

  • Donne moi ça, je vais les faire sécher, lui dit-elle en riant.
  • C'est bon de t'entendre de nouveau rire.

Violette ne releva pas, déplia le tancarville et y accrocha la chemise et le pantalon d'Antoine.

  • Chicago ne te manque pas ? demanda t-elle.
  • Non. C'est ma vie à Vincennes qui me manque.

Elle fronça les sourcils. Elle sentit qu'il se rapprochait.

  • Je n'ai rien oublié Violette.

Elle ferma les yeux, elle n'était pas sûre de vouloir entendre ce qu'il avait à lui dire.

  • J'ai tout simplement fui. Fui ta douleur que je ne savais pas panser, fui ton regard silencieux qui m'implorait. Tu étais tellement désemparée. Je te voyais prisonnière d'une cage dans laquelle je ne pouvais pas pénétrer. J'ai essayé Violette, je te jure que j'ai essayé ! Je t'ai appelée, je t'ai suppliée de m'ouvrir les portes de ta souffrance, de me laisser entrer pour t'emmener ailleurs.

« Lève-toi Violette ! Je t'en supplie. Si tu ne le fais pas pour toi, fais le pour moi ...

Je t'entends Antoine, je t'entends mais je ne peux pas ! Le crépitement des flammes qui me dévorent couvre ma voix, le feu assèche ma gorge. Je brûle de l'intérieur. Mais continue ! Continue de me parler, de me bercer de tes mots, de ton amour. Je sais au fond de moi que tu es là, que tu ne me laisseras pas. Raconte moi encore le ballet des fleurs de tilleul, les larmes du ciel ; peut-être sauront-elles éteindre ce brasier qui me consume.

Antoine ? »

  • La douleur que je lisais dans ton regard me renvoyait à la mienne, celle que je tentais d'apprivoiser. Je me sentais plier sous le poids de cette souffrance qui t'emportait au loin.

« Les flammes s'approchaient lentement de toi, je te voyais reculer, les mains toujours tendues vers moi. J'ai prié pour que les larmes qui troublaient ma vue, celles que je retenais depuis la mort de Florian, celles que je n'ai pas su verser quelque mois plus tard lors de cette affreuse nuit de janvier, débordent de mes yeux et viennent à bout de cet incendie qui nous séparait. J'ai prié si fort que mes larmes ont enfin coulé. Mais je t'ai vu t'envoler comme ces oiseaux qui partent vers d'autres contrées. »

— Je sentais qu'on allait finir par perdre pied tous les deux alors j'ai choisi la voie la plus praticable pour moi : la fuite. J'ai accepté le poste à Chicago que mon patron me proposait.

Antoine s'approcha encore. Violette lui tournait toujours le dos, les mains posées sur le séchoir qu'elle n'avait pas lâché depuis qu'elle y avait déposé ses vêtements. Il saisit sa main et la fit pivoter vers lui. Des larmes ruisselaient sur ses joues.

— Je regrette. Si tu savais combien je regrette.

Le temps se figea. Les émotions d'Antoine et de Violette tourbillonnaient autour deux. Les rancœurs et les non-dits s'associaient à leurs regrets, tandis que la tristesse de leurs larmes en toile de fond oscillait au rythme effréné de leurs sanglots saccadés. Ils soutinrent leurs regards larmoyants, cherchant dans les yeux l'un de l'autre, un pardon réciproque au nom du souvenir de leur passion. Antoine caressa le visage de Violette du bout des doigts et osa approcher ses lèvres des siennes. Elle ferma les yeux pour s'abandonner à sa tendresse retrouvée.

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