Chapitre I –Le sort en est jeté

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Chapitre 1 – Le sort en est jeté


Désert du Sahara. Cité mystique de Khalarie. Dimanche 22 novembre 1981

Ce soir, Kelly Darck fêterait ses seize ans. L’écho des clameurs s’échappant de Khalarie bourdonna aux oreilles de la belle assoupie. Souriante, elle s’étira puis, d’un balancement de la main, ouvrit la tenture recouvrant la vaste baie vitrée. Bien que coutumière du paysage saharien, celui-ci continuait à l’envoûter.

Une fois hors du lit, l’héritière du Trône de la magie accéda à son balcon et huma l’air en une puissante inspiration. Le mélange d’effluves chakratiques stagnant dans l’atmosphère finit de la réveiller. Elle observa son fief avec excitation, car en l’honneur de sa fille bien-aimée, Jonas Darck organisait des festivités à la hauteur de son trésor.

Elle fut ravie de constater que certains de ses sujets patientaient déjà devant le Colisée, ainsi, ils s’assuraient d’une place au premier rang. Malgré les tensions entre les différents clans, tous désiraient célébrer cette journée dans la joie comme dans l’ivresse ! Subjuguant le peuple de leurs compétences mystiques, des saltimbanques se découvraient à chaque coin de rue.

Kelly attendait le rituel avec impatience. Après tant d’années à douter, elle serait enfin fixée sur sa destinée ; la sourde incertitude qu’elle éprouvait encore venait de la mystérieuse disparition de sa jumelle. Jamais sa dépouille n’avait été retrouvée… Si Kara vivait toujours, le statut d’héritière pouvait lui appartenir. Mais seule la Créatrice savait ce qu’il adviendrait si cette perspective se présentait.

De retour dans sa chambre, Kelly s’installa devant sa coiffeuse sertie d’émeraude étincelant. Son reflet l’agaça. Hors de question d’apparaître affublée de cette toison ondulée, épaisse et indomptable !

D’un claquement de doigts, sa chevelure de jais se lissa. Satisfaite de sa coiffure, la reine du jour chercha une tenue adéquate dans son temple de la mode. Son choix se porta sur un pantalon noir à pinces, accompagné d’un chemisier bordeaux, qu’elle combina à une paire d’escarpins carmin. Elle ajouta quelques pierres précieuses afin de la magnifier, mais sa beauté naturelle la dispensait de maquillage ; cependant pour l’événement, elle se contenta de peindre ses fines lèvres d’un rouge coquelicot.

L’heure de rejoindre Karl et Christian approchant, Kelly fonça comme une fusée. L’esprit de la première Reine du clan Darck, Androméde, modela les murs pour concocter un raccourci à sa descendante adorée. Sa course effrénée se termina devant un cabinet. Son souffle repris, elle arbora son incroyable air royal et traversa le reflet doré. Émergeant dans sa dimension à l’image de la forêt amazonienne, la princesse, d’une voix élégante, lâcha :

— Karl ! Christian, mes chéris ! Je suis ravie de vous voir. Comment se porte la mode humaine ? Ne me dites rien ! lança-t-elle en hissant l’index : ça manque de magie, et si seulement la Créatrice y remédiait, me répondriez-vous !

Assis sur un canapé argenté, Karl sourit, puis se leva et, sans cacher sa joie, vint la serrer dans ses bras.

— Si elle se manifestait, Darling, ce soir vous deviendriez la légataire de la Terre, et non de Khalarie. Comme tout cela est surfait, ne trouvez-vous pas ? rétorqua le couturier.

Connaissant l’ironie de M. Lagerfeld, Kelly ne s’offusquait point de ses boutades.

— Ne sois pas potache avec notre amie, mon cher Karl.

Christian claqua des doigts. À la manière d’un essaim d’abeilles butinant une orchidée, divers instruments de confection apparurent afin de prendre les mensurations de l’héritière.

— Voudrais-tu excuser sa désobligeante remarque et t’intéresser à la merveille que nous t’avons concoctée ?

Les mesures prises, Christian, d’un mouvement du poignet, matérialisa une estrade de Karistal. Coutumière de l’invention, la princesse y grimpa d’un pas souple, laissant les designers à leur discipline. Les Lagerfeld se placèrent chacun à un bord de l’appareil et appliquèrent leur main droite sur les emplacements prévus à cet effet. Les jumeaux fermèrent les yeux. Un chakra artistique époustouflant qui s’amassa à l’intérieur du podium fut libéré. Une aveuglante lumière embrasa brièvement Kelly. La fusion des idées stylistiques imprima la réflexion de leur imaginaire sur le mannequin royal.

Elle qui s’attendait à une robe en or, symbole de sa famille, se retrouva couverte d’un blanc tellement pur qu’elle paraissait divine. Cintré, le vêtement soulignait ses courbes parfaites. Cascadant à ses pieds, ouverte à partir de la moitié de la cuisse, la création révélait sans équivoque son côté femme fatale. La broderie recouvrant son buste soutenait le décolleté serti de rubis, d’émeraudes et de tanzanites.

En dernière touche, les jumeaux apposèrent un charme maintenant la traîne à quelques centimètres du sol. Ravie, Kelly s'exclama !

— Je n’ai pas les mots, merci mille fois.

L’essayage terminé, Kelly se changea et salua chaudement ses amis. C’est emplie d’allégresse qu’elle quittât le cabinet dimensionnel. Voulant remercier son père pour ce magnifique présent, l’héritière emprunta la direction de ses appartements.

**

Consciente de ses responsabilités depuis son plus jeune âge, Kelly veillait à paraître irréprochable en public. Les épaules droites, le regard froid et l’expression impénétrable, elle franchit les couloirs sans fin, modelés par la psyché d’Andromède. Fière de son statut, la princesse salua les révérences des membres de sa cour. Elle détestait le protocole, mais, pour préserver l’équilibre et la survie de son peuple, l’héritière tenait à l’appliquer et à le respecter.

Cependant, ce jour-là, agacée par ce pèlerinage interminable auquel la soumettait son aïeule, elle oublia toute contenance. C’est par sa seule volonté qu’elle créa une bourrasque magistrale qui décrocha l’ensemble des toiles représentant les souverains d’antan. La tornade engendra un mouvement de panique parmi les sujets présents. Connaissant le courroux de sa descendante, la première des Darck façonna tout de suite un chemin vers le roi.

Son exaspération retomba à la vue de son père, pour se transformer en un sourire éclatant ; lorsqu’en arrière-plan, elle aperçut un étrange individu qui pénétrait dans la salle du Trône. Impossible ! Si aucun membre de la couronne n’y siégeait, nul ne pouvait y accéder.

Comment fait-il pour esquiver le sortilège restrictif ?

Plus curieuse que furieuse, la princesse décida d’affronter l’intrus. Par télépathie, elle avisa Jonas du report de leur rencontre et, l’air de rien, poursuivit sa traversée du couloir aux portraits. Les immenses portes de bois blanc gravées du Triskèle Trinital, emblème de son clan, s’entrouvrirent. L’indésirable osa même s’installer sur l’imposante assise de rubis.

La colère la submergea. Abruptement, elle entra dans la pièce. D’une simple rotation de la main, le malfrat se retrouva projeté hors de l’estrade et alla s’écraser contre l’un des obélisques de platine qui entourait l’antre monarchique.

Mal en point et à peine remis debout, l’héritière l’immobilisa d’une pichenette de chakra. Prédatrice, Kelly s’approcha lentement de sa proie. Le bougre ne dégageait aucune peur ; étrange. Muette de stupeur, la princesse se paralysa. « Des pupilles dorées ! » Seule la royauté arborait cette pigmentation particulière.

— Qui es-tu ?

Le garçon s’égara dans un jargon abscons, dû au sortilège de sa geôlière. D’une pensée, elle régla le problème.

— Personne. Enfin… pour l’instant, répondit-il, narquois.

— Tu as beaucoup de chance « Personne, pour l’instant », car, quand j’en aurai fini avec toi, tu découvriras assurément « être quelqu’un ».

Le sourire sadique de Kelly paraissait sans équivoque. Pourtant, l’intrus demeurait imperturbable.

— Oh ! Tu crois… À ta place, princesse, je resterais méfiante…

Son ton suffisant l’agaça au plus haut point. Elle s’apprêtait à le gifler quand, en plein mouvement, son geste se désamorça. Un chakra qu’elle ne put identifier imprégna les lieux. À peine eut-elle tourné son regard, qu’un capuchon rouge l’attaquait de front.

Le poing de flammes ciblait sa trachée ; la guerrière positionna aussitôt ses avant-bras de façon à se protéger. Encaissant l’assaut avec brio, elle dérapa sous l’impact et recula sur plusieurs mètres, creusant le sol de ses talons fumants. Entraînée par l’immortel Darrius Coltone, elle freina son élan sans aucun mal. D’une rapidité sans égale, Kelly se catapulta en direction du nouveau venu.

Surgissant face à son ennemi, elle frappa violemment sa poitrine du plat de l’escarpin. Le craquement des os se répercuta sinistrement dans la salle du Trône. Inerte, le corps percuta l’une des parois, laissant un trou dans le mur brisé.

Lentement, il retomba face contre terre.

Libéré de l’emprise de sa geôlière, le Vert agressa Kelly par-derrière ; sa lame de vent la projeta brutalement dans les airs. Elle tenta d’amortir sa chute à l’aide de sa magie, mais échoua. En dépit de son piètre état, le Capuchon rouge matérialisa une brèche minuscule vers laquelle la princesse se sentit attirée. C’est sous les yeux de son père, qui venait de franchir les battants, que Kelly disparut, aspirée par la faille.

***

Une sensation de vertige s’empara d’elle. Perdue au milieu des ténèbres, Kelly flottait. Elle vit une flamme ardente se dessiner dans l’obscurité, et, soudain, une main l’agrippa et l’entraîna dans les profondeurs. Terrorisée un instant, sa sérénité refit surface lorsqu’elle identifia sa bienfaitrice : Zargua El Gamma !

La régente du Sultanat céleste les fit planer paisiblement toutes les deux pour tranquilliser Kelly, puis elle scruta sa maîtresse attentivement. Mal à l’aise, la princesse voulut briser l’étrange silence. Le timbre cristallin de sa sauveuse résonna dans son esprit alors qu’elle s’apprêtait à ouvrir la bouche.

« Utilise la télépathie ! Ici, nous ne sommes pas en sécurité, le Néant pourrait nous entendre ! »

« Où nous trouvons-nous et de qui parles-tu » ? demanda Kelly.

« Dans un futur où la Terre telle que tu l’as connue n’existe plus ! »

Zargua approcha ses mains des tempes de Kelly. Abasourdie, elle ne saisit pas le sens de ce qu’elle vit… Et pour cause : l’utopie ne correspondait en rien à ce morne endroit.

« Que s’est-il passé ici ? »

« Deux prémonitions me sont apparues, dont l’une se réalisera. Elle coïncide avec ton accession au rang d’Héritière de la magie, qui a eu pour conséquence la mort de la Terre. Nous gisons précisément à la place du Colisée et ta destinée est liée à ces prophéties. »

« Qui sont ces deux encapuchonnés qui m’ont attaqué ? »

« Les frères Hood, Red et Green, administrateurs de la Création. Avant que la cérémonie ne scelle ton sort, le choix entre deux chemins t’est offert. Celui pour lequel tu opteras conduira soit à cet avenir, soit à l’eldorado partagé en pensée. »

« Cela sonne plutôt comme une fatalité ! »

« Quel que soit le sentier emprunté, un interminable périple ainsi que de grands dangers t’attendent. Tu seras éprouvée bien plus qu’à ton tour. Soit tu deviendras la future Reine de Khalarie, soit tu incarneras la Gardienne du Continuum. Il me semble que son mythe t’est familier. Dans cette partie d’échecs pour la longévité de l’Univers, la Créatrice t’a choisi pour personnifier la dame blanche de son plateau ».

Kelly adorait cette histoire, racontée par son père à propos d’une sorcière, contrainte de déserter son époque pour assurer la survie de ses enfants. Cette femme immortelle voua son existence à la préservation de la Création.

« Tu jouis à présent de vingt minutes de réflexion. Analyse et comprends. »

Puis Zargua s’évapora, laissant Kelly seule.

Assise en tailleur, la princesse ferma les paupières et lévita de quelques centimètres. Puis, son esprit fut projeté hors de son corps afin de sonder l’écosystème. Il ne restait aucune trace de vie sur le globe, hormis une créature d’une puissance à glacer le chakra. Kelly décida de suivre ses quelques empreintes d’énergie pure. Elle avançait pratiquement à l’aveuglette au milieu de l’épaisseur du brouillard environnant, quand ses sens décelèrent au loin une sorcellerie protectrice.

Elle supposa que se frayer un chemin jusqu’à la source deviendrait compliqué. Une malheureuse évidence lui sauta aux yeux : cette terre ne portait plus aucun vestige de sa beauté ! La cendre et la poussière parsemaient désormais cet enfer stérile. Arrivée à destination, elle identifia un objet familier, préservé par un ancien sortilège en fin de charge.

Une légende concernant le D…, grimoire de sa famille, lui revint en mémoire : le recueil posséderait une âme, mais, ayant reçu l’interdiction formelle de le consulter, jamais elle ne constata son éveil.

Dans ce futur dantesque, la preuve de sa vivacité se trouvait face à elle. De son index, la voyageuse du temps effleura la couverture de cuir rouge. À son contact, une succession de visions l’accabla. Le D… transmit la somme de son savoir à sa dernière maîtresse. L’afflux d’informations la submergea ; elle s’évanouit.

Reprenant conscience, Kelly avait réintégré son enveloppe charnelle. Sur ses genoux, le plus puissant ouvrage de sorcellerie, dont la genèse remontait au début du règne d’Andromède, s’effondra en poussière entre ses mains !

Comme s’il l’attendait pour mourir !

Cependant, le phénomène se poursuivit et l’éclosion de trois nouveaux tomes, au milieu du tas de poudre charbonneux, la surprit. Elle s’empara de celui de la teinte or, où un « ED » s’encrait. Le bleu portait également une gravure « KD » et le vert apparaissait estampillé d’un « WD ». Aucun ne daigna s’ouvrir. Elle en conclut qu’ils ne lui appartenaient pas, car un grimoire ne se révèle qu’à son propriétaire.

Pour la jeune femme, la réflexion arrivait à son terme. Elle se saisit des recueils et contacta Zargua.

« J’ai pris ma décision. »

Désormais Gardienne du Continuum, Kelly se retira de l’avenir dantesque pour ressurgir au cœur du plan astral. La Céleste, flottante au milieu du cosmos, l’attendait :

— Ton intervention se ressent déjà dans les méandres du temps.

— Je n’ai pourtant rien réalisé ! répliqua-t-elle étonnée.

— C’est toute la complexité de ton statut. En acceptant, les actes que tu n’as pas encore accomplis, mais que tu opéreras à l’avenir, s’inscrivent en cet instant dans la trame historique. Cela est et sera écrit.

— Si vous le dites ! Mon père ne va pas en reven…

Zargua la coupa dans son élan :

— Tu ne pourras revoir les tiens qu’au terme de ta mission. Ta quête pour préserver le futur commence dès à présent.

Sur ces mots, la Céleste disparut. Indiquant le chemin de sa destinée, un trou de ver se matérialisa ; téméraire, Kelly s’y engouffra.

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