Chapitre II - Génomisation

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Ve siècle ap. J.-C.

Au fil des ères, les enfants de Brocéliande s’éteignirent. À la différence des Sorciers, les enchanteurs canalisaient l’essence de Dame nature : le Mana. Et ce, au travers de sceptres ou de baguettes, attribués en conclusion de la troisième initiation par le Hêtre de la Roche plate*.

Effrayés par leurs facultés occultes et jaloux de ce savoir inaccessible, les hommes les anéantirent. Quelques-uns abandonnèrent la magie et s’assurèrent une sereine existence en trahissant l’espèce. S’abaissant aux mœurs des singes nus, ils dénoncèrent proches, amis ou voisins, qui furent soumis à la question, puis envoyés au bûcher sans aucune forme de procès.

Cependant, quelques-uns vivaient encore, tapis dans les profondeurs de la forêt, voire protégés par les abysses marins. Mourir dans ces conditions en épouvanta d’autres, qui préférèrent s’ôter la vie.

La dernière grande purge eut lieu voilà vingt ans déjà. Mandatée par Clovis, roi des Francs, la congrégation de druides haineux, accompagnés d’une bande de pécores bestiaux, profanèrent le lac sacré et Avallon se retrouva à feu et à sang.

Cadavres, viols, meurtres. Paix, amour et silence restaient le credo des Enchanteurs ; aucun ne se rebella.

Le saccage accompli, la pestilence domina la cité de verre. Quelques heures après le départ des barbares, un grondement assourdissant retentit. Déchirant la voûte stellaire, un vortex d’or se manifesta. Toute de blanc vêtue, la Créatrice émergea et la faille disparut.

Gracieuse, elle atterrit au cœur du carnage. D’une pensée, elle incarna une urne de belle taille et par sa volonté, elle incinéra les corps. Devinant ses attentes, le vent réunit les cendres, qu’il rapatria jusqu’à la jarre.

Adhane, nourrisson rescapé de cette tragédie, conservait le souvenir très net d’une femme au visage voilé la déposant au pied du Fayard.

Recueillie par Brocéliande et protégée par les loups d’ébène, elle vivait ses journées, ses mois et ses années en simple ignorante du monde extérieur. Jusqu’au jour où… une présence inusitée se fit ressentir. Se baignant avec Isha dans la rivière sous la surveillance de Ranufle, la demoiselle riait aux éclats.

Profitant des rayons du soleil filtrés par le feuillage touffu, l’imposant louveteau somnolent bondit. Le poil hérissé, les crocs menaçants et les babines retroussées, Ranufle grogna. Reconnaissant le signal, Adhane grimpa aussitôt sur le dos d’Isha. Chênes, hêtres et plantes ligneuses créèrent un sentier que le cervidé emprunta à vive allure. Afin d’assurer la sécurité de la dernière enchanteresse de sang royal, la flore dissimula toute trace de son passage, alors que la faune s’affairait à repérer l’intrus. En vingt ans d’existence, jamais la survivante ne s’était trouvée si proche du danger.

Terrorisée à l’idée d’être traquée, Adhane serrait les ramures du cerf de toute sa force. Angoissée, elle ne put s’empêcher de surveiller l’arrière : rien ! Satisfaite, son attention se reporta sur la folle avancée d’Isha, qui haletait et ahanait, désireux de mettre le plus de chemin possible entre sa protégée et l’inquiétante présence.

À l’horizon, elle distingua une branche, toute prête à l’assommer et à sectionner la couronne de sa monture. N’écoutant que son courage, elle se plaqua contre le dos de son compagnon. Le contact du poil soyeux contre son visage la calma un peu. Toutefois, elle savait d’instinct que sa position ne lui permettrait pas d’esquiver l’obstacle. Changeant de tactique, elle lâcha les bois et mobilisa tous ses muscles pour se placer debout et maintenir son équilibre. Isha banda sa puissante musculature afin de lui offrir le soutien nécessaire. Ils s’y trouvaient presque.

« Maintenant », intima l’animal par le biais de l’esprit.

Ni une ni deux. Tandis que sa cavalière bondissait dans les airs, il fléchit les quatre pattes et se laissa glisser sous la branche assassine. La difficulté passée, il se redressa et récupéra l’acrobate avec un timing parfait, atterrissant en amazone.

Le cœur battant la chamade, elle fut soulagée lorsque Isha, les sabots fumants, ralentit l’allure et freina sa cavalcade, pour s’arrêter enfin complètement devant sa demeure.

Se pensant en sécurité, elle pénétra, confiante, dans la maisonnette. Mais, là encore, un homme bizarrement vêtu patientait. Elle n’eut que le temps d’apercevoir ses iris cobalt scintiller avant de sombrer. Iblisse quitta sa chaise bancale, puis tendit sa paume. Guidée par le pouvoir du Seigneur des démons, la demoiselle gagna lentement la paille qui lui servait de couche en lévitant.

— Encore une victime des Écrits, lâcha-t-il avec dépit en se dirigeant vers l’extérieur.

Red Hood avait mis dans le mille ! Bien qu’elle n’ait pas conscience de sa nature, l’enchanteresse était la Maîtresse de Brocéliande. Cependant, son sommeil forcé endormit également l’ensemble de la forêt. Pour preuve, l’immense cerf blanc et la meute de loups qui entouraient la chaumière gisaient à terre, inconscients. Le bruit nocturne typique des bois ne résonnait plus. Brocéliande semblait retenir son souffle ; seul l’écho du silence planait, comme une ombre funeste.

Puis, le ciel gronda, faisant lever les yeux d’Iblisse, qui laissa son regard s’y promener. Invisible pour le commun des mortels, une faille dimensionnelle s’ouvrit soudain. La foudre émeraude qui s’en échappa zébra le firmament et vint s’abattre aux pieds du Djinn, impassible. Du sol fumant surgit alors Green Hood.

— Salut, toi ! Comment vas-tu ? demanda l’arrivant.

— Pas top, vu ce qu’on s’apprête à réaliser, révéla Iblisse, froid comme l’Antarctique.

Répondant sur le même ton, Hood lança :

— On ne va pas te mettre mal à l’aise plus longtemps ! Exécutons les ordres et ciao.

Un silence pesant s’installa. Iblisse détestait s’embrouiller avec les puissances, mais parfois, leurs actes excédaient son seuil de tolérance, pourtant extrêmement élevé.

Le céleste crispa le poing et un tourbillon verdoyant se matérialisa, transportant Adhane à leurs côtés. S’ensuivit une mini brèche, de laquelle s’extirpa une patte grisonnante, tenant l’Ensorcetabe 7.0, dernière-née de la série. Green s’en saisit. L’animal se rétracta et la faille disparut.

— Comment puis-je aider ? demanda Iblisse, presque angoissé par l’absence de son.

— Dans un premier temps, je vais connecter mon chakra au sien. La magie des sorciers et celle des enchanteurs s’annulent l’une l’autre, la magicologie entre donc en jeu. Une fois le lien établi et stabilisé, tu me donneras tes instructions. Ça te va ?

— Parfait !

Hood envoya l’Ensorcetabe dans la direction d’Adhane, tandis qu’avec l’autre main, il généra un rayon d’émeraude qui, dans les airs, frappa la tablette. Accumulant l’énergie mystique de son créateur, l’appareil luisit tant, que durant un moment, Jour effaça Nuit.

Ne pouvant interrompre le processus, Green commençait à ressentir l’effort fourni. En théorie, la fatigue devait venir plus tard, mais quoi qu’il en soit, il réussirait.

L’Ensorcetabe se changea en œil du cyclone ; le chakra, transformé en Mana par le biofiltre, se libéra du convertisseur en un flot continu, qui engloba l’enchanteresse, toujours inconsciente et en lévitation. Puis, la souffrance du céleste s’apaisa. D’ici quelques instants, maintenir le flux ne causerait plus de douleurs.

Bientôt.

Encore un peu.

ENFIN !

Son attention put se porter à nouveau sur Iblisse, qui donna ses directives :

— Focalise-toi sur son sang ; litre après litre. Lorsque je l’entaillerai, exsanguine-la. Je me charge de la suite.

Tandis qu’il s’exécutait, le Djinn invoqua un ballon de chimiste, pouvant renfermer jusqu’à six litres de plasma, qui se figea au-dessus de la jeune fille.

Au creux de sa paume apparut un scalpel. Protégé par un bouclier chakratique, Iblisse s’approcha d’Adhane ; d’une pensée, il la déshabilla et, gentleman, couvrit son intimité d’un nuage opaque.

— Dépêche ! Le convertisseur ne va pas tenir éternellement, il s’agit d’un prototype, l’avisa Green Hood.

Jouant les « Docteur Mamour » à la perfection, le démon incisa avec précision le nombril. Hood commença alors l’exsanguination, qui forma bientôt un serpent écarlate. Guidé par l’index d’Iblisse, le liquide visqueux s’accumulait dans la sphère. La manœuvre se poursuivit et dura jusqu’au trépas d’Adhane.

Scientifique dans sa première vie, il avait déjà incarné les savants fous, et cela ne l’enchantait plus, mais les Écrits l’exigeaient. Voyant et comprenant son hésitation, Green l’encouragea.

— Tu n’as plus qu’à modifier son acide désoxyribonucléique, je m’occuperai du reste.

La colère légendaire du Roi des Djinns devint palpable. D’un claquement de doigts qui fit écho, il activa le système d’imagerie moléculaire. L’orbe sanguin irradia de cobalt. Sur le verre s’afficha le schéma héréditaire d’Adhane et, durant un long moment, les brins d’ADN défilèrent devant ses yeux.

Puis, enfin, Iblisse dénicha celui qu’il cherchait :

— Stop ! Parfait… À présent, je vais fusionner ses chromosomes XX pour créer le XXY.

À la manière d’un chef d’orchestre, il décomposa les allèles, auxquels il ajouta une part de son propre patrimoine génétique. Puis, les index toujours virevoltants, il recomposa le puzzle. Ainsi, le génome M, qui permettrait à la Trinité de régner sur les Terriens, naquit.

**

Neuf mois plus tard

Durant une année, Kelly trouva refuge au sein du Palais Paladium afin de parfaire sa formation sous la supervision de Farouh du Clan Siriki. Âgée de dix-sept ans lors de sa première mission, Kelly avait hâte d’utiliser le savoir transmis par sa défunte mère.

Fière de la foi accordée par les Puissances, la jeune Gardienne, sereine, s’engouffra dans la légendaire forêt de Brocéliande.

Prenant une grande inspiration, l’adolescente se délecta de la pureté de l’air qui, en cette période, avait une saveur épicée. Cependant, elle ne possédait aucune indication quant à la raison de sa présence en ce lieu ; elle savait juste qu’elle devait retrouver une enchanteresse. Plongée dans ses réflexions, Kelly cheminait tout en chantonnant un tube à la mode de son époque :

Confidences pour confidences, c’est moi que j’aime à travers vous !
Mais aimez-moi ! à genoux, j’en suis fou !
Mais de vous à moi je vous avoue… Que je peux vivre sans vous,
Aimez-moi ! — à genoux j’en suis fou
Et si ça vous fait peur, dites-vous que sans moi vous n’êtes rien du tout.

De son sac à main trop plein d’accessoires, la sorcière sortit moult maquillages, qu’elle balança par-dessus son épaule. Son attirail en lévitation la suivait comme son ombre. Enfin, elle dénicha sa montre de Diamonite. Puis, obéissant à son injonction mentale, l’essaim de blushs, rimmel et autres peintures tribales regagnèrent la besace. Selon Farouh, l’entité cloîtrée la guiderait.

La montre passée au poignet, celle-ci se resserra brusquement dessus. Puis elle sentit des aiguillons poindre, aussi bien du bracelet que du boîtier, traversant sans peine sa peau fine et diaphane, pour venir s’abreuver de son fluide vital. Transparent, l’artefact se mit bientôt à luire d’un rouge étincelant. Se retenant de hurler, Kelly restait immobile, son statut royal formant un masque de rigidité sur son visage. Elle transcenda la souffrance et réussit à psalmodier doucement :

Par le sang des descendants,
Esprit de charité ;
Octroyez-moi votre clarté.
Dénichez celle que je dois retrouver.

La montre suceuse, transformée en sphère brillante, se détacha de sa main immédiatement et fusa aux quatre coins de Brocéliande à la manière d’une balle rebondissante. Puis, tout se calma et l’entité écarlate retourna se camper face à sa maîtresse, statique. Toujours affaiblie et endolorie par l’expérience, Kelly ne bougea pas d’un iota. Insistante, la lueur passa dans son dos et la poussa, l’obligeant à avancer.

Devinant que la substance ne la laisserait pas récupérer, Kelly entreprit de mettre un pas devant l’autre… N’ayant cure de son confort, l’orbe revint en amont de la princesse et traversa allègrement buissons, marécages et différents endroits déplaisants. D’abord guillerette à l’idée de découvrir la légendaire forêt, Kelly, lasse du périple, se retint de tout faire partir en fumée.

Durant une fraction de seconde, elle crut voir un arbre s’enraciner. Le calme ambiant et pesant n’augurait rien de bon… En effet, tous les cui-cui et myriades de cliquetis, trilles et bruissements apparaissaient comme curieusement absents… Elle n’entendait absolument rien. Ni bourdonnements d’abeilles ni stridulations d’insectes divers et variés. Rien ne venait troubler ce silence étrange. Soudain, la gardienne stoppa sa marche entre deux mûriers. Affranchissant son esprit de sa chair, Kelly l’envoya sonder Brocéliande. La faune sommeillait, la flore veillait. Comprenant que sa balle guide n’y était pour rien, elle libéra une vague de chakra.

Dans un rayon de cinquante kilomètres, Continuum se paralysa.

Rancunière, la sorcière revint sur ses résolutions. De ses paumes tendues s’échappèrent des geysers de flammes dorées qui ouvrirent un chemin, là où la boule luisante le lui indiquait. Au bout se profilait une chaumière moyenâgeuse.

Une enchanteresse ne peut vivre dans un taudis pareil. Ça doit être une erreur…

Le dégoût dépeint par l’adolescente reflétait son horreur à l’idée de résider dans un tel inconfort. Tandis qu’elle mettait en place quelques protections ensorcelées, un cri d’agonie retentit.

Impossible, puisque le temps est figé.

Cependant, afin de ne pas paraître étrange ou effrayante, sa salopette en jean et ses Nike se transformèrent en tunique de lin noire et sabots de bois. Son interminable chevelure d’argent finissait de se tresser lorsqu’elle pénétra dans la demeure d’Adhane.

Allongée sur sa couche de paille, les yeux ronds d’incompréhension, la jeune femme hurlait en continu en scrutant son ventre. Kelly lança un sortilège de mutisme, qui n’eut aucun effet. Bien décidée à réfléchir dans le calme, elle ramassa un chiffon bruni de crasse et alla le lui enfoncer dans la bouche.

Saisissant que l’essence de la future mère annulait ses pouvoirs, le problème devait s’aborder sous un angle humain. Fan de la série médicale à succès, « Hôpital St-Elsewhereest », d’une pensée, elle aseptisa le champ opératoire. Visualisant une bouteille de chloroforme et un linge de soie, elle les matérialisa. Imbibant l’un de l’autre, Kelly lui mit le tissu sous le nez. Enfin, la jeune parturiente hystérique ne gigotait plus. Néanmoins, hors de question de l’accoucher par voie basse ; cela prendrait des heures… la princesse n’avait pas que ça à faire et surtout, elle trouvait cette période de la vie d’une dame particulièrement repoussante.

L’une de ses nouvelles prérogatives lui permettait d’incarner des objets de son époque, en l’occurrence, un scalpel et une paire de gants chirurgicaux. Ainsi masquée et outillée, d’un geste franc, elle taillada la ligne sus-pubienne en transversal. L’incision longiligne apparaissait plus que parfaite. Ensuite, après l’entaille des différentes couches, elle arriva au segment inférieur de l’utérus, qu’elle ouvrit, libérant un flot de sang qui se répandit jusqu’aux cuisses de sa patiente. Sans sourciller, la sage-femme improvisée plongea les mains dans les entrailles d’Adhane et l’instant d’après, ressortit un magnifique petit garçon aux yeux cobalt. Contrairement à la maman, l’empreinte mystique du bébé résonnait avec la sienne.

D’une pichenette de chakra, sa trachée se dégagea. Soulagée d’entendre les premiers pleurs, d’un filament détaché de son index, Kelly sectionna le cordon ombilical. Pleine d’adrénaline, elle le toiletta de fond en comble et le nourrit, avant de l’installer, propre et rassasié, dans son minuscule couffin bleu, invoqué en un éclair. Il lui sembla même l’avoir vu esquisser un demi-sourire en s’endormant. Une fois le nourrisson en sécurité, un nécessaire de suture émergea. Délicatement, le placenta fut retiré et déposé dans un chaudron se trouvant non loin. Minutieuse, l’adolescente prit le temps requis pour recoudre sa patiente et lui éviter une disgracieuse cicatrice.

Se traînant jusqu’à une chaise branlante placée à côté de la marmite, elle remercia intérieurement Darius de lui avoir transmis l’ensemble de ses connaissances médicales humaines. Puis, rendue lasse par son opération, Kelly s’abandonna à un sommeil réparateur.

***

Dès l’instant où le Continuum eut conduit Kelly Darck au Ve siècle, les puissances supérieures mandatèrent Iblisse. Invisible, il observa le périple de son amie. Le sang-froid dont elle fit preuve pour accoucher Adhane l’impressionna, mais ne le surprit pas.

Le temps ayant repris son cours, tout comme l’enchanteresse, la faune s’éveilla. Bien qu’ils ne perçoivent pas sa présence, les loups d’ébène, tous crocs dehors, tentaient de le repérer à l’odeur. Agacé par leurs grognements, il les replongea dans le coma d’une pichenette de chakra. Isha, déchaînant un brame de défi, sortit d’une botte de foin à toute allure et l’attaqua de ses imposantes ramures. BAM ! Il percuta une barrière chakratique. La langue pendante et les bois sectionnés, il s’évanouit.

Après avoir ri doucement durant cinq bonnes minutes, le Djinn focalisa son attention sur la vitre crasseuse. Kelly Darck ne se trouvait plus à l’intérieur ! À peine l’eut-il constaté que sa voix s’éleva derrière lui.

— Bouge d’un millimètre seulement et je troue ta cervelle !

Nul doute pour Iblisse, elle ne bluffait pas ! Il redevint visible et, paré de son plus beau sourire, se retourna lentement. Sa perfection subjugua Kelly, qui faillit tomber en pâmoisons.

— On se calme, jeune Gardienne ! Ce sont les puissances qui m’envoient.

— Peut-être… Ou pas ! J’attendrai de recevoir la confirmation avant de te faire confiance. Qui es-tu et que veux-tu ?

— Iblisse, roi des Djinns. N’est-il pas légitime pour un père de rendre visite à sa progéniture ?

Le dogme de la Mère racontait moult histoires sur le seigneur des Enfers, toutes empreintes d’une cruauté qui ferait passer Hitler pour un enfant de chœur.

— J’ai lu pas mal de légendes qui laissent entendre que tu es un gros psychopathe. Pourtant, à te voir comme ça, on dirait pas !

— Bien que trompeuses, les apparences demeurent primordiales, ma chère Kelly Darck.

— Je te trouve trop familier ! Comme si… tu ne me rencontrais pas pour la première fois !

Rien n’échappait à cette sorcière d’une trempe incroyable ; d’autres auraient trépassé juste à l’évocation de son nom. Les pleurs du nourrisson attirèrent soudain leur attention.

— Reste ici, ordonna Kelly, je m’en occupe. Si tu bouges, je te défonce !

Iblisse déglutit, sachant pertinemment que sa puissance n’égalait en rien celle de la Gardienne. Observant depuis sa position, il se maintint statique.

Kelly rentra dans le taudis et se pencha sur le berceau afin de saisir le bambin. Douillettement installé contre sa poitrine, le chérubin redevint serein. Ses jeunes prunelles plongées dans celles de sa lointaine descendante, il se laissa sonder. Un biberon ensorcelé plus tard, le bébé se rendormit, repu.

De l’index, elle invita alors le démon à venir la rejoindre. Devinant qu’il serait soumis à un interrogatoire auquel il ne pourrait se dérober, il prit une grande inspiration, puis s’exécuta. Cependant, incommodé par la crasse ambiante et le manque de meubles, d’une nuée magique, Iblisse rendit la maisonnette étincelante et en refit la décoration.

N’importe quel puriste pénétrant dans la chaumière aurait crié au diable, tant le style Roche Bobois détonnait avec l’époque. Impressionnée malgré elle par le goût exquis du Djinn, qui transforma le taudis en un palace, Kelly s’installa sur l’un des moelleux fauteuils pourpres et invoqua de quoi les sustenter.

— Alors, explique-moi cette familiarité.

— Ma position me permet d’exister en dehors du Continuum.

— Par conséquent, je te croise pour la première fois, mais tu as rencontré ma version future.

— En gros, c’est ça !

— Et donc, je tolère cette façon de t’adresser à ma royale personne !

Iblisse réfléchit quelques instants. Il ne pouvait être plus précis, au risque dese prendre la tête encore une fois avec Red Hood, ce dont il se passerait volontiers.

— Euh… ouais !

— Curieux… et je suppose aussi que tu ne peux pas m’en dire plus. Bref, explique-moi pourquoi ta femme a vécu neuf mois en stase.

— Elle n’est pas ce que tu dis ! Mais un sujet d’expérience des puissances afin de faire naître une créature hybride, qui porterait mes gènes démoniaques, humains, sorciers entremêlés à ceux de la reine enchanteresse. Et ce, par parthénogenèse !

— Autofécondation !? Effrayant ! Vu l’époque, ce ne peut pas être Marie, du clan de Nazareth. Un individu d’une telle envergure a dû laisser sa trace dans l’Histoire.

— Merzhin, ça te parle ?

Kelly resta interdite, il s’agissait de l’époux d’Andromède. Plus connu sous le nom de Merlin l’enchanteur, ses exploits se transmettaient de génération en génération. Disney en avait même fait un film, qui eut son petit effet parmi les Khal.

— Quant à moi, reprit-il, je suis venu récupérer mon garçon afin d’accomplir son éducation parmi les miens.

— Il aura besoin de sa mère !

— Ne t’inquiète pas, je l’amène avec nous.

Non loin d’Adhane, toujours inerte, un trou de ver se matérialisa, signe que la fin de la mission sonnait pour Kelly.

Elle alla observer une seconde l’enfant dans son berceau puis, sans un regard en arrière, elle s’engagea dans l’orifice nouvellement ouvert. Son amie partie, Iblisse s’approcha de la jeune maman, plaça une main sur son front et l’autre à l’arrière de sa tête et d’une rotation rapide et précise, brisa ses vertèbres.

Avant de disparaître, il s’assura que l’enchanteresse et sa demeure finissent en fumée. Désormais sans majesté, Brocéliande s’endormit.

Ravi de retrouver son royaume, son fils dans ses bras, le Seigneur démoniaque respira le bon air au goût de fraise à pleins poumons. Loin des clichés infernaux, sa dimension ressemblait à un quartier résidentiel huppé. Alignées à la perfection, les villas ultras modernes, ultras confortables, ultra-chic se voyaient toutes garnies d’un jardin à la pelouse orangée, taillée au millimètre. Ici, Jour et Nuit se partageaient le crépuscule en permanence. Les saisons, très peu pour eux, l’été régnait en continuité. Ce qui expliquait que chaque palace soit équipé d’une piscine.

Ses ouailles vivaient dans l’harmonie, la beauté sensuelle et luxueuse, et ne gâchaient jamais une occasion de célébrer un événement, important ou pas. Alors, imaginez ce que l’avènement d’un prince des Enfers engendra.

Si l’on prend en compte que le temps n’existe pas, qu’ils ne dorment pas et tiennent très bien l’alcool, ils durent y passer facilement deux cents ans, durant lesquels Merzhin grandit. Tout comme Kelly et les autres personnes ayant croisé le chemin du Seigneur démoniaque, jamais il ne sut que son père dissimulait son véritable aspect.

Immortels, les djinns se désintéressèrent si vite de la reproduction, qu’au fil des millénaires, la plupart d’entre eux perdirent cette capacité ! Désormais rares, les enfants se trouvaient vénérés. Merzhin eut droit au meilleur précepteur. Iblisse lui enseigna les arts du démonisme. Red Hood l’entraîna au combat. Puis arriva le moment où l’enchanteur dut retourner sur Terre. Le Hêtre de roche plate lui confia son sceptre, et Brocéliande s’éveilla. Ses ouailles ensommeillées reprirent conscience, et, sous couvert d’une apparence humaine, ils s’installèrent parmi les singes nus.

Après des siècles de pérégrination sur ce monde époustouflant, Merzhin rencontra Arthur, dont tu connais l’histoire.

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