Chapitre IV – Destins croisés
Villa Siriki.
Quelque part dans le cosmos !
Plongée dans un rêve prophétique, Kelly sortit en sursaut de sa transe onirique. Son regard glacial et luisant se fixa sur la faille interplanétaire, attendant au pied de son lit. Tout en revêtant sa robe de chambre de soie nacrée, à haute voix, elle lâcha, irritée :
— Encore une mission ! Elle veut que je m’épuise à la tâche. Quand est-ce que je peux sauver le monde, si l’on me dépêche toutes les cinq secondes aux quatre coins du Continuum galactique ? J’aime mes enfants plus que tout, sinon, j’aurais tout plaqué depuis bien longtemps ! Je sais pertinemment que tu m’entends, satanée Créatrice de l’Univers !
Ce n’est qu’une fois son sacro-saint café au lait matinal ingurgité et sa mise en beauté achevée qu’elle franchit la brèche. Dès qu’elle y posa le pied, le pouvoir dégagé par ce vaste monde fit bouillonner son chakra. Depuis son investiture, elle n’avait jamais croisé autant de puissance générée par une planète.
Les talons profondément plantés dans le sable fin, elle entra en méditation. Son esprit parcourut librement l’ensemble du globe, composé essentiellement de faune sauvage et de végétaux ayant recouvré leurs droits sur les villages désertés. L’unique signe de vie humanoïde se situait non loin de là. N’ayant jamais exploré cette planète, Kelly décida de la survoler. C’est d’une vigoureuse poussée parfaitement jugulée qu’elle se propulsa dans les airs. L’océan couleur de blé au-dessus duquel elle planait hébergeait une île aux terres turquoise, jalonnées d’un temple immaculé coiffée d’une immense coupole d’or, sublimant sa somptuosité.
À peine posa-t-elle le pied sur le bord de la plage paradisiaque que le sol se mit à trembler. Le chant paisible des oiseaux dissimulés se mua en un perçant coassement collectif, comme si le lieu rejetait son incursion. Un homme lézard recouvert d’un pagne gris et maîtrisant trois orbites rubis se révéla à ses côtés. D’un coup de talon sec et bref, il calma le séisme. Ses écailles noires et blanches, reflétant le soleil rosé, aveuglèrent momentanément Kelly. D’une voix stridente et menaçante, il s’adressa à celle-ci :
— Qui êtes-vous et comment êtes-vous parvenue jusqu’à moi ?
Kelly fit luire son regard chakratique. L’extraterrestre examina de plus près la voyageuse d’un œil suspicieux, mais bientôt, son air effaré ainsi que ses épaules affaissées lui notifièrent qu’il avait deviné.
— Mille excuses, Sainte Mère de la Trinité, je ne savais pas ! Jamais personne ne m’a visité et, pour tout vous dire, je n’espérais plus votre venue.
— Tu es qui ? Et surtout, comment me connais-tu ?
La créature apparaissait hypnotisée par sa magnificence, accentuée par sa robe de soie noire gainant son corps. À la vue de ses jolies jambes galbées rehaussées d’une paire de chaussures à talons, il perdit toute son assurance. Son seul désir : caresser la sublime crinière argentée que Kelly avait laissée libre et qui descendait le long de son buste. Son visage devint écarlate, la beauté de celle qu’il prenait pour une déesse le subjugua.
« Peu importe l’espèce, les mâles restent soumis à leur instinct primaire ! », pensa-t-elle.
En fine manipulatrice, elle profita de la confusion de l’individu, paraissant tout à coup plus avenante ; ce qui donna un regain de confiance au maître des lieux.
— Je suis le Prélat Keerk, dernier représentant du genre Laticauda. Vous êtes sur Colubrina, du moins, quand il y avait encore quelqu’un pour l’habiter. Notre existence se dédiait à la fabrication, puis à la protection d’un artefact destiné à vos enfants. Green Hood nous a rendu visite à travers les âges, afin de nous fournir les instructions et les outils nécessaires à son élaboration. En retour, nous avons acquis le privilège du savoir et de la cohésion. La Mère veillait sur les générations, se succédant à la réalisation du projet. Elle fit également en sorte que nos moindres besoins soient pourvus. Au bout de deux mille cinq cents ans, le Concepteur mystique est venu à nous pour annoncer l’achèvement de son invention. C’est dans une liesse générale que nous avons fêté l’événement.
— À quelle espèce appartient-il ?
— À aucune que je connaisse, et pourtant, je me targue d’avoir eu le temps d’étudier la Création de la Mère. Par contre, je suis absolument certain qu’il est d’essence divine !
— La conclusion de l’histoire, je te prie.
— Notre invité de marque a pénétré dans l’enceinte de l’imposante construction surplombant notre planète. Puis, lui et son œuvre disparurent, laissant derrière eux l’objet destiné à vos fils. Les Laticauda n’ayant plus d’objectif commun, ils plongèrent dans l’individualité. Un conflit s’ensuivit entre les défenseurs de l’artefact et ceux désirant exposer son secret, qui perdura jusqu’à notre extinction totale. La Créatrice de l’Univers elle-même m’a tiré de l’Entre-deux-mondes, pour que je veille sur la pyramide en attendant votre arrivée. Cet artefact permettra à vos enfants de mener avec succès leur guerre contre le Néant. De sorte que cela fonctionne, vous devrez le nourrir des énergies de puissance utilisées par votre lignée. En commençant par celle ayant donné vie à Paramisse. Telles sont les instructions laissées par le Concepteur mystique avant de nous quitter.
— Conduis-moi à l’objet.
Le légat resta quelques secondes sans réaction, puis se ressaisit et siffla trois fois. Une gigantesque créature ailée ressemblant à un loup jaillit soudain devant eux.
— Je vous présente Guiol, mon familier.
Une fois installé sur l’encolure de l’animal, ce dernier s’estompa pour ressurgir haut dans l’atmosphère rosée. Il plana en direction du nord de la planète. La chevauchée apparut exaltante pour la Gardienne, qui n’avait jamais éprouvé pareille sensation. Pendant le voyage, Kelly prit grand soin d’observer cette contrée, dont le peuple disparu avait réussi à préserver la beauté sans la défigurer. Son espoir pour le royaume de ses enfants résidait en cette vision paradisiaque : les habitations encore intactes communiaient parfaitement avec la nature, aucune construction n’émergeait des terres colorées, s’étalant à perte de vue. L’astre céleste restait maître de son corps !
Après quelques heures d’une traversée au milieu du ciel vermeil éclatant, le familier réplia ses ailes pour plonger aux racines du plus immense arbre que Kelly ait jamais vu. La descente vertigineuse dura plusieurs minutes. Arrivé au ras du sol, le loup les déployas de nouveau, puis se posa avec un léger sursaut, secouant quelque peu ses passagers. Une fois le légat et Kelly retirés, le compagnon animal disparut, les laissant à leurs affaires.
— Cela fait des siècles que cette zone n’a pas accueilli de visiteurs.
— Je vois…
Kelly suspendit sa phrase, reconnaissant ce qu’elle regardait : « La Pyramide Trinitale », découverte de manière énigmatique par son père. Sur l’une des faces manquait la légende de la Gardienne. Si elle n’avait pas cru les propos tenus par Keerk, elle devait se rendre à l’évidence. Un immense soulagement l’envahit.
Elle frôla du bout des doigts l’un des côtés sans inscription. À son contact, une faille temporelle se matérialisa. Elle connaissait la destination sans même la franchir. Cette brèche l’emmènerait sur Paramisse, planète d’origine de son peuple, se trouvant être l’une des seules phases refusant son incursion.
À croire qu’il fallait attendre le moment opportun.
Cette boucle était désormais bouclée, c’est ce que lui expliqua la Reine des célestes, lors de leur première confrontation : « des actions non accomplies se voyant auparavant enregistrées dans l’histoire ».
La pyramide gravée de sa légende, la Gardienne la conduirait aux prémices des ascendances pour traverser les époques à la rencontre de ses petits…
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