Chapitre 15 – Super-Vilain
Vingt années s’écoulèrent :
En ce jour, il allait jouer son premier pion. La convocation de la reine, reçue le matin même, semblait constituer une opportunité idéale.
Pour l’occasion, Suridar prit soin de bien paraître. Au fil des ans, il avait transformé son physique emprunté en une arme de séduction massive. Ses vêtements, confectionnés par le clan Lagerfeld, étaient cousus dans les meilleures étoffes. Les pierres précieuses exhibées sur chacun de ses doigts rendaient ivres de jalousie ses homologues des autres Covens. Il était le seul à détenir pareilles richesses et à recueillir autant de considération de la part du peuple.
Dans sa tunique d’un blanc immaculé, il traversa Khalarie. Ses interminables cheveux blonds flottaient au vent. Son regard écarlate transpirait la douceur.
La forteresse royale se dressait face à lui. Sans qu’il ait besoin d’énoncer le moindre mot, les gardes s’effacèrent sur son passage. Il longea l’allée cintrée des portraits des anciens souverains paramissiens. Nombre de pages et servantes sur son chemin le dévisagèrent sans aucune pudeur. La carpette directionnelle le conduisit, non pas à la salle du trône, comme la coutume l’exigeait, mais au cabinet intime de la reine. Ce qui ne présageait rien de bon.
Les gigantesques portes d’or s’ouvrirent. La mine sévère, la majestueuse Andromède l’attendait :
— Lorsque je vous mande, Maître des Spécialistes, la ponctualité n’apparaît pas comme une option.
— Mes excuses Majesté, quelques affaires auxquelles je ne pouvais me soustraire retenaient mon attention. Que me vaut cette agréable convocation ?
Un tel ton amical aurait trompé n’importe quel individu. Mais Andromède ne sentait que noirceur et perfidie dans celui que tous idolâtraient.
— Master Hu Brihān, vos dernières expériences sur les humains sont intolérables. Il ne me semble pas vous avoir donné mon accord !
L’assistante de la Gardienne fit son entrée à ce moment-là et Suridar dessina un magnifique sourire séducteur sur le visage de Pāddi. Comme toutes les autres, elle tomba en pâmoison. Cette sorcière à la beauté cachée serait parfaite…
— Je pensais qu’il était important pour vous d’assurer la survie de notre espèce, répliqua-t-il, faussement contrit.
— Certes, Pāddi, mais sûrement pas au prix de vies innocentes. Vous allez cesser ces activités sur-le-champ, ordonna Andromède d’une sévérité effrayante.
— Bien, Votre Altesse.
La froideur de sa voix reflétant sa frustration laissait croire à Andromède qu’elle remportait la bataille.
Voilà des mois qu’il demandait une entrevue avec cette dernière, sans résultat. Il avait donc entrepris ce petit projet sur les humains, dans le seul but de se faire convoquer. Andromède ne l’intéressait nullement, il lui fallait juste gagner la confiance indéfectible d’un proche de la souveraine. Ce qu’il s’apprêtait à accomplir…
Comme prévu, Jaouira attendait sa sortie timidement. Fin psychologue, il se doutait qu’elle n’oserait jamais l’aborder. Il feignit de ne pas l’apercevoir et la bouscula.
— Mille pardons, demoiselle, et son regard libidineux la déshabilla intégralement. Il se trouve que je songeais à votre éblouissante apparition lors de mon entretien avec la reine. Je me demandais si vous accepteriez de passer un agréable moment en ma compagnie.
Jaouira, sous le choc, bafouilla. Suridar prit cela pour un oui et lui tendit un morceau de parchemin.
— Retrouvez-moi en ce lieu à vingt heures.
Il posa un lent baiser sur sa joue et l’abandonna là, bouche bée.
La sorcière qu’il découvrit lors du rendez-vous ne correspondait en rien à la femme au physique ingrat qu’il avait vue plus tôt. Son cœur chavira devant la déesse qu’il contemplait.
Cette nuit-là, le diabolique individu réussit un coup de maître. De ce rendez-vous découla une union doublée d’un futur heureux événement. Sa vengeance primant sur ses sentiments, le jeune marié poursuivit l’exécution de son plan machiavélique.
Tandis qu’il accordait une conférence exceptionnelle à l’académie des arts enchantés, c’est sous l’œil des nombreux étudiants qu’un messager lui annonça à la fois la naissance et la mort de son enfant. En bon comédien hurlant sa douleur dans un flot de larmes, il se précipita, l’angoisse au visage, à travers la cité.
Lorsqu’il arriva devant l’entrée de son domicile, il vit la guérisseuse en sortir.
— Que s’est-il passé ? demanda-t-il, la voix tremblante.
— La bibliothèque a transmis un manuscrit ensorcelé à votre dame.
— Cela est impossible. Nos sécurités l’en empêchent. De quelle malédiction a-t-elle été victime ?
Son air éploré apparaissait tellement convaincant.
— « Le Morticus ».
Le ton lugubre sur lequel elle prononça ces mots laissait transpirer le sérieux de la situation.
— Si votre épouse n’avait pas porté la vie, elle en serait morte, conclut-elle avant de poursuivre son chemin, affligée par le deuil de cet homme exceptionnel.
Après cette triste nouvelle, Jaouira ne fut plus jamais la même. Malgré le sacrifice de sa progéniture, au profit de sa soif de sang, Suridar restait profondément épris de sa femme. Il lui raconta donc sa version de l’histoire et révéla finalement sa véritable identité.
Son amour inconditionnel la persuada de la responsabilité de la reine dans le décès de son enfant. C’est ce qui incita Jaouira à trahir Andromède, en dérobant la formule du « Deus Morticus », et ce, sans qu’elle s’en aperçoive. Elle permit par conséquent à Suridar de se prémunir contre le sortilège confectionné par la Gardienne à son intention. Car avant d’expirer dans un dernier souffle, Naïla, par le biais de l’esprit, avait prévenu Andromède du danger que représentait le vilain sorcier.
Les époux Hu Brihān exposaient leur bonheur constant à la vue de tous, s’attirant de la sorte la sympathie des Khals, qui se passionnaient pour leur vie trépidante de mondanité et d’importance, chèrement conquise. Projetant un coup d’État, ils s’assurèrent de rentrer dans les bonnes grâces de la reine, espérant rester ainsi en dehors de tout soupçon. Malheureusement, Andromède ne tomba pas dans le panneau. L’affreux bonhomme ne gagnerait jamais sa confiance. Quant à sa fidèle servante, désormais, elle s’en méfiait comme d’un cerbère. Elle avait tenté de compatir à la perte de leur enfant, mais son instinct disait qu’il valait mieux que cette engeance du Néant ne se reproduise pas.
Cependant, il n’était pas sa principale occupation, une épée de Damoclès planait au-dessus d’eux depuis vingt ans. Qu’attendait Néotolc pour agir ? Ses émissaires envoyés de par le monde étaient tous revenus bredouilles.
**
Deux années s’écoulèrent :
Andromède se trouvait en charmante compagnie, dans les eaux sacrées thermales de ses appartements quand soudain, des cris provenant des rues de la cité la terrifièrent :
— ABDIQUE ! ABDIQUE ! ABDIQUE ! ABDIQUE !
D’abord tétanisée par cette réminiscence venant du passé, son compagnon du moment fut repoussé avec force, et c’est au pas de course qu’elle sortit du bassin. Dénudée devant l’immense baie vitrée exposant un panorama époustouflant, elle pensa devenir folle.
Un groupe d’hommes vêtus des anciens uniformes de l’Ordre martelait cette litanie. Pire, Diablé Néotolc fouettait le sang de partisans qu’elle croyait fidèles. Comment cela avait-il pu se produire ?
— ABDIQUE ! ABDIQUE ! ABDIQUE ! ABDIQUE ! scandaient sans cesse les révolutionnaires.
Le cœur battant la chamade, elle se détacha de cette vision en sueur ! À son grand désarroi, les Puissances avaient rompu tout contact depuis l’installation sur Terre. Sarek était mort et ses descendants s’étaient éloignés du pouvoir ; Kelly Darck ne daignait pas non plus se présenter. Andromède demeurait seule.
Chassant ses idées noires, elle s’installa devant sa dernière création. Tandis qu’elle s’admirait dans sa coiffeuse sertie de saphirs étincelants, les multiples reflets dévoilèrent les événements se déroulant en temps réel dans Khalarie. Une image en particulier capta son attention : les époux Hu Brihān, bras dessus bras dessous, se dirigeaient vers le palais. Frustrée par son sommeil agité, elle s’embellit d’un élégant maquillage et revêtit une ample robe de lin. Sa chevelure laiteuse s’envola au vent et se figea. De l’index, elle approcha la couronne d’Ennigaldi et s’en para.
Ne souhaitant pas manquer l’occasion de passer sa colère sur les tourtereaux, son vortex la conduisit sur le parvis de sa demeure. Fomentant quelque conspiration sous couvert de leur idylle, les intrigants devinrent blêmes. Arrivés à quelques marches des hauteurs, ils s’arrêtèrent pour accomplir une révérence. Hypocrites, tous deux bouillaient de haine, mais n’en montraient rien.
— Relevez-vous et suivez-moi !
Soulagés, ils obéirent. Bien que le ton soit cassant, la garce les aurait exécutés sans sommations si elle avait eu une preuve du complot. Tandis qu’ils traversaient le hall principal, à leur grande surprise, la majesté n’adopta pas la direction de son cabinet privé. Observant le tracé de la carpette directionnelle, le couple devina s’orienter vers la salle du Trône. Le conclave des clans au complet les y guettait, ainsi que l’ensemble de la cour. Détectant la souveraine présence, les battants s’ouvrirent en grand.
Pleine de grâce, elle se rendit jusqu’à son siège royal. Connaissant la règle, tous attendirent l’invitation à s’introduire dans la tanière de la reine. Peu pressée, Andromède prit son temps. À son commandement psychique, le sol d’émeraude mit en son centre deux chaises à disposition, puis les cerclats de gradins. Suridar se tortillait sur place, hésitant entre attaquer ou fuir. Jaouira, sur des charbons ardents chuchota à l’oreille de son mari :
— Nous allons être jugés ! Partons avant que…
Le timbre résonnant d’Andromède l’empêcha de finir sa phrase :
— Entrez, je vous prie.
Machinalement, Suridar, alias Pāddi, attrapa la main de sa douce et, tentant le tout pour le tout, guida ses pas jusqu’au banc des accusés.
— Que faites-vous tous les deux ? les sermonna Andromède. Prenez position dans les banquettes !
Le soulagement affiché par le duo confirmait qu’il se tramait de sombres choses. Sous le regard moqueur de ses pairs, le sorcier jalousé et son épouse rejoignirent leurs rangs. D’un œil sévère, elle scruta l’assistance silencieuse qui brûlait d’en apprendre plus. La reine s’appliquait à rendre ces cérémonials un peu plus exaltants qu’ils ne l’étaient. Ses doigts claquèrent fortement, les battants se refermèrent avec un fracas qui les fit tous sursauter.
Enfin, elle prit la parole :
— Comme vous avez pu le deviner, les Néotolc ne seront pas jugés, même si je reste persuadée qu’ils finiront ici, un jour ou l’autre.
Rouges de honte, les concernés se ratatinèrent sur leur chaise, alors que tous s’esclaffaient. Les adorés du peuple détenaient tant d’influence en Khalarie, que leurs alliés d’antan les détestaient à présent.
Appréciant le moment, Andromède laissa le temps aux esprits de se calmer avant de reprendre.
— J’appelle les époux Gaudin.
S’étouffant de surprise, tous observaient la souveraine avec des yeux ronds. Le clan Gaudin, connu pour sa loyauté à la couronne, était d’une droiture exemplaire ! Mais que pouvait bien leur reprocher la reine ? Tremblant, les jeunes mariés se frayèrent un chemin et rejoignirent le centre de l’arène, tout aussi interloqués.
— En ce jour, Andromède Darck, Reine Éternelle, tient à récompenser votre clan pour son implication de ces derniers siècles. Grâce aux générations de Gaudin, notre qualité de vie s’est grandement améliorée ; Khalarie a grandi. À cet effet, je vous honore tous les deux du titre de Gardiens royaux.
Pāddi se figea. Ce poste, il le convoitait depuis nombre d’années… Une rage primaire l’envahit. Ne pouvant la contenir, elle se libéra, fissurant le sortilège d’esthétisme, dissimulant sa véritable physionomie. Il bondit en poussant un hurlement et atterrit au côté des Gaudin. Prenant Madame par-derrière, Suridar enroula son bras autour de sa gorge.
Face à l’apparition de Diablé, Andromède se tétanisa. Puis, comprenant qu’il s’agissait du fils de Naïla, elle s’élança. Durant son pivot dans les airs, ses doigts claquèrent ; répondant à son injonction, les battants s’ouvrirent. Médusée par l’agitation soudaine, l’assistance, propulsée dans la réalité par la bourrasque, se retrouva expulsée de la salle.
Épargnée par la magie d’Andromède, Jaouira rejoignit le vilain sorcier, qui lui confia la garde de l’otage. Andromède aurait aisément pu l’en empêcher, mais, anticipant les prochains événements, cela valait mieux. Tandis qu’un affrontement de regards s’installait, les combattants se mirent à avancer en cercle. Tous deux guettaient une ouverture, un relâchement.
Les rivaux luisaient ardemment. Puis Suridar crut entrevoir un frémissement et, rapidement, il leva ses paumes et projeta des halos ardents. Guerrière émérite, Andromède le laissa croire à cet instant de faiblesse afin de juger son pouvoir. Suridar pensait sa victoire facile, mais c’était sans compter sur la chevelure immaculée de la reine qui, à une seconde de la collision, l’enveloppa. L’effet bouclier renvoya le maléfice à son créateur. D’un bond, il s’élança en arrière et, prenant appui sur le mur, le vilain sorcier se propulsa sur la cible.
S’approprier le chakra de Naïla et de Catin ne lui avait pas seulement conféré leur puissance millénaire, le bougre détenait aussi leur savoir-faire militaire, tout comme leur exceptionnelle maîtrise de la haute sorcellerie.
D’une pichenette, la Darck le repoussa. L’intensité incommensurable dégagée par ce geste simpliste l’envoya briser une colonne d’onyx, puis les gradins pour, en bout de course, passer à travers la baie vitrée. Sonné, Suridar survola Khalarie malgré lui. Sa traversée se termina à l’extérieur de la cité, dans une dune de sable chaud, qui déclencha un tsunami de poussière.
Jaouira explosa en un cri de détresse. Ivre de rage, son corps irradia de violet :
— Sale chienne de Darck, tu vas me le payer !
Bien que la situation ne soit pas à la plaisanterie, Andromède ne put s’empêcher d’éclater de rire. Les déclarations de Jaouira l’amusèrent, mais sa tête et la force de conviction mises dans ses propos finirent de la faire rire, tant qu’elle devait se tenir les côtes, sous l’œil médusé de l’assistance, toujours agglutinée derrière l’encadrement.
Estomaquée par le manque de respect de la garce, Miss Néotolc invoqua une lame de vent, en vain. Pauvre sorcière : Andromède, tentant de se ressaisir, pouffait dans son dos. Une salve de foudre dans la colonne vertébrale et la comique sombra. Madame Gaudin en profita pour rejoindre son mari à l’extérieur, tandis que la Reine éternelle, traînant Jaouira par les cheveux, franchissait son vortex.
Au retour de Pāddi en Khalarie, Andromède avait immédiatement remarqué le changement de personnalité. D’un naturel timide, le néophyte était devenu bouffi d’arrogance. D’abord enchantée à l’idée que son voyage au travers des contrées humaines l’ait transformé, elle déchanta promptement.
La reine s’en voulait de s’être laissée berner durant plus de deux décennies. Elle soupçonnait le Master Hu Brihān de comploter, mais ce fut un choc de découvrir son ennemi sous son nez.
Suridar avait cédé à sa colère et ne le regrettait en rien. Aujourd’hui ou demain, peu importe. Ses projets étaient finalisés depuis longtemps. Il affectionnait cette existence simple en compagnie de son adorée, qui méritait plus que l’humiliation permanente auquel la soumettait constamment la souveraine. Pour Jaouira, il aurait continué à vivre ce simulacre de vie et se serait contenté d’occuper la seconde place ; la chienne lui préféra des gorets sans envergure. Alors, autant en finir maintenant.
Le flou spatio-temporel qui se distinguait signifiait l’arrivée prochaine d’un vortex. Se ressaisissant, Néotolc se mit à couvert. Son cœur se fendit lorsqu’il vit son aimée se faire traîner par les cheveux dans le sable, comme une vulgaire poupée de chiffon. Rapidement, son esprit se connecta au sien. Soulagé de la savoir juste évanouie, il s’adressa à Andromède :
— Tu vas payer pour l’assassinat de mon père, que tu as spolié et froidement exécuté, alors qu’il tentait de vaincre le Néant.
— Toi et ta femme, vous êtes à mourir de rire. Diablé ne possédait rien d’un héros ! Un saligaud, fruit de l’inceste, qui désirait notre anéantissement, voilà ce qu’il était ! Pour ma part, j’estime son trépas trop doux.
Son ton badin énerva le vilain sorcier au plus haut point. Andromède s’arrêta enfin et son regard se porta sur la dune cachant Suridar. L’interminable crinière rousse de Jaouira s’enroula autour de la main de la reine, jusqu’à lui tendre le cuir chevelu. Assurée d’avoir une bonne prise, elle décolla la sorcière du sol. Sa peau, restée en contact trop longtemps avec le sable brûlant, apparaissait à vif.
— Je te donne une minute pour te montrer, sinon je te balance sa tête.
Suridar ne put se résoudre à un tel dénouement. Lorsqu’il sortit de sa tanière, sa chair émanait de relents de chakra améthyste, rosé et rubis. Sur son cheminement, un vent mystique s’éleva, catapultant des bourrasques sablonneuses qui l’empêchèrent de distinguer son avancée.
Gênée par son otage, elle l’envoya avec force un peu plus loin. Dissimulé par la nuée, son époux, qui ressentait intuitivement son aura, se propulsa vers elle et, délicatement, la souleva et la mit à l’abri. Sa colère grandissante amplifia son pouvoir, tout comme la tempête.
— À présent, ça se joue entre nous, ma chère Puterelle.*
— Crois-tu pouvoir me vaincre ? Tout ceci n’est que de la poudre aux yeux.
Andromède leva les bras au ciel. Répondant à son injonction, la manifestation de Suridar se réunit pour se muer en une tornade d’une intensité sidérante. De l’index, elle la dirigea sur le vermisseau ; tant bien que mal, il réussit à la repousser à quelques lieues de la zone de combat.
En ce jour, elle pardonnait à Naïla toutes ses offenses, car, si elle ne l’avait pas prévenue au seuil de son trépas, jamais elle n’aurait conçu « le Deus Morticus ». Elle n’en montrait rien, mais la puissance du scélérat l’épatait. Il maîtrisait les magies millénaires de sa mère et de Catin, comme si elles lui avaient toujours appartenu.
Amoindri par l’attaque, Suridar tomba à genoux. Toutefois, disposant de la faculté de sonder l’énergie mystique, la souveraine ne crut pas une seconde à sa comédie. Elle, qui était parée à tout imprévu, ressentit soudain, aux frontières de Khalarie, l’émergence d’obscures créatures. En fin stratège, le vilain sorcier avait effectivement feint sa chute et envoyé sa sorcellerie au travers des ondes telluriques bordant la cité.
Malheureusement, elle ne pouvait se trouver sur les deux fronts. Elle devait en finir rapidement. Les cris d’effroi et les bruits de destruction s’échappant de Khalarie parvinrent jusqu’à ses oreilles. Bien qu’ils soient inquiétants, elle se devait de faire confiance à son peuple pour se défendre.
Son attention se porta de nouveau sur le traître, qui fusait dans sa direction. D’un coup de poing vengeur, elle le repoussa. La vermine avait sacrifié la moitié de son énergie pour concevoir la dizaine de monstres qui mettait le royaume à feu et à sang. Grave erreur ! Dorénavant, elle pouvait l’annihiler sans risquer de tout faire exploser. Tandis qu’il revenait à la charge, cherchant à rendre coup pour coup, Andromède l’esquivait. Une empreinte mystique d’une puissance phénoménale émergea soudain au cœur de la bataille des remparts. Empli de bienveillance, l’individu qui venait de surgir combattait avec ardeur, décimant une à une les créatures maléfiques.
Durant cette danse effrénée avec Suridar, qui persistait à tenter de la blesser, Andromède, avec l’index tendu au sol, traça le Triskel sacré du clan Darck. Le chef-d’œuvre terminé, d’une poussée, elle s’éloigna du scorpion, désormais prisonnier du symbole. D’un timbre à glacer le chakra, la Reine immortelle rugit une psalmodie qui résonna sur des lieues à la ronde.
Des milliers d’éclairs d’or zébrèrent le firmament et vinrent se réunir en un seul. Abattant son courroux, la foudre mordorée frappa le vilain sorcier, le réduisant en poussière. Andromède s’approcha de la dépouille fumante et, satisfaite, elle esquissa un sourire. Enfin, d’une envolée maîtrisée, elle atteignit les cieux et rallia Khalarie. À peine eut-elle atterri qu’elle remarqua le magnifique apollon à la crinière ébène. Vêtu d’une soutane de soie sombre, il tenait un immense sceptre de bois blanc serti d’une opale noire. Envoûtée par son regard cobalt, Andromède snoba sa cour et se dirigea droit sur l’inconnu, qui, bientôt, ne le serait plus.
Impressionnée par la sublime femme dont Iblisse lui avait tant parlé, Merzhin posa un genou à terre et sa voix gracieuse finit de faire chavirer son cœur :
— Merci de ton aide. Tu peux te relever.
Muet d’admiration, il ne sut quoi répondre. Satisfaisant à l’invitation implicite de la souveraine, Merzhin s’engouffra dans son vortex.
Annotations