Chapitre 18 – Éphémère existence

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30 décembre 2018.

L’Enlil appartenant à cette causalité était tout aussi intelligent, charismatique et populaire que sa version 2.0. Il vivait une adolescence classique, dans un foyer empli de félicité. Adopté à l’âge de douze ans par une famille bourgeoise marseillaise qui avait déjà planifié sa grandiose destinée ; l’orphelin était comblé.

Malgré ce bonheur, Enlil restait dévoré par ses sentiments. La peur de perdre celui avec lequel il voulait se bâtir un avenir l’empêchait de dévoiler son secret. L’angoisse du rejet était sûrement enracinée dans le fait qu’il avait été abandonné. Peut-être n’assumait-il pas sa différence ?

Lors de l’ultime soirée passée avec ses plus proches amis, c’est ivre d’assurance, et surtout d’alcool, qu’il se déclara. Nick, soulagé, sourit, fixa son regard sur le jeune homme tremblant d’émotion, puis effleura délicatement sa joue et l’embrassa avec passion.

Sitôt que les lèvres des tourtereaux se séparèrent, une intense détonation retentit. Enlil, seul survivant au milieu des gravats épars autour de lui, s’en était sorti sans aucun dommage physique. Mais, à l’instant où le corps de Nick s’était dispersé, son esprit à lui s’était effondré. Traumatisé, il plongea dans un coma profond.

À son réveil, une année entière s’était écoulée. Demandant des explications sur le jour fatidique, l’infirmière présente eut la gentillesse de lui expliquer que l’enquête des forces de l’ordre avait conclu à l’époque à une fuite de gaz.

Au fond de lui, Enlil restait néanmoins persuadé d’être responsable de la mort de Nick. Incapable de vivre avec cette idée, il tenta à plusieurs reprises de se suicider et ses parents adoptifs, ne supportant plus de le voir dans cet état, le firent interner.

Les blessures de son âme ne cicatrisaient pas ; au contraire, elles empiraient même. Puis il se mit à entendre des voix ; à d’autres moments, sa culpabilité se traduisait par des absences, suivies de malaises, se terminant généralement par des accès de démence, dont certains membres du personnel arboraient encore les stigmates.

Réduisant le délai entre les visites, ses proches disparurent progressivement, puis finirent par ne plus venir du tout.

Quatorze années de solitude se passèrent ainsi, sans déranger en rien celui qui fut son juge et son bourreau. Il se plia docilement à la prise de médicaments tout en respectant rigoureusement les instructions du psychiatre ayant diagnostiqué sa schizophrénie.

Son état s’améliora doucement, ce qui ne l’empêcha pas de continuer à simuler sa folie. Ses nuits, peuplées d’images dantesques représentant la mort de Nick, furent peu à peu remplacées par des songes mettant en vedette un sorcier d’un autre monde qui lui ressemblait étrangement.

Grâce à ses rêves, Enlil puisa le réconfort nécessaire à son bonheur ; grand frère veillant au grain, il aurait adoré que ses chimères soient réelles ! Souhaiter susciter de l’amour de façon inconditionnelle et en récolter tout autant, était-ce fantasmer ? Ses parents adoptifs l’avaient choyé puis, honteux de sa déficience, l’avaient abandonné. Pour ne plus l’avoir dans leurs pattes, ils allouèrent une prime substantielle à la clinique. Il n’avait été qu’un faire-valoir, symbolisant leur ascension sociale.

En ce dimanche 30 décembre 2018. il eut la surprise de recevoir un visiteur, ce qui n’était plus arrivé depuis plusieurs années. L’individu, digne d’une gravure de mode, paraissait éminent. Son costume griffé Lagerfeld devait coûter bonbon. Il mesurait un mètre quatre-vingt et avait un physique avantageux. L’homme ne devait pas avoir plus de quarante ans, mais lorsque l’on scrutait ses superbes yeux gris-bleu, on y décelait une patience aiguisée. C’était le genre de regard dépositaire d’une sagesse infinie. Il se trouva même une ressemblance avec l’inconnu.

Darrius Coltone, puis que c’était lui, lui révéla alors l’existence d’un monde surnaturel. Enlil n’en crut pas un mot. Le serviteur des Darck ouvrit donc un maelström d’une lueur rubis et tendit la main à son nouveau protégé, qui la dédaigna, puis ensemble, ils traversèrent le vortex. Ils débarquèrent au cœur d’un fabuleux jardin, entouré d’un magnifique palais d’un blanc immaculé.

Enlil éprouva l’agréable sensation d’être « chez lui », ressentant pour la première fois depuis de longues années un sentiment de sécurité, dont il avait bien besoin.

Il remarqua aussi l’étrange paysage. Certains arbres, translucides, contenaient des paillettes aux teintes arc-en-ciel et les rosiers dont les sommets atteignaient le firmament lui donnaient le vertige. Sous les pas de chacun des promeneurs, le gazon prenait une nuance différente. Voyant son air surpris, l’immortel lui en fournit l’explication.

— Toutes ces merveilles sont les vestiges de l’ancienne patrie des Khal. Le chromatisme de l’herbe définit l’humeur de chacun.

— Que reflète la mienne ?

— L’or signifie l’acceptation ainsi que le bien-être.

— Et le rouge ? demanda Enlil, curieux.

— Je t’informerai des codes couleur demain, éluda Darrius.

— Rien ne te dit que je serai encore là.

— N’en sois pas si sûr. Tu es un Darck jusqu’au bout des ongles et j’en ai connu un paquet.

Une fois arrivés devant la porte de service, le visage d’une femme tout sourire s’imprima sur le double battant.

— C’est Andromède, la première des Darck, l’avisa Drrius, qui perçut son sursaut.

Enlil jugea ne pas vouloir en savoir plus, préférant attendre son tête-à-tête avec le supposé grand-père.

— Quand est-ce que tu vas me présenter ce fameux roi ?

— Nous y allons immédiatement.

Confronté à la féerie qui s’œuvrait çà et là, Enlil muet d’admiration avançait. La carpette magique qui se déroulait sous leurs pas lui laissa imaginer qu’elle annonçait le chemin à emprunter. Son regard voltigeait d’un coin à l’autre, émerveillé par les phénomènes. Il comprit être arrivé à destination, lorsqu’il buta sur son guide s’arrêtant sans prévenir. Darrius le pria de franchir le miroir géant trônant au milieu d’un long couloir, dont les murs habillés de multiples portraits paraissaient interminables. Enlil traversa. L’infini de l’endroit lui donna le vertige.

— Il s’agit d’un vide dimensionnel, nous pouvons y concevoir ce que nous désirons. Le roi Jonas a découvert récemment que celui-ci possédait la faculté d’élaborer des sortilèges. C’est le cabinet du boss, dont tu hériteras un jour.

— Tu me sembles trop confiant ! objecta le prince.

Intéressé par la diverse collection d’objets empilés sur les nombreuses étagères, il devina l’attention de Darrius posé sur lui. Sans dissimuler son impatience, Enlil prit place sur l’un des confortables fauteuils. Quelques instants plus tard, un homme ayant quasi son âge, lui ressemblant beaucoup, s’installa derrière le bureau.

— Salut ! Je suis Jonas Darck, ton grand-père, et aussi le seigneur de Khalarie. Je désespérais de voir ce jour arriver.

Enlil commençait à croire qu’il était tombé dans un traquenard. Sentant son interrogation, Jonas passa la main sur son visage qui vieillit sur-le-champ.

— Toi qui n’es pas coutumier de notre monde, ça te paraît étrange, mais chacun d’entre nous utilise sa magie pour conserver sa jeunesse. Cela fait partie de nos mœurs.

— OK, jusque-là tout va bien, mais pourquoi je suis là ?

— Car on m’a transmis une missive annonçant ceci :

Roi, Jonas Darck

Vous serez certainement ravis d’apprendre que votre petit fils Enlil est en vie. Kieran se situe dans le passé, quant à votre Héritier, il réside en votre époque.

La Gardienne du Continuum a modelé l’épopée dans l’intention de les sauver. L’aîné doit absolument les retrouver afin de donner naissance à la Trinité.

Un danger effroyable menace l’Univers, ils se doivent d’accomplir le nécessaire, pour éviter le destin funeste se profilant.

Affectueusement Blue Hood.

— Qui est ce Hood ? demanda le prince.

— Sûrement l’une des puissances. Mais je n’ai déniché sa trace nulle part dans les mythes ; contrairement aux Gold, Red ou Green, qui ont longtemps influé sur notre histoire. De plus, ceci est apparu depuis peu dans le grimoire de notre Clan. D… ! Ouvre-toi au sujet dont on parle, s’il te plaît.

Le D fit défiler ses pages, et s’envola pour se poser entre les mains du Roi. Voici, ce qu’il est dit :

« Suivant le balisage, l’aîné vers le passé entreprendra un pèlerinage. »

— Donc c’est ce que tu attends de moi ?

— Pas du tout. Laisse-moi poursuivre sans m’interrompre, je te prie !

La mine renfermée, Enlil croisa les bras.

— Après de nombreuses recherches, nous avons découvert que tes pouvoirs furent bridés, ce qui te mettait à l’abri de tes ennemis et nous empêchait de déceler ton existence. La vie suivit son cours, jusqu’à cette soirée où tes sentiments refoulés éclatèrent, fissurant alors le sceau. Le choc du baiser enflamma ton chakra, qui généra l’explosion dont tu étais l’épicentre.

— Comment peux-tu savoir ça ?

— Avant de venir te récupérer, Darrius a mené son enquête. Mes condoléances pour ta perte immense.

— Merci, j’ai accepté la situation, inutile d’en parler. Ton épopée est glorieuse, mais je me paye une réalité de merde durant des années, et, toi, tu arrives comme si de rien n’était, pour me prier de te tirer d’affaire. Tu n’étais pas là pour arranger les miennes que je sache.

— Je n’avais aucune conscience de ton existence, sinon cela ferait bien longtemps qu’on se connaîtrait. Je pensais ma fille morte le jour de la cérémonie, aucune trace dans notre histoire ne mentionne son nom ; et pourtant, quelque part, je l’ai toujours su.

— Qui est mon père ? demanda Enlil, la voix emplie d’espoir.

— Je ne suis au courant de rien, désolé.

Son grand-père, accompagné du serviteur, pénétra le reflet, accordant l’intimité dont avait besoin le prince. Seul, Enlil se mit à peser le pour et le contre, tout en réfléchissant à sa vie. Jusqu’à ce jour, il n’avait jamais rien vu d’aussi extraordinaire. Ce cabinet dimensionnel royal ; le palais surnaturel ; ainsi que le fabuleux jardin. Tout respirait la magie.

Voulait-il adopter le devenir d’un individu influent ? Pourrait-il endosser toutes les responsabilités qui allaient lui incomber ? Devait-il retourner à l’hôpital psychiatrique et enterrer toute cette histoire ?

Il comprit tout d’un coup que ces questions n’avaient aucune importance. Il devait honorer la mémoire de sa mère, qui s’était sacrifiée pour lui, pour le monde. Il se leva, se dirigea les épaules droites, le regard assuré en direction du reflet. Darrius et Jonas revinrent à ses côtés.

— J’accepte, annonça-t-il sans détour.

Les deux hommes à l’air grave avancèrent en silence jusqu’au centre de la pièce. Au même moment, le palais vibra. Une douce mélodie retentit de nulle part. Andromède exprimait sa joie de voir son descendant, assumer avec bravoure son destin.

— Rompre un sceau aussi puissant va être douloureux pour nous deux. Quoi que tu ressentes, fais-nous confiance et tout ira pour le mieux.

« Il est comique, le vioc. Lui faire confiance comme ça ? La blague ! », pensa l’Héritier.

« Malheureusement, tu n’as pas le choix ! »

« En plus, il lit dans ma tête, l’enfoiré. »

Satisfait de la rapidité de compréhension de ce futur prodige, Jonas esquissa un sourire,

Darrius se dirigea vers la bibliothèque, il en dégagea un écrin ouvragé de pierre, puis en retira le couvercle poussiéreux.

Une intense lumière s’échappa. Il se saisit d’une sorte de poignard en cristal. Enlil tenta de parler, toutefois, sa mâchoire restait aux abonnés absents. Le prince imagina toutes les insultes du monde ; Darrius se dressa devant lui :

— Je t’ai neutralisé pour plus de sécurité, ton grand-père n’osait pas te contrarier.

Enlil se promit de le lui rendre la pareille. Jonas le fit léviter jusqu’au bureau, qu’il avait pris soin de débarrasser. Darrius le déshabilla d’un claquement de doigts et entama le rituel de révélation. La darbouka sur laquelle il tapait avec frénésie mit Jonas en transe. Ses yeux dorés s’illuminèrent. S’accordant à la mélodie de Darrius, la voix du roi s’éleva en un chant ancestral. Son chakra émit une onde qui frappa le buste d’Enlil qui se crispa. À la seconde, où l’estampille fut visible, Jonas planta net au cœur. Le poignard ne perfora pas son corps, mais son âme ! Ce qui était encore plus douloureux. Il sombra.

Enlil se réveilla aux alentours de cinq heures du matin, plongée dans la pénombre. De la main, le novice entrouvrit les rideaux. Les rayons de la pleine lune percèrent les carreaux, pour venir lui frôler l’épiderme. Assis en tailleur sur l’immense lit, il observa son environnement. La chambre était effectivement digne d’un seigneur.

Les murs étaient d’un noir intense. Sur le flanc droit de l’appartement, se situait une cheminée, de l’autre, fut mis à sa disposition une penderie comportant une multitude de vêtements. Le jeune homme trouvait la pièce trop ancienne, la couchette dorée était un peu kitch, le tapis en peau de chien à trois têtes pas vraiment nécessaire.

Le prince se leva et découvrit un institut de beauté, qui semblait être la salle de bains. Étant d’un genre play-boy avant la mort de Nick, il était ravi de ce nouveau confort. Au moment où il eut cette pensée, un vortex se présenta. Il traversa ! Le garçon eut l’impression de savourer l’étreinte affectueuse de sa mère. Et c’est ainsi qu’il rejoignit Ishtar, afin de l’aider à accomplir sa destinée.

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