Chapitre 22 – Retrouvailles d’antan

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29 octobre 2022, Kieran Darck, Algérie.

Garçon athlétique à la coupe militaire, blanc de peau, son regard d’or reflétait la froideur. La plupart des gens refusaient d’affronter Kieran, mais son cœur faisait preuve d’une bonté sans limite et cela, seuls ceux qui le connaissaient réellement en avaient conscience.

Depuis sa prise d'indépendance, le cadet voguait à travers le monde, recherchant les vestiges du passé des différentes espèces éteintes qui s’étaient réfugiées sur la Terre aux fils des millénaires. Au cours des années, il avait visité l’Atlantide et Asgard. Enfoui dans les abysses du Pacifique, il avait découvert une cité sous-marine. Trônant au cœur d’un temple, le Trident de Poséidon régnait parmi d’autres merveilles et ossements de sirènes de la taille d’une baleine. Bien évidemment, il l’ajouta à sa collection privée. Spécialiste en artefacts magiques et baron de la drogue, il poursuivait chaque piste pouvant le conduire à une trouvaille ou à un contrat juteux. 

Lors d’un voyage à Alméria, sous la poussière d’une antique librairie, il eut la surprise de dénicher le Grimoire de l’invisible qui, selon la légende, avait été écrit de la main de la Gardienne du Continuum. Ses échecs répétés à tenter de décrypter ses pages commençaient à assombrir son moral. Ce recueil était le premier à lui résister et, d’après les archives royales qu’Anatole avait en mémoire, il détenait d’importants secrets sur l’histoire de ses ancêtres. À son grand désarroi, le sortilège révélateur se situait en Khalarie.

Kieran décida de prendre du recul. Après quelques instants d’intense réflexion, il se leva, puis ramassa sa sacoche qui traînait sur l’un des fauteuils.

Quittant son bureau, il se dirigea vers le garage. La collection auto/moto qui sommeillait là aurait rendu jaloux n’importe quel spécialiste. Jaguar, Aston Martin, Rolls, etc. Plus d’une cinquantaine de véhicules motorisés, de tous types et époques, attendaient patiemment leur rénovation ou l’occasion d’être utilisés.

Son choix se porta sur le quad bleu déployé principalement pour ses virées du week-end. Son vortex tanzanite invoqué, il poussa les gaz et disparut dans l’œil du cyclone. Quelques secondes s’écoulèrent avant qu’il fût remolécularisé en plein désert turc. Depuis plusieurs mois, il prévoyait d’arpenter le plus ancien temple jamais révélé par des archéologues : Göbekli Tepe. Il avait déniché dans les souvenirs de sa défunte mère un rapport concernant ce secteur.

L’endroit avait en effet suscité la curiosité de la reine, en raison de l’impossibilité d’exécuter le moindre sortilège à cent kilomètres à la ronde. Pris de court, le palais manipula magiquement les excavateurs afin qu’ils cessent leurs explorations. Kelly en personne y ajouta une malédiction de son cru destinée à refouler tout intrus extérieur au clan royal. Le fait de déterrer quarante mégalithes suffit à enrayer la magie sur une aussi vaste circonférence. Si l’ensemble du site avait été exhumé, Khalarie, ainsi que la moitié du globe, se serait transformé en zone fantôme.

Kieran roula pendant plus d’une heure, savourant le frisson de la vitesse, éprouvant un sentiment de liberté trop rare dans son existence. Au milieu du paysage désertique, il oubliait qu’il était un prince Darck. Arrivé à destination, le passionné s’arrêta quelques instants pour admirer ces vestiges d’un passé empli de mystères. Il se détendit les muscles, puis s’engagea sur le chemin menant aux portes du sanctuaire.

Après vingt minutes de marche en montée, au milieu des rochers, s’alliant avec le vent poussiéreux, de sorte à rendre son périple bien plus pénible qu’il n’aurait dû, l’aventurier toucha enfin au but. Sur son trajet, il se jura maintes et maintes fois de ne plus jamais remettre les pieds à l’intérieur d’une zone fantôme.

Malgré les affres du temps, ce lieu demeurait extraordinaire. L’empreinte de l’Antiquité fit frissonner le spécialiste.

Prudemment, Kieran s’avança et remarqua un amas de torches intactes près du seuil du temple. Attrapant son briquet dans sa sacoche, remplie d’accessoires, dont il pourrait avoir besoin à tout moment, il s’en saisit et en alluma une. Sous la flamme vacillante apparut une fresque couvrant l’entièreté de l’entrée et racontant l’histoire d’un sorcier vénéré tel un Dieu ! Dans la scène finale, il soumettait une splendide jeune femme à son courroux sous l’œil bienveillant de ses disciples. L’horreur peinte laissait deviner la nature psychotique de l’ancien résident.

Ne trouvant rien d’intéressant à cette représentation morbide, le prince poursuivit l’aventure. Il marcha un long moment à la lueur du flambeau, qui s’éteignit brusquement. Kieran tenta de sonder les alentours. Bingo ! son chakra était de nouveau accessible. Ce qui signifiait qu’il se situait à l’épicentre des mégalithes bloquant ses pouvoirs ; cet instant fugace dans la peau d’un humain lui fit réaliser la difficulté de leur quotidien.

Éclaircis, psalmodia-t-il à voix basse.

Ardente, une sphère s’échappa de sa nuque pour venir enfler face à lui.

Temporus, annonça-t-il sur le même ton.

L’astre de feu stoppa sa progression.

Espérant apercevoir un chemin, Kieran tourna sur lui-même. Un cul-de-sac ! Pourtant, ses sens décelaient dans ce lieu une âme aussi vieille que le monde.

Veritas, chuchota-t-il en apposant sa paume contre la paroi glacée.

Son aura tanzanite l’engloba, puis se propagea sur la roche, qui se tapissa d’un pentacle. Un miroir en émergea.

Poussé par sa témérité, Kieran le franchit. Il eut la surprise d’arriver dans un luxuriant jardin. Au centre de celui-ci se dressait l’Arbre de vie, symbole qu’il avait croisé durant toute son existence. Jamais il n’aurait rêvé trouver ce trésor. Celui osant croquer dans l’une de ses appétissantes larmes argentines et sucrées obtenait la connaissance ultime, suivie d’une mort lente, empoisonné par le sortilège distillé dans les figues.

S’extrayant de la verdoyante pelouse, on découvrait un parterre de roses cristalloïdes multicolores. Le cours d’eau lie-de-vin puisait sa source d’une immense cascade, qui allait s’écraser avec puissance contre les rochers de karistal bornant le lit du fleuve. Même la forêt gigantesque composant la flore ne pouvait rivaliser avec la hauteur du figuier.

Sondant les alentours à la recherche de la fameuse entité, il ne lui fallut pas longtemps pour la détecter ! Une sorcière enduite d’un cocon de chakra laiteux. Espérant dénicher des informations sur son occupante, il y connecta son esprit. La symbiose eut un effet inhabituel : des flashs le submergèrent ! Certaines scènes le représentaient ici même, en compagnie de la dormeuse. Son cerveau reçut un flot de données si intenses que Kieran finit à genoux, suppliant la Mère de faire cesser son tourment.

Une Elfe gracieuse à la chevelure argentée s’imagea.

— Ishtar ! laissa échapper Kieran dans un murmure.

Commençant à regretter sa douloureuse trouvaille, il rampa jusqu’au bord du ruisseau et s’aspergea le visage.

Sortie de son état végétatif, la sorcière l’observa en silence. Sa vue enfin rassasiée, ce fut d’un toussotement qu’elle signala son réveil à Kieran. Celui-ci tourna la tête et, quand son regard croisa le sien, il sut ne plus jamais pouvoir la quitter. Le charme délicat dégagé par la sublime créature le bouleversa. Pâle, sa peau lui conférait des airs de déesse ; dans ses yeux améthyste transparaissait la force de son caractère. Blanche, sa chevelure tombait jusqu’au creux de ses reins. Alors qu’il ne connaissait rien d’elle, il se sentait destiné à cette demoiselle. Le prince se mit dès lors à transpirer à grosses gouttes, son cœur battant la chamade.

— Quel est ce sort troublant ? demanda-t-il avec douceur, ne souhaitant pas effrayer la belle.

Sa réponse fut totalement absconse. Elle s’exprimait en paramissien. Bien que possédant quelques notions de la langue de ses ancêtres, il ne saisit pas grand-chose des propos tenus. Kieran s’approcha de la sorcière. Gêné, il détourna son regard puis, dans un souffle, murmura :

Reverso !

Sortant de son index, un filament scintillant vint délicatement caresser le front du plus sublime être de la Création.

— Peux-tu répéter ?

— Je ne t’ai pas jeté de charme. Mon nom est Lyana. Dans une vie lointaine, nous fûmes des âmes sœurs, condamnées à vivre séparées en pénitence de notre péché. La malédiction est à présent levée, alors que le retour de celui que nous avons libéré est à l’horizon.

Soudain, les chroniques de sa précédente incarnation s’entrelacèrent avec son esprit ! Le sentiment de désir inspiré par Lyana, qu’il avait tant espéré épouser par le passé, l’imprégna. Transi, l’amoureux l’enlaça tendrement et, comme la première fois, avec timidité, l’embrassa.

— Nous reparlerons de tout ceci plus tard, si tu veux bien.

— C’est si exquis de te retrouver, Kieran, lui déclara-t-elle, pleurant de bonheur.

— Je t’aime, murmura-t-il dans le creux de son cou. Je vais te conduire à la maison, nous devons vivre cette chance comme une nouvelle expérience.

Après un second baiser sur les lèvres rosées de sa bien-aimée, son éclat de miroir signala une intrusion dans son palace. Il fut ravi de constater que le visiteur n’était nul autre que son frère aîné. Cette journée était décidément pleine d’imprévus pour le prince.

La belle à son bras, il s’apprêtait à franchir son vortex lorsqu’une pièce d’or tomba à ses pieds. Ne croyant pas au hasard, Kieran la ramassa et la glissa dans sa poche. L’impression que sa destinée était parfois dirigée par autre chose que ses choix s’installa de nouveau dans son esprit…

Bien entendu, le cadet ne dénicha pas les archives de Kelly et le grimoire des invisibles par hasard. Le Sage lui avait appliqué un sortilège convictionnel, poussant Kieran à se rendre sur le lieu de sa douloureuse découverte. Tu as bien sûr deviné, cher lecteur, que l’époux de la Mère se trouvait à la cime du figuier. Avec un peu plus d’attention, Kieran aurait pu apercevoir son ombre recouvrant la verdoyante pelouse. 

**

Enlil et Darrius, Algérie, 29 octobre 2022.

Le village de Hassi Mefsour, situé à trente minutes en voiture de la ville d’Oran, comptait d’innombrables ruelles. Parmi celles-ci s’en trouvait une que les habitants évitaient de traverser, de jour comme de nuit. En effet, une légende locale racontait que le Seigneur des djinns hantait les lieux. Elle n’était pas si loin de la vérité ; bien entendu, un souverain y vivait, mais pas celui que l’on soupçonnait.

Dans cette fameuse impasse, deux individus émergèrent soudain d’un vortex. Le duo se dirigea justement en direction des ruines de ce qui avait dû être un Riad royal. Ce que voyaient Enlil et Darrius différait du tout au tout de la vision humaine. De leur point de vue, le palais était flamboyant. Ses teintes rougeâtres et son toit couvert de feuilles d’or donnaient à la bâtisse l’enchantement des antiques demeures d’Orient.

L’un des deux s’apprêtait à toquer quand, malgré ses énormes gonds d’argent, la porte s’ouvrit délicatement sans le moindre grincement. L’endroit, empreint d’un silence pieux, se trouvait dépouillé de tout mobilier. Seul trônait au cœur de la pièce un miroir à l’encadrement finement ouvragé dans une gigantesque tanzanite.

Enlil et Darrius ne s’attendaient pas du tout au vide environnant ! Connaissant le tempérament de Kieran, qui chinait tous les meubles anciens qu’il pouvait dénicher, la salle aurait plutôt dû présenter des allures de musée. Avec prudence, ils avancèrent à la limite de l’étoile sur laquelle reposait cet étrange joyau, dégageant une sorcellerie incroyable.

L’héritier observa de plus près la splendeur qu’il avait sous les yeux. Tout à coup, un maelström majestueux se forma au centre de l’immense pierre précieuse, qui l’aspira sans qu’il puisse réagir ! Darrius se précipita pour le rattraper, mais l’entrée du mystérieux artefact se referma sous son nez.

Propulsé à une vitesse diaboliquement exaltante, Enlil fut recraché comme un boulet de canon et s’aplatit au sol devant une paire de baskets noires. Son regard se leva jusqu’à apercevoir le visage de son cadet. Kieran avait du mal à cacher le sourire naissant, tant la situation était comique ; il tendit la main à son aîné et, une fois, debout, Enlil enlaça son frère, qui lui manquait plus qu’il ne se l’avouait.

— Pourquoi cet enfoiré de Coltone se trouve-t-il devant chez moi ?

Enlil contempla l’endroit : une sorte de manoir dimensionnel où, sur chacun des murs, reposaient des centaines de miroirs. Le mobilier se composait de pièces historiques, embrassant différentes époques.

— Sympathique, la décoration. Darrius est de notre côté, laisse-le nous rejoindre. Il a travaillé pour moi toutes ces années.

Ces propos suffirent à convaincre Kieran de l’allégeance du serviteur à leur cause. D’un claquement de doigts, il ouvrit un passage, recrachant un Darrius médusé. N’entretenant pas les mêmes affinités avec le vampire, Kieran se contenta d’un vague hochement de tête. Curieux, Enlil demanda :

— Où sommes-nous ?

Leur hôte leur fit signe de le suivre. Tout en marchant, il expliqua avoir conçu cette dimension grâce à un vieux grimoire, trouvé chez un antiquaire japonais. Il ajouta que chacun des miroirs sur les murs avait été ensorcelé pour se connecter à l’ensemble des reflets de la Terre. Seule Khalarie demeurait inaccessible. Dans un coin de la pièce, Enlil aperçut une montagne de paquets contenant la poussière euphorisante, vendue à prix d’or par Kieran aux humains.

— C’est donc de cette façon que tu alimentes ton trafic. Je m’étais toujours demandé comment tu pouvais ne laisser aucune trace détectable.

— Tout ça s’est terminé lorsque la Volute a été mise sur le marché. Après la prise du médicament, ils se tapent le shoot de leur vie, avant d’être immunisés à toute drogue.

— Alanine s’amuse avec les laboratoires pharmaceutiques, lâcha Enlil, blasé.

— Pour répondre à ta première question, cet endroit est ma base temporaire. J’attendais que tu te décides à affronter la garce qui nous sert de grand-tante. Mais pourquoi aujourd’hui ?

Darrius ne permit pas à Enlil de réagir et prit les devants.

— L’heure est grave ! Je dois vous parler à tous les trois.

S’arrêtant devant l’un des miroirs, le cadet murmura une incantation dans un langage ancestral, que même Darrius ne put comprendre. Le benjamin, installé à une table de poker, apparut sous leurs yeux.

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