Chapitre 25 — Filature révélatrice
31 octobre 2022 5 h, Darrius Coltone. Marseille.
Darrius proposa à tout le monde de se reposer, idée qu’il trouvait préférable à une nuit animée de débats sans fin. Les participants étant d’accord, les princes rejoignirent leur chambre respective, comme s’ils n’avaient jamais quitté le foyer. L’immortel attendit que tous soient tombés dans les bras de Morphée pour s’éclipser discrètement. Son vortex le conduisit à « L’Anastasia », un club réservé exclusivement aux créatures surnaturelles.
S’étendant à l’infini, le temple de la perversion apparaissait d’un blanc immaculé. Le patron était un sorcier renégat du nom de Raspoutine et laissait le bar à son employé et complice, Nick. Je te confirme, cher lecteur, qu’il s’agit du Raspoutine qui, par ses manigances passées, provoqua la chute de la dynastie Romanov. Sa demeure offrait des alcôves paradisiaques où chacun pouvait s’abandonner à la débauche. Tout dans ce lieu respirait la festivité. Les instruments jouaient sans musiciens, les fantômes hantant le repère avaient été recrutés pour leur sex-appeal. La spécialité de la maison : le Sexus, un cocktail aphrodisiaque. On ne pouvait se tromper ! La luxure était de la partie… Âmes sensibles s’abstenir !
Darrius s’installa au comptoir avec l’irrépressible envie de se saouler. De nature plutôt sereine, son humeur morose lui collait à la peau. Pudique, le serviteur des Darck donnait le change, préférant ne pas s’étaler sur ses difficultés existentielles. Les pertes de mémoire qu’il plaçait sur le compte de son âge millénaire commençaient à poser problème. Des pans entiers de sa vie s’effaçaient. Le contexte l’affectait plus qu’à l’accoutumée, car il était convaincu de disposer d’informations cruciales pouvant aider les princes.
Nick Gaudin, l’employé, connaissait suffisamment son client pour l’avoir déjà vu vivre ce genre de situation, au fil des années. Il n’eut pas besoin de commander, son poison apparut immédiatement sur le bar : une bouteille de Romanée-Conti rouge millésimé.
Il la siffla en moins d’un quart d’heure.
— Une autre, s’il te plaît, Nick.
— Tout de suite, Monsieur Coltone.
Au claquement de doigts du serveur, la seconde tournée se présenta sur le comptoir enchanté. Politicien dans l’âme, Darrius ne put s’empêcher de l’interroger sur les activités clandestines de son associé. Mais fidèle et loyal, le tenancier ne laissa rien filtrer.
Par télépathie, tout en astiquant nerveusement son étal, il contacta le Maître de la nuit :
« Tu devrais rappliquer, Darrius Coltone est là et il commence à poser des questions. Je peux esquiver un moment, mais j’ai entendu dire qu’il avait fait jouer ses prérogatives pour la première fois chez Crésus. Évitons qu’ils viennent mettre le nez dans nos affaires. »
« J’ai terminé avec notre charmante amie. J’arrive immédiatement. »
De loin, le Père des vampires aperçut Raspoutine sortir d’un miroir dimensionnel en compagnie d’une sorcière particulièrement séduisante. Son teint bronzé, ainsi que ses magnifiques yeux anisés, chakratiques, s’harmonisaient parfaitement avec sa chevelure. Sa robe de dentelle couleur peau soulignait ses formes pulpeuses amplement exposées. Poussé par l’ivresse, il s’approcha d’un pas vacillant pour l’aborder. Lorsque leurs regards se croisèrent, Darrius eut la conviction qu’elle le connaissait. Pris de panique, elle se perdit dans la foule.
« Pourquoi cette magnifique demoiselle a-t-elle eu peur de moi ? »
Raspoutine le tira de sa réflexion :
— Darrius, mon ami ! Salut à toi bébé, clama-t-il la voix aiguë à en briser du karistal.
— Tu ne m’en veux pas si je reviens plus tard ? Je dois absolument rattraper cette femme.
L’immortel chercha la divine créature du regard, mais elle avait déjà disparu. D’un clin d’œil coquin, Raspoutine lui donna sa bénédiction.
— Ne t’inquiète pas, superbe étalon ! De toute façon, un coup de fil hyper important m’attend.
Il n’avait pas achevé sa phrase que Darrius avait franchi son maelström !
En chasse tel un prédateur, le vampire traça l’aura de puissance émanant de sa proie. Elle avait éveillé tout à coup son instinct de chasseur. D’une faille cosmique à l’autre, la sorcière parcourait le globe. Ses réflexes étant engourdis par l’alcool, il fallut un interminable moment à Darrius pour comprendre qu’il était détecté. À Pékin, las de pister son élue, il se rendit invisible.
Jaouira, persuadée — à tort — d’avoir semé son poursuivant, émergea alors sur l’immense terrasse de son Riad. Le fief se situait au cœur de Marrakech, non loin de la place Djamel Efna ; Mme Néotolc avait déclaré le Maroc comme son territoire et nul, parmi la communauté surnaturelle, ne pouvait y pénétrer sans son consentement !
— Erit invertendo, psalmodia-t-elle.
En un instant, elle se débarrassa du sortilège d’esthétisme.
Toujours masqué, Darrius était adossé à la balustrade. Sous le choc brutal de la révélation, il faillit en perdre son camouflage. L’intimité troublante qu’il partageait avec sa proie, désormais identifiée, réveilla en lui une rage vengeresse.
Bien malgré lui, son alter ego se libéra. Sa fureur, trop longtemps contenue, était sur le dangereux point de se déchaîner.
Sentant intuitivement la menace, Jaouira tressaillit nerveusement. D’un claquement de doigts fébrile, elle fit apparaître sur la table basse un thé à la menthe fumant, accompagné de succulentes pâtisseries au miel.
— Qui aurait pu croire que je rencontrerais Darrius Coltone deux fois en moins de vingt-quatre heures ?
Même si Suridar s’obstinait à affirmer le contraire, elle n’observait définitivement rien de commun entre ce vampire et son merveilleux mari. Anxieuse, Jaouira consulta l’heure. L’appel à la prière matinale allait commencer.
— Il ne devrait plus tarder.
D’un seul chant, les imams de chacune des cinq mosquées encadrant la ville rouge lancèrent le premier prêche de la journée, qui retentit clairement dans tout Marrakech. Elle savoura en silence ce pur moment de paix intérieure, sous l’œil carnassier de son ennemi.
Soudain, Darrius laissa son instinct sanguinaire prendre le dessus. Les chaînes chakratiques, posées par Andromède il y a des siècles, capitulèrent et tombèrent.
— HAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA !!! hurla-t-elle en le voyant.
Agacé par ses hurlements, d’une pensée, il effaça ses lèvres. De sa main gauche, il enserra violemment son appétissant petit cou, tandis qu’avec la droite, il attrapait l’interminable chevelure de son gibier. Il la décolla de son siège avec force et, le regard gourmand et le ton amical, il annonça :
— J’adore quand mes proies se débattent. Savais-tu que l’adrénaline confère une saveur fruitée au plasma ? Ça fait longtemps que je n’ai pas goûté à du sang frais, déclara-t-il.
Un moment de silence angoissant plus tard, il ajouta :
— Toi… C’est par toutes les artères que je vais te déguster.
Terrorisée, Jaouira libéra une flaque jaunâtre sur les chaussures de Darrius, ce qui exaspéra le monstre. De ses lèvres, il frôla la jugulaire de la maudite sorcière, puis renifla bruyamment son exquise et tendre peau sucrée. Histoire d’adoucir sa boisson, il retira sa main de la gorge pâle de sa friandise, l’autorisant à respirer.
Tenue par les cheveux, elle flottait au gré du vent à la manière d’une vulgaire marionnette, cherchant désespérément un appui. De la pointe d’une canine, il piqua légèrement une veine saillante, qui lui offrit une goutte écarlate. Le bourreau lécha lentement le liquide vital, s’en délectant. Enivré par le délicieux nectar, il ne put s’empêcher de continuer à mordre sa victime. Absorbé par son repas frugal, il ne sentit pas l’arrivée de Suridar.
Ce dernier, face au déboire de sa moitié, tenta vaillamment de conserver le contrôle de la colère qui menaçait de le dominer. Furtivement, il se rapprocha pour stopper l’immonde bête dans son funeste festin.
— Pondus iners congestaque, psalmodia-t-il en chuchotant et en tendant son index vers le monstre.
De son doigt s’échappa un flot d’énergie carmin immobilisant Darrius, qui, sous la décharge électrique, laissa tomber Jaouira.
L’amuse-gueule retomba face contre terre.
Abandonnant son ennemi assommé et terrorisé à l’idée que sa dulcinée ait déjà trépassé, il appliqua à la hâte sa main tremblante sur sa poitrine, avec le fol espoir d’y déceler un signe de vie. Ses yeux larmoyants se posèrent sur sa nuque en charpie. Sa thyroïde, dont il n’arrivait pas à se détourner, était exposée au grand air. Après un laps de temps qui lui parut une éternité, il sentit un faible battement de cœur.
Puis plus rien.
Ses manches manches retroussées, il s’entailla les paumes à l’aide d’un athamé et les leva au firmament, en hurlant :
— J’invoque l’esprit de ceux de mon clan.
Attribuez-moi la compétence de redonner l’existence à celle que j’aime, et qui a tant œuvré pour notre famille.
Néotolc, j’implore ton pouvoir !
Le Riad trembla. Un tourbillon de fumée nauséabonde et bleu sombre émergea à leurs côtés. La voix diaboliquement moqueuse du roi des Djinns en sortit.
« Aucun des tiens ne répondra. La Mère en personne a maudit votre nom. Depuis la traîtrise de Diablé Néotolc, tes ancêtres furent tous confiés à mes soins délicats. Même ton enfant mort-né a enduré mon supplice. »
— Qu’est-ce que tu me veux, Iblisse ? J’ai toujours refusé ton pacte et sa situation n’y changera rien.
« Aujourd’hui, je t’offre le service. Ta charmante femme ira parfaitement bien dans :
Cinq,
Quatre,
Trois,
Deux,
Un… »
À zéro, dans une aspiration salvatrice, Jaouira se releva brutalement. Sa peau, dévorée par Darrius, se régénéra sous les yeux sidérés de Suridar.
**
Darrius se réveilla quelques heures plus tard, seul au milieu d’un grenier complètement vide. Son geôlier lui avait jeté un sortilège de confinement qui l’entravait. Il s’en voulait énormément, car son manque de vigilance l’avait conduit à cette situation inextricable qui lui ouvrirait sans aucun doute le chemin vers l’Entre-deux-mondes. Mourir ne l’effrayait pas, il espérait cet événement depuis trop longtemps à son goût. Ce n’était tout simplement pas le moment adéquat pour tirer sa révérence.
Diverses douleurs et ecchymoses parsemaient son corps. Il tenta de parler, mais il s’aperçut qu’un maléfice de mutisme l’en empêchait. Il trouva curieux que Suridar présente des blessures similaires aux siennes.
— Tranquillise-toi, j’ai scellé ton alter ego maléfique. Pendant que je m’amuse à te faire mal, je vais te raconter une histoire qui devrait beaucoup t’intéresser, annonça-t-il avec jubilation.
Il lâcha un éclair sur la geôle ensorcelée et Darrius poussa un cri venu du tréfonds de son âme ; ses canines, devenues immenses, dégoulinaient de venin ; des larmes de sang ruisselèrent le long de ses joues blafardes. Le vampire avait renoncé à toute dignité : il n’était plus qu’une bête sauvage, tapie au fond de sa cage. Piquets, gousse d’ail et croix de bois ne sont que des fables. Un bon coup de taser magique équivalant à cinq milliards de volts, et le monstre se transforma en créature effrayée et vulnérable.
— Lors de l’affrontement final, dont aucun ne connaît la vraie teneur, en dehors d’Andromède, j’ai été vaincu par cette catin qui usa du « Deus Morticus ». J’y serais passé à coup sûr sans ma fabuleuse épouse qui, grâce à la formule volée au palais, m’a permis de ne pas trépasser. Après m’avoir récupéré, agonisant sur le champ de bataille, elle nous a plongé en stase pendant tous ces siècles, et me voilà ! Ce qui n’était pas prévu, c’est toi.
Une lame de vent fit une nouvelle fois hurler Darrius à la mort. Savourant son supplice, le sorcier reprit :
— Lorsque l’attaque de la gourgandine m’a frappé, mon âme s’est divisée en deux. Une partie se réfugia dans le corps du premier cadavre croisé sur son chemin, et te voici, moitié de moi, que je voudrais réintégrer pour retrouver ma toute-puissance. Mais pour cela, je dois occire tes enfants et leur puissance m’en empêche. Les Régalia sacrés cachés dans cette putain de pyramide introuvable me donneront la force nécessaire pour les anéantir. Je sens que j’en suis proche et pourtant elle m’échappe, encore et toujours.
Darrius se demandait d’où cet abruti congénital sortait ces inepties. Sa souffrance bloquait sa réflexion. La seule question qui tournait en boucle dans sa tête était : pourquoi maintenant ? Toutes ces années, il me tenait à sa merci !
— Tu ne me crois pas ? Aberration ! hurla-t-il en projetant moult postillons.
Totalement hors de contrôle, le psychotique passait de l’aboiement à la douceur ; ce qui déconcerta le prisonnier. Soudainement, Suridar s’approcha et Darrius se prit un violent coup dans l’estomac. Tous deux se plièrent sous le choc ! L’immortel devait faire face à l’évidence, il y avait un ricochet dont Suridar semblait se délecter. Mais pourquoi aujourd’hui ? Était-ce la proximité de leurs âmes qui produisait cet effet miroir ?
— Voici ma première preuve : tu subis, je souffre. La seconde : tu as vécu avec toute ta vie. Je te laisse deviner…
Suridar faisait les cent pas, attendant d’entrevoir la tête de sa victime, quand Darrius comprit ! Comment n’avait-il jamais remarqué l’évidence ? Son visage se décomposa et il se sentit sale, comme si l’on venait de souiller sa chair.
— Tu portes depuis des centaines d’années un nom et un prénom qui se révèlent l’anagramme parfaite des miens. C’est à la naissance de ton premier rejeton que je perçus le lien qui nous unissait. Ta descendance m’a relégué au second plan, mais tes gosses ont créé une racine te désignant comme l’individu élémentaire. Il me faut les tuer pour te récupérer.
Assis à même le plancher, le sorcier fit apparaître un narguilé et en tira quelques volutes de fumée aux effluves mentholées.
Darrius voulait bien admettre être la moitié de cet autre. Mais les enfants, une écriture du temps ? Il avait l’impression que quelque chose clochait dans cette fable, bien trop grosse pour ne pas posséder un fond de vérité.
L’homme se tut et employa l’heure qui s’écoula à infliger les pires sévices au captif. Jusqu’au moment où il sentit une vague de chakra dévastatrice approcher.
***
Enlil accompagna l’aube dans son réveil. Comme à son habitude, il se rendit à la pièce d’eau attenante à sa chambre pour s’asperger le visage, histoire de sortir du sommeil. Il se dirigea ensuite vers la cuisine, attendant patiemment que la cafetière cesse de clignoter. Café à la main, il alluma sa cigarette puis s’assit sur le comptoir.
— Alexa, quelle heure est-il ?
Il ne pouvait plus se passer de son gadget, depuis sa découverte lors d’un de ces voyages à la FNAC. Cependant, aucune réponse ne parvint de l’Échodote ! Le futur roi se tourna pour vérifier les branchements de l’appareil, qui ne se situait plus à sa place… Vraisemblablement emprunté par l’un de ses frères, pensa-t-il.
Depuis l’arrivée d’Andromède à la villa, de nouvelles installations s’étaient ajoutées, telles que la salle de musculation, la piscine intérieure, le donjon de combat, etc. Faire de l’exercice l’aiderait à appréhender les choses plus clairement. Après trois heures de défoulement, tant magique que physique, une idée démentielle germa dans son esprit.
Seulement, pour la concrétiser, les conseils avisés de Darrius s’imposaient. Grâce à son expérience, il saurait le guider dans la folie qu’il voulait accomplir…
Projetant sa conscience à travers sa maison dans l’espoir de le localiser, il fut un peu étonné de ne pas le trouver. Il décida de recommencer à l’échelle planétaire. Pas de trace non plus ! L’héritier jugea alors opportun de s’acclimater à la fabuleuse invention du benjamin.
D’une pensée, il disparut pour aussitôt ressurgir dans les catacombes secrètes de sa demeure. Warren avait assurément passé la nuit à connecter tout l’attirail informatique qu’il avait sous les yeux. Malgré la complexité de ce que le concepteur avait baptisé magicologie, Enlil y alla à l’instinct et disposa ses deux mains sur le sphéroïde de karistal.
— Bonjour, Enlil Darck, que puis-je pour vous ?
Il ne s’attendait pas à un appareil vocal. Warren avait apparemment intégré son Alexa au système.
— J’ai besoin d’effectuer un repérage à l’échelle mondiale.
Provenant du globe, une décharge de chakra engourdit le cœur d’Enlil, projetant son esprit dans les cieux.
Surfer sur la Terre de cette façon lui permit d’entrer en symbiose avec le corps céleste ; la sensation restait inouïe. Tout son être percevait l’amère souffrance de l’astre, empoisonné par l’humanité. Enfin, il distingua l’aura de Darrius au-dessus de Washington. Malgré sa subtilité, il parvint aisément à suivre son empreinte latente. Enlil retourna dans sa chair, anxieux du sort inconnu de son ami.
Warren et Kieran vaquaient à leurs occupations respectives lorsqu’ils se retrouvèrent aspirés par un maelström, qui les entraîna sans ménagement dans le salon aux vitraux, face à un frère soucieux.
— Darrius a disparu. J’ai décelé sa présence à Marseille et il semblerait qu’ensuite, il ait traversé différentes villes pour s’évaporer à Pékin. À partir de là, il devient indétectable.
— Qu’aurait pu bien entreprendre Coltone à Marseille, qui l’aurait poussé à réaliser un tour du monde en quatre-vingts vortex ? demanda Kieran.
Enlil se leva du sofa et se mit à faire les cent pas. Sa mine fermée révélait l’intensité de sa réflexion. Il finit par répondre :
— À mon avis, il a dû se rendre « À l’Anastasia », chez ce scorpion de Raspoutine. Ces dernières années, il y a passé pas mal de temps à noyer sa détresse dans l’alcool. C’est une sorte de discothèque où tout est permis. Je le laisse faire, car son club maintient l’équilibre entre les clans.
Ils se projetèrent aussitôt et arrivèrent au milieu de la piste de danse. La meute bigarrée s’écarta humblement, identifiant au premier coup d’œil les fils Darck, qui ne semblaient pas être venus pour s’amuser. Dès leurs retrouvailles en effet, chaque créature surnaturelle avait senti d’instinct l’émergence de cette force trinitale inattendue, devenue le sujet de conversation de toute la communauté.
Grâce à sa description détaillée, Kieran localisa facilement Raspoutine. Le vieil homme efféminé à la longue barbe bien taillée vola sans cérémonie vers le prince. Sans prendre la peine d’argumenter, Kieran plaqua sa paume sur la misérable tête du maître des lieux. Après quoi, il pénétra ses pensées de force et les fouilla sans ménagement. La souffrance aphone de Raspoutine se voyait sur son visage affolé, alors que son tortionnaire tirait un malin plaisir à faire durer son tourment.
Celui-ci dénicha enfin ce qu’il cherchait. Il n’en fallut pas plus au cadet pour le congeler et le briser d’une pichenette à la vue de tous. Warren et Enlil, qui avaient accompagné la lecture de Kieran à travers son œil, arrêtèrent toute activité dans le refuge. À leurs pieds gisaient les restes neigeux de Raspoutine, toujours fumants. Sans même y prêter attention, les trois frères joignirent les mains.
D’une voix unique, ils s’adressèrent à la foule muette, encore abasourdie par ce dont elle venait d’être témoin.
— Il encourait la mort pour trahison. L’indulgence de nos ancêtres est un cadeau dont il n’a pas su profiter ! Ce sorcier s’est vendu à notre ennemi à tous. Une âme maléfique, des temps reculés, revenue parmi nous se prépare, avec le soutien de la reine usurpatrice, à accomplir des ravages irrémédiables. Dans un avenir imminent, il faudra choisir à qui ira votre allégeance, nous ou eux ! Seront considérés comme traîtres ceux ralliant le camp de l’imposteur. Ce n’est en aucun cas une menace. Nous établissons simplement un fait. À présent, cet endroit demeure sous l’autorité de la Trinité des Darck.
Dans un synchronisme parfait, ils claquèrent des doigts. Face à eux, trois globes dorés apparurent et, successivement, ils retombèrent avec force pour aller s’incruster dans le sol du refuge.
— Toutes les protections actives avant la mort de Raspoutine ont été restaurées et davantage… Nous cédons ce lieu aux soins du sorcier barman.
Une mini-sphère identique vint se planter sur le front de Nick, désormais Maître de la nuit européenne. Puis les frères Darck s’évaporèrent, laissant leur public pantois.
Ensuite, chacun des trois garçons suivit l’une des destinations de Darrius, sans aucun résultat. À la fin de la journée, ils finirent par rallier les catacombes de la villa. Anatole, éternel stressé, se rongeait encore les ongles. Personne ne l’avait mis au fait des derniers événements.
— As-tu des nouvelles ? Darrius est-il en danger ?
— Nous pensons que Suridar et sa femme lui ont tendu un piège. Nous maîtrisons la situation, ne t’inquiète pas. En parallèle, j’ai une mission pour toi.
— J’écoute. Quels sont tes désirs, mon seigneur ?
— J’ai besoin que tu convoques les spectres infiltrés au plus haut niveau d’agrément dans les gouvernements humains. Tu devras également éplucher ton carnet d’adresses pour réunir nos relations les plus influentes à l’international. Cet ordre sera signé de la main du roi Enlil Darck, Héritier légitime. Ceux qui refuseront seront exécutés.
— Où veux-tu que je case autant de monde discrètement ?
— Le palais sera parfait, donne leur rendez-vous dans une semaine. D’ici là, on aura récupéré notre héritage.
— La menace de mort ne me semble pas judicieuse.
— Au vu de la situation alarmante, je n’ai pas le temps de convaincre la Terre entière du bien-fondé de mes décisions, toutes prises dans leur intérêt.
— Non effectivement. Dans ce cas, peux-tu me préciser tes intentions s’il te plaît ?
— Non, pas pour le moment. Contente-toi d’obéir.
Anatole déserta le salon pour se rendre dans sa chambre. Lui qui pensait avoir de l’influence sur le jeune héritier, il comprit que ce digne descendant de Kelly Darck demeurait son propre maître. Enlil avait prouvé qu’il savait agir avec autorité dans les circonstances d’urgence, tout comme sa mère.
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