Chapitre 26 – Exécutante confession

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En prévision des prochains événements qu’elle savait capitaux, Andromède transforma les déprimantes catacombes en un complexe de commandement ultra chic. Du mobilier à la teinte des murs, rien n’échappa à son chakra. Grâce à ses contacts, Anatole obtint en un tour de main des technologies dernier cri, que l’Intelligence magificielle absorba avec joie. À la demande de Warren, les clans dispersés de par le monde transmirent à Alexa, par courriel, une copie du grimoire familial.

À peine les flammes verdoyantes de la cheminée furent-elles allumées que les princes surgirent de leur vortex. Enlil balada son regard inquisiteur de long en large et finalement, esquissa un sourire.

— Bon boulot, Mamie Andro ! On va pouvoir réfléchir décemment.

— On a même droit à un coin VIP ! Ouais ! Mamie Andro, t’assure grave ! lâcha Warren en se jetant dans le fauteuil émeraude, aussitôt rejoint par ses frères.

Enlil se posa sur le chesterfield doré ; Kieran s’installa sur le tanzanite et, d’un claquement de doigts, fit émerger de la table basse tacos et cocas. Alors qu’ils se sustentaient, seul le crépitement des bûches enchantées troublait la profonde réflexion dans laquelle ils se muraient.

Repu, Enlil prit la parole :

— Kieran, tes analyses sur la disparition de Darrius, s’il te plaît ?

— Je suppose qu’il a traqué la sorcière, puis qu’elle a dû discerner sa présence. Je reste persuadé qu’il a utilisé un sort d’Ignoretur.

— Warren, ton invention nous permettrait-elle de déceler la trace de notre ami ?

D’une pensée, le benjamin se transposa au côté du sphéroïde de diamonite et y plaqua ses paumes. L’énergie mystique contenue dans le globe irradia :

— Alexa…

Concepteur, exposez vos désirs…

— Voici le numéro de Darrius, connecte-moi à son téléphone !

Un filament mordoré sortit de l’orbe pour s’étirer jusqu’au cœur de Warren, qui s’arrêta. Sa conscience projetée à travers le réseau satellitaire humain s’y adapta à la manière d’un programme informatique. Composé de 0 et de 1, il pista le smartphone de Darrius, que l’Ignoretur ne dissimulait pas. Bien que particulière, l’expérience se révéla instructive pour le prince, qui réintégra son corps avec l’information et bien plus encore. À peine l’eut-il transmis à ses frères, par le biais de l’esprit, qu’Enlil ouvrit son vortex.

Quelques secondes plus tard, le puits de lumière les déposa à Marrakech, au cœur de la place Djamel Efna, totalement déserte. Nul doute qu’on les attendait… Aucun bruit de touristes ou de marchands ambulants à l’horizon. Soudain, des applaudissements résonnèrent.

Jaouira, tapant des mains et affichant un sourire moqueur, sortit d’une des obscures ruelles du souk. Bien qu’elle jouât la maligne, Miss Néotolc, consciente du risque, resta à bonne distance du trio.

— Disparaissez illico de mon territoire, chiens de Darck ! clama-t-elle avec rage.

Perfide, elle balança une violente bourrasque que Kieran neutralisa sans effort. Le cadet se rapprocha de la sorcière de quelques pas. Ses yeux ne la quittaient pas d’une semelle tandis qu’elle reculait.

— Sinon… TU FERAS QUOI ? Rends-nous Darrius et nous partirons sans faire de victimes. Si tu rejettes ma proposition, nous vous exterminerons, toi et tes suppôts, cachés dans la pénombre.

Kieran reprit sa marche. Jaouira, acculée contre un mur, ne voyait aucune échappatoire. Elle tenta de gagner du temps jusqu’à l’arrivée de son mari :

— Je trouve bizarre que vous appeliez votre père par son prénom ! Des claques se sont perdues dans votre jeunesse.

L’effarement des Darck valait son pesant d’or. Durant son adolescence, Enlil avait maintes fois questionné sa mère sur son identité, mais Kelly avait toujours catégoriquement refusé d’en parler, sous prétexte que cela mettrait sa vie et celle de ses frères en danger. Autour de la reine, nombre de mystères planaient encore et, résigné à ne pas tout savoir depuis sa plus tendre enfance, le prince s’était désintéressé de la question. Warren et Kieran n’attachaient pas d’importance à l’information et Enlil avait fait office de figure paternelle.

Ivre de rage, l’aîné rétorqua :

— Lol ! T’as d’autres blagues en réserve ?

Jaouira rompit son contact visuel avec Kieran, qui paraissait vouloir la dévorer toute crue, et se confronta aux pupilles dorées de l’héritier :

— Vous ne saviez pas ? Certaines informations vous ont visiblement échappé, Votre Altesse.

Agacée par la suffisance de sa voix, Enlil, cinglant, riposta :

— Ce qui t’échappe à toi par contre, c’est qu’un seul d’entre nous suffit à vous exterminer.

Miss Néotolc ne prêta pas attention aux propos du prince, trop occupée par l’intervention télépathique de Suridar. Sans crier gare, la sorcière leva soudain les bras aux cieux. Comme un seul homme, ses larbins prêts à la défendre l’entourèrent. Vu la vitesse de ses mouvements de lèvres, la garce prononçait une psalmodie silencieuse. En moins d’une minute, par le biais de l’esprit, les trois frères concoctèrent un plan.

Warren ouvrit les hostilités avec la première ligne de défense. De par son affinité avec dame nature, il utilisa la chaleur plombant la place pour augmenter la température corporelle de ses proies. Lorsque celles-ci foncèrent, pensant attaquer les premières, leur sort était déjà scellé. La sorcellerie insidieuse du prince les liquéfia de l’intérieur. Sous le regard de leurs confrères, sans cris ni douleur, elles fondirent comme neige au soleil.

Jaouira psalmodiait toujours. Une force négative imprégnait les cieux. Ils devaient la faire taire. Ne concevant pas de tuer plus que nécessaire, Kieran donna un ultime avertissement aux fanatiques protégeant la démone :

— Le malheur qui vous guette apparaît moins enviable que ce à quoi vous venez d’assister ! Ceux qui le veulent peuvent encore se retirer.

Mais aucun ne bougea. La ferveur de ces sorciers pour le couple de cinglés dépassait sa compréhension. S’ils souhaitaient trouver le trépas dans d’atroces souffrances, ils seraient ravis. D’une pensée, le cadet paralysa la seconde ligne de défense et, d’un geste de la main, extirpa leur cœur, laissant un trou béant sanglant.

Classique, mais efficace. Abasourdis, les derniers survivants se mirent à trembler à l’idée des supplices qui les attendaient. Ils supposaient devoir affronter Enlil, dont la réputation de Djinn de la mort le précédait. Sentant que ses marionnettes perdaient tout courage, Jaouira, par l’esprit, les somma de passer à l’offensive.

Les sbires se trompaient lourdement… L’héritier guettait une ouverture pour annihiler d’une rafale de flammes la femme du félon.

Répondant à l’ordre mental, ses disciples s’élancèrent. Sous l’œil approbateur du grand frère, les plus jeunes réalisèrent une démonstration de force dont on parlerait sûrement durant des siècles. Essuyant la foudre et la glace du duo, les piètres sorciers enduraient l’enfer sur Terre.

Ceux n’ayant pas la chance de mourir sous les coups agonisaient dans une mare d’hémoglobine. Seul un fou pouvait imaginer rivaliser avec la progéniture de la toute puissante Kelly Darck.

Jaouira intensifiait sa litanie, cela se voyait à la masse de nuée verdâtre qui augmentait de volume et de laquelle se dégageaient des relents chakratiques noirâtres. Enfin, l’ouverture attendue par Enlil se dessina et il lança ses flammes dévastatrices. Trop tard ! Un vortex émergea au même moment dans le dos de la sorcière. Une main crochue couverte de pierres précieuses en sortit et agrippa Miss Néotolc, qui disparut. L’attaque du prince ne détruisit qu’une prestigieuse demeure.

Aussitôt après son départ, l’aura de Darrius devint de nouveau décelable. Suivant son empreinte, la Trinité traversa le souk, aussi vide qu’à l’heure de la prière du vendredi. Ce dédale tortueux d’étals et de boutiques dont les touristes raffolaient les avala complètement. La trace du vampire les conduisit à un Riad d’une taille démesurée. Ne connaissant pas les lieux, ils ne pouvaient se transposer jusqu’au grenier. Sept étages éreintant plus tard, ils découvrirent un Darrius inerte, entouré d’un champ de force électrifié. À tour de rôle, les frères, à l’aide de diverses incantations, tentèrent de l’en délivrer. Rien n’y fit. Guidés par l’Instinct trinital, ils joignirent enfin les mains, établissant ainsi le Cercle. Sous leur pied, le triskel étincelant d’or se dessina ; le trio aux yeux luisants s’éleva à la limite du parquet, et, par la Sainte Volonté, brisa le sortilège emprisonnant leur père.

Rompant le contact, ils regagnèrent le sol. Réactif, Warren se rendit auprès du vampire et, la paume enduite de chakra, sonda son corps de long en large. Le diagnostic tomba, sans appel :

— Il se trouve sous l’effet du Dormitabis.

— En quoi ça consiste ? demanda Enlil.

— Son sommeil perdurera jusqu’à ce que mort s’ensuive. Ce sortilège a été proscrit, car aucun remède n’existe. Ce n’est plus qu’une question d’heures.

En lévitation, ses trois fils firent franchir le vortex de tanzanite au moribond.

**

Anatole, établi dans le hall des catacombes, sursauta à la soudaine apparition du maelström de Kieran. Éternel stressé, le gardien semblait délesté d’une dizaine de kilos, tant il se souciait du sort de Darrius. À la vue de son corps blafard lévitant, il craignit le pire, à juste titre. Défilant l’un après l’autre, la mine affligée des garçons en disait long.

— Que lui est-il arrivé ?

Laissant ses frères installer Darrius confortablement, Enlil s’arrêta et prit quelques instants pour réfléchir, puis se lança dans un résumé des derniers événements.

— Ne t’inquiète pas, je m’occupe de réparer les dégâts au Maroc, le rassura Anatole.

Il disparut dans son vortex.

L’aîné débarquait dans la chambre créée par Andromède, lorsqu’il remarqua de la fumée :

— Kieran, ta poche brûle, le prévint-il sobrement.

Il n’eut pas le loisir de réagir davantage que la pièce découverte à Göbekli Tepe jaillit de son vêtement et alla se poser entre les sourcils du vampire. Le listel fumant fendit son épiderme fiévreux, puis parvint jusqu’à sa boîte crânienne. Il flottait dans la salle une écœurante odeur de chair calcinée. Au moment où l’artefact eut fini de se loger profondément dans la plaie, une lueur bleuâtre s’en échappa.

— Qu’est-ce qui se passe ? exigea Warren.

Kieran s’accorda le temps de soigner sa peau carbonisée, puis répondit :

— Je n’en ai aucune idée. J’ai trouvé cette pièce sur l’un des sites archéologiques que je visitais. Quand j’y pense d’ailleurs, c’est plutôt elle qui m’est tombée dessus.

— Tout ça est de plus en plus bizarre, répliqua le benjamin, tout en plaquant ses mains sur la tête de Darrius.

— Ton diagnostic ? l’interrogea Enlil, rongé par l’inquiétude.

— Le cerveau de papa se répare. La première partie de l’opération est bientôt terminée, annonça Warren, d’un ton moqueur.

— Tu crois vraiment qu’il est notre père ? demanda Kieran, les bras croisés, le visage marqué de dégoût.

Warren réfléchit quelques instants avant de lui répondre :

— Depuis le temps que notre grand frère connaît la bête, j’imagine qu’il lui aurait révélé notre filiation. Ne pas savoir que l’on a un enfant demeure une chose étrange, mais trois, ça frôle l’aberrance ! J’estime que non.

Enlil fulminait en silence. Cette suite de nouvelles et d’actions sorties tout droit de la cuisse de Jupiter le mettait sur les nerfs plus que d’ordinaire. Agacé, il rabattit sa mèche pendante derrière son oreille et contempla le vampire allongé.

— Si cela se vérifie, il a intérêt à me fournir une bonne explication…

Le dernier des trois, amusé par le comportement de Son Altesse Royale, posa sa main sur son épaule avec force, avant de lui lâcher d’un ton taquin :

— T’es pas un peu excessif dans ton genre  ?

Avec un air on ne peut plus sérieux, Enlil lui répondit :

— C’est ce qui fait mon charme.

Darrius choisit ce moment pour revivre. Ses pupilles, d’habitude étincelants, apparaissaient maintenant vitreux, bien plus que sous sa forme vampirique. Nul doute : il se trouvait sur le chemin du trépas. Soudainement, un vent vif souffla, diffusant une fragrance que les garçons reconnurent aussitôt : Alien, le parfum préféré de leur honorable mère.

Tel un zombie, l’immortel se leva alors, les yeux grands ouverts. Il les contempla, puis s’approcha et, le regard baigné de chagrin, les étreignit.

— Mes fils ! !

Jaouira n’avait pas menti ! Quel serait son plaidoyer ? Dégoûté, Enlil le repoussa violemment. Darrius trébucha et s’étala de tout son long sur les dalles froides. Meurtri par le rejet de son enfant, il se releva à grand-peine, s’efforçant de sécher ses larmes de sang avec les manches de sa chemise immaculée. L’aversion palpable de celui qui avait été son élève et son ami l’acheva.

La violente réaction de l’aîné intrigua ses frères. Pour eux, cela ne changeait strictement rien, ils ne le considéreraient jamais comme un père. Darrius se reprit et, l’âme en peine, se posa en tailleur au cœur de la pièce :

— Venez me rejoindre s’il vous plaît, je crois que je vous dois des explications, lâcha-t-il dans un chuchotement embarrassé. Avant de me juger, je vous implore de regarder jusqu’au bout.

Sa voix s’emplit soudain d’une tendresse qu’ils ne lui avaient jamais connue. Sans prononcer un mot, le trio s’approcha, puis les garçons s’installèrent de telle sorte que Darrius finit par se trouver au centre d’un triangle. Il leva son poing crépitant de chakra, devenu d’un noir intense. Au cœur de sa paume, une boule d’énergie aussi sombre que l’obscurité émergea. Comprenant qu’ils ne soient pas d’humeur loquace, il se lança :

— Voici les souvenirs de Kelly, mêlés aux miens.

La Trinité, toujours silencieuse et attentive à cette magie exceptionnelle que pratiquait formidablement Darrius, attendait avec impatience le résultat, même s’ils n’en montraient rien. Sa sphère nébuleuse grossissante l’engloba intégralement. Un défilement de visions fugitives s’esquissa. Dans un premier temps, le visage de Darrius apparut clairement, puis celui de leur mère dans le futur et de ce qu’elle y découvrit. Désormais, ils saisissaient.

Se présenta une scène dans laquelle Darrius expliquait à la mère des garçons le secret de ses origines. L’aura disparut brusquement, laissant la place au Père des vampires, dont le regard n’était plus empli de cette sagesse millénaire le caractérisant. Ce qu’ils avaient sous les yeux n’étaient que haine et soif de vengeance.

— Je reconnais avoir menti sur mon amnésie, lors de mon arrivée à Khalarie, mais seule la crainte du rejet m’a poussé à cette duplicité. Au fil du temps, cette information n’a plus représenté d’importance. Kelly et moi avons maintenu notre relation clandestine pour vous protéger. Jamais personne n’a eu connaissance de l’identité du favori de la Reine ! Son assassinat, fomenté de ses mains, marqua, comme convenu, l’effacement de ma mémoire. Mes souvenirs ont alors trouvé refuge dans une pièce Mémorus, qui ne pouvait être activée que par l’un d’entre vous.

Les trois frères, submergés par les émotions, stimulèrent le cercle sans s’en rendre compte et une voix grave et mécanique annonça :

— Nous comprenons ton geste, tu n’as pas à t’excuser.

Lui qui se rappelait avoir eu peur de ce moment, sourit à la pensée de sa bien-aimée, qui lui avait murmuré ces sages paroles : « Ils ne trouveront rien à pardonner, car ils saisiront notre volonté de les préserver ».

Enlil coupa le contact. Il se leva et lui demanda, en le fixant droit dans les yeux :

— Pourquoi devoir tout oublier ?

— Nous n’avons pas voulu prendre le risque que mon homologue découvre que nous possédions quelques longueurs d’avance sur lui ; le but était principalement de vous protéger. Ce sacrifice évitait que Kelly assiste une nouvelle fois à votre mort. Je ne dispose pas des détails pour l’instant, la réparation de mes souvenirs s’achèvera pendant mon sommeil. Mais merci de m’avoir sauvé, les enfants.

Anatole rejoignit hâtivement les trois garçons qui demeuraient encore sombres et remués par la révélation. Le visage sinistre qu’il arborait n’augurait rien de bon. Et sans même s’étonner de voir Darrius sur pied, il se jeta sur une chaise branlante puis, d’un timbre lugubre, lâcha la nouvelle :

— Jaouira a lancé une malédiction mortelle, visant uniquement le génome humain ! Nous pourrions tout au plus concevoir un contre-sort dans un an ou deux, mais l’ensemble de la population terrestre se trouverait déjà infectée. Voici la raison du marqueur génétique distillé dans les réserves d’eau potable. Ce sortilège détient la stupéfiante capacité de différencier les humains des sorciers.

La peur irrationnelle ressentie par le Gardien lorsqu’il croisa le regard des frères, emplis d’une haine primale, le bouleversa. L’œil sombre, il reprit d’une intonation moins assurée :

— Nous pouvons le contenir pendant quinze jours maximum ; délai dont on dispose pour découvrir une solution… Ce dont je doute fort.

Le ton affligé d’Anatole en disait long sur la catastrophe planétaire qui se préparait à l’insu de huit milliards d’êtres innocents.

— La garce ! hurla Enlil, ivre de colère.

Il expédia dans les murs des catacombes une salve de flammes qui fit trembler tout le quartier général.

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