Chapitre 29 – Historiques retrouvailles

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Mercredi 2 novembre 2022. Villa Siriki

En attendant le réveil d’Andromède et le retour de ses fils, Darrius s’essaya à la préparation du petit-déjeuner, et ce, sans l’aide de la magie. Tout du moins, c’était sa volonté première. Mais les multiples obstacles rencontrés, notamment avec les œufs à la coke, eurent raison de son absurde décision. Les garçons rentrèrent enfin.

Malgré les siècles écoulés, l’instinct protecteur de Darrius ressurgit pour sa première amie. Il tenait à ce qu’Andromède soit au grand air. Pour ce premier repas matinal avec les siens, le vampire dressa la table non loin du parterre d’orchidées stellaires éternelles à tige argentée, dont la corolle nacrée laissait à la fleur des bords de pétales karistés.

Tout en guettant la venue d’Andromède, Darrius profita de ce premier moment seul avec ses enfants pour les observer à loisir.

Son regard se tourna en direction des deux derniers, débattant sur l’utilité de la technologie. Ils n’avaient pas l’air de vouloir tisser de liens plus étroits avec lui. Le père se jura de tout faire afin que ses garçons lui offrent un jour une place dans leur cœur. Darrius réalisa que Kelly lui avait accordé la possibilité de transmettre ses valeurs ainsi que ses connaissances au plus grand. Bien que ce fût à son insu, il avait tout de même pu servir d’exemple au premier-né. Cela soulagea quelque peu son amertume.

Enlil s’était installé sur le sable pailleté bordant l’étang mystique aux teintes pourpres. Son expression sérieuse reflétait ses pensées. Nul doute que son esprit analysait les derniers événements survenus. Conscient de la tâche ardue qui se profilait à l’horizon, il ne savait pas par où commencer. Ils devaient à tout prix sauver l’humanité.

D’ici quatorze jours, la sorcellerie lancée par Jaouira aurait contaminé l’ensemble du globe.

Anatole mit au point un système d’isolement, assuré en permanence par les spectres, assistés des spécialistes ; ils se relayeraient afin de maintenir le sortilège confiné. À ce moment précis, le prince estimait toute la valeur de son Gardien, qui prenait les affaires de la maisonnée ainsi que celle du palais en charge. Il comprenait dorénavant l’attachement de sa mère pour ce sorcier d’exception, qui secondait avec efficience le clan depuis toujours, sans rien attendre en retour.

Dans sa chambre, enfin réveillée, avant de rejoindre la terrasse, d’une simple pensée, Andromède se créa une robe de dentelle noire cintrée. Ses pieds nus foulant le sol lui procuraient une impression d’irréalité. Lorsqu’elle rallia finalement sa famille, toute la faune accompagnée de la flore entonna un chant de bienvenue. Darrius esquissa un sourire. Il avait oublié cette façon habituelle dont la nature rendait hommage à Andromède qui, silencieuse, se posa sur le siège central laissé à son attention. 

Pour échapper pendant un temps aux événements accablants de leur vie quotidienne, père et fils échangeaient des banalités concernant le royaume, tout en garnissant leurs assiettes dorées de plats salés ou de la succulente pâtisserie aux trois chocolats. Planant de l’un à l’autre, des pichets de cristal remplissaient généreusement les coupes d’ambroisie.

Andromède, paralysée sur sa chaise, tentait de trouver le courage de partager sa tragique histoire.

Une fois certaine que la petite troupe fut rassasiée, la première des Darck se leva, puis alla s’asseoir en tailleur non loin des eaux violine. Comprenant sa volonté, les quatre gourmets la rejoignirent et s’installèrent autour d’elle.

Une larme d’argent glissa le long de sa joue.

Enlil analysait avec acuité les micro-expressions de son ancêtre. Il devina sur-le-champ qu’elle leur cachait une information primordiale. Faisant une confiance aveugle à son arrière-grand-mère, il choisit de ne pas s’en inquiéter dans l’immédiat.

De son doigt, elle ôta une chevalière dorée représentant l’arbre de la vie, jusque-là invisible. Le bijou resta suspendu dans les airs. Elle retira une couronne qui n’était pas sur sa tête quelques secondes plus tôt, dont le contour était composé de racines ouvragées dans de l’or pur. Pour finir, un sceptre de bois blanc se profila. Ses rainures laissèrent apparaître de minuscules éclairs.

— Ces trois objets sont les Régalia sacrés, dont je suis la gardienne. J’ai pris soin de faire croire que ces artefacts se trouvaient dans la pyramide pour éviter la convoitise. Alors que Diablé Néotolc tentait de me transformer en hôte du Néant, la Créatrice m’a touchée de sa délicatesse, l’instant s’est figé et elle m’a livré ceci :

« Première des nôtres, ce monde est perdu, un autre vous attend. Je te confie l’essence du pouvoir d’Ishtar, Nejma et Lillia. Ces forces continueront à grandir. Lorsque mes champions émergeront, tu le leur transmettras. Reste forte, Andromède Darck, la guerre commence, le destin de la Création va se jouer. Voici la prophétie :

Ses yeux identifièrent dans les cieux ce qui surviendra.

Supposant qu’il s’agissait de son choix, le temps, d’un seul pas elle franchira.

De sa main, le cheminement de ses fils la Gardienne du Continuum esquissera.

Lorsque s’éveillera la quintessence de la Trinité.

Les princes effaceront l’humanité, pensant apporter la félicité.

Nés de leurs interventions, les démons seront légion,

Et, comme la peste, ils se dissémineront.

La volonté de leur père, avec ardeur ils exécuteront, d’un bout à l’autre de la Terre, la désolation, ils sèmeront !

Sans relâche, les Darck lutteront.

À la fin de l’avenir écrit, la création, ils mèneront. »

— Tu veux dire l’Apocalypse ? demanda Warren, dont la voix reflétait la surprise.

— J’ai eu le loisir de me poser cette question pendant de nombreux siècles et c’est pour cela que j’ai abandonné la pyramide. Je sentais un pouvoir extrêmement destructeur s’en dégager. Comment a-t-elle pu revenir jusqu’à Jonas reste un mystère. Puis un jour, la Gardienne du Continuum s’est présentée. Elle m’a confié la mission de retrouver le Grimoire des Prophéties de lois. La rare mention de cet écrit est réalisée dans le D.

Elle claqua des doigts. Dans un tourbillon de fumée d’or, le tome familial à la couverture de cuir rouge apparut aussitôt, frétillant de plaisir d’être de nouveau consulté par sa propriétaire originelle.

Andromède ouvrit le volume à son juste milieu. Au creux de la rainure, une lueur argent les éblouit, puis se résorba. En partant du bas, elle glissa son long ongle manucuré jusqu’au sommet. Un feuillet s’incarna. Elle en effectua la lecture à haute voix :

« Chaque planète possède un destin, réuni en un tout.

Ancré dans un unique recueil.

Seul l’auteur peut déverrouiller son contenu.

Si un autre qu’elle pose son regard sur ces pages,

Il sera aspiré par l’ouvrage

Et son existence oubliée de tous. »

Kelly devait avoir connaissance de cet augure et ce grimoire devait en être la réponse. Mais je n’ai jamais réussi à le localiser. Un détail me chiffonne. Le D. qui me vient de La Mère ne comportait aucun écrit lorsqu’il me fut remis. Je ne m’explique pas l’apparition de cette prédiction en son sein. Mon enquête me mène à penser que la Terre n’est pas la Gardienne de ce recueil.

— En y réfléchissant, dit Darrius, toute l’histoire de la création semble tourner autour de notre espèce et de votre famille. Si Kelly le recherche sur ce monde, c’est qu’il y est forcément ! Connaissant ma femme, je suis persuadée qu’elle a tiré des conclusions identiques aux miennes.

L’aîné se sentit mal à l’aise lorsque Darrius imposa Kelly comme sa compagne dans son discours. Bien qu’il ait intégré leurs liens parentaux, se représenter sa mère en épouse modèle ne collait vraiment pas avec son caractère impétueux. Il trouva tout de même que la théorie de Darrius sonnait juste. Retrouver ce grimoire serait sa prochaine étape. Andromède poursuivit :

— Lors de la naissance de Warren, j’ai compris que vous étiez cette fameuse Trinité. Lorsque l’on vous réunissait, la magie se renforçait autour de vous. C’est la raison qui a poussé Enlil à vous disperser.

D’un hochement de tête, le concerné confirma. À chaque nouveau petit frère, il avait ressenti la croissance de ses pouvoirs. Lorsqu’ils avaient tous les deux atteint l’âge adulte, le phénomène était devenu trop repérable pour leur sécurité. Enlil s’était donc résolu à prendre la décision d’une douloureuse séparation.

— N’as-tu jamais su qui elle était réellement ? demanda Darrius, curieux.

— Bien sûr que si. Kelly est à l’origine de tous. Elle a fondé l’Ordre, éduqué la première Reine éternelle. Chacun des rois, en dehors de Jonas, a rencontré la Gardienne au moins une fois durant son règne. Sa présence fut, à plusieurs reprises, constatée dans l’Histoire. Nous savions uniquement qu’elle agissait dans l’intérêt de l’Univers, sous mandat de la Mère et cela nous suffisait. J’ai édicté dans les lois magiques l’obligation pour chaque monarque de répondre à ses doléances.

Andromède interrompit sa connexion avec les trois objets de légende. Ses magnifiques longs cheveux argent recouvrèrent leur nuance ébène originelle. Son éternité s’achevait enfin !

Les présents restés en suspension se dirigèrent chacun vers l’un des garçons. Le contact parut brutal pour tous. Une onde de choc se dégagea, balayant tout ce qui se trouvait dans le périmètre. Darrius enveloppa Andromède de justesse dans sa bulle protectrice.

Enlil, Kieran et Warren s’attrapèrent les mains : la quintessence de la Trinité était en train de naître. Les couronnes de karistal récupérées dans la pyramide apparurent sur leur crâne. La possession de la puissance millénaire de Nejma, Lillia et Ishtar, associée à leurs propres pouvoirs, conférait aux princes Darck la prérogative suprême.

Dorénavant, la Régalia d’Enlil avait la forme d’un fouet enflammé. Celui de Warren se transforma en un trio de shurikens chargés de tonnerre, tandis que Kieran héritait d’un chakram finement ouvragé dans une glace éternelle. Les trois armes se résorbèrent, puis touchèrent le front de leur maître légitime, les marquant du Triskel or.

Ces artefacts leur donnaient une force prodigieuse, mais a priori, c’était bien inférieur et en dessous de ce que Kelly Darck et La Mère avaient créé.

Ils poussèrent un cri aigu qui retentit et se propagea à des milles autour d’eux. Frappés tous les cinq par la foudre, ils disparurent. Et, heureuse d’avoir accompli sa mission, la villa retourna à son point d’origine.

**

L’éclair percutant la Trinité, Andromède et Darrius les projeta directement dans la salle du trône, où Anatole menait une réunion avec les chefs des Coven. Prise en cours de route, elle ne paraissait pas se passer au mieux pour le représentant de l’héritier. Sa tête reflétait le désespoir lié au négoce.

Enlil, arborant un sourire carnassier, dévisagea longuement l’assistance. Le futur seigneur fit émerger au centre de la pièce trois fauteuils Chesterfield de velours rouge. Les sorciers présents, se sentant ivres de puissance quelques minutes plus tôt, étaient réduits au silence depuis l’apparition des Princes. Ils savaient que le moment de payer leur traîtrise était arrivé. Aucun d’entre eux n’osa ouvrir la bouche, attendant lâchement le déroulement des événements. En partant de la gauche, ils prirent place par ordre de naissance.

Avoir brûlé autant de chakra avait donné une faim de loup aux garçons. Sous le regard médusé de leur public, une table transparut, chargée de victuailles venant de différentes chaînes de fast-food humaines. La mine désapprobatrice des conseillers royaux enchanta le trio.

Pendant que ses fils jouaient les terreurs, Darrius conduisit Andromède dans l’un des fastueux appartements. Le visage de la première des Darck reflétait sa lassitude. Son esprit paraissait meurtri par une souffrance qu’elle s’efforçait de taire. Cette fabuleuse sorcière, dont l’avenir du monde avait maintes fois dépendu, apparaissait extrêmement frêle depuis sa séparation des Régalia sacrés.

Semblable à une âme en peine, l’ancienne habitante des murs du palais se laissa dorloter par Darrius. Les besoins de son amie comblés, il canalisa une quantité infime de chakra dans sa main gauche et un halo se forma au-dessus de sa protégée.

Reverdis, murmura-t-il.

L’auréole fusionna avec Andromède, la plongeant dans un sommeil sans rêves. Les siècles écoulés ne semblaient pas avoir atténué le chagrin dû à la perte de son compagnon. Rendre la force d’exister à cette femme au cœur brisé se révélerait complexe. Darrius connaissait assez bien le clan familial de ses enfants pour savoir qu’ils seraient constamment là pour les leurs.

Pendant ce temps, tout en critiquant et en ignorant superbement les personnes autour d’eux, les frères Darck finissaient de se sustenter en compagnie d’Anatole.

Kieran se leva le premier. D’un geste de la main, il plaqua au plafond les huit représentants du peuple. Son énergie chakratique crépitait sur sa peau, tant la soif de vengeance l’habitait. Enlil se mit à marcher de long en large, scrutant leur regard apeuré.

— Certains parmi vous… Voire la totalité, ont appuyé ma tante, violant par cet acte le serment fait à notre mère. En vous alliant avec cette engeance du Néant, vous devenez coupables de trahison envers la nation. Pour éviter une condamnation à mort, vous devrez me prouver votre utilité.

Warren et Anatole, assis non loin, savouraient le moment, tout sourire. Observer les responsables de la déchéance des Khal recevoir une correction par le maître en la matière était une divertissante satisfaction.

Contempler son aîné frôler de son chakra cette bande de poules mouillées était un pur délice. Le sursaut des suppliciés maintenus au plafond fit pouffer les deux spectateurs.

Sans préambule, Warren balança une salve de foudre et Kieran abandonna son emprise lorsqu’elle les toucha. La longue chute électrisante fut stoppée net par Enlil, à quelques centimètres du sol. L’expérience fut si traumatisante pour les chefs des Coven qu’ils se tapirent dans un coin, terrorisés par le nouveau dirigeant du Royaume et ses frères.

Tous venaient de découvrir qu’à la différence de l’usurpatrice, ces trois-là ne prenaient pas la peine de menacer. Enlil, plus furieux que jamais, s’approcha du groupe d’un pas traînant. Le regard incisif, il déclara :

— S’il s’avère que l’un d’entre vous se retrouve impliqué dans l’assassinat de notre mère, soyez assuré que j’occuperai tout mon temps à le conduire aux portes de la mort. ME SUIS-JE BIEN FAIT COMPRENDRE ? hurla-t-il une fois face à eux, la rage au ventre de ne pouvoir les exterminer sur-le-champ.

« Un excellent roi se devait de placer les intérêts de son peuple avant ses désirs », lui disait souvent la Reine.

— Asseyez-vous, ordonna Warren, tout sourire.

Tremblants, ils s’installèrent côte à côte, la tête basse d’humiliation. D’une voie posée, mais toujours menaçante, l’héritier reprit :

— Anatole a dû vous informer des événements survenus à Marrakech et des conséquences qui en découlent. Le timing nécessaire à la résolution du problème est bien trop bref pour trouver une solution.

— Que proposes-tu ? demanda son gardien.

— Pour sauver l’humanité, nous allons exiger le contrôle de la planète.

— Comme si conquérir le fief de cette sous-espèce allait régler la situation, murmura le Maître des Spectres à son voisin.

Kieran entendit sa réflexion. Il balança un jet de glace suivi d’une vague d’air, réduisant celui ayant osé ouvrir la bouche en un petit monticule de neige. L’air de rien, Enlil revint à son speech sous le regard terrorisé de l’auditoire.

— Une fois la Terre sous notre emprise, la Trinité offrira une transition vers l’état de créature surnaturelle à ses nouveaux sujets.

Avant de parler, le chef du Coven des spécialistes prit soin de lever le doigt. D’un hochement de tête, Enlil donna son accord.

— Comment pouvons-nous aider dans l’exécution de ce tour de force, mon Roi ?

— Enfin une question judicieuse ! Votre partie du projet consistera à convaincre l’humanité d’accepter de nous rejoindre. Exposer la magie telle la main de leur Dieu. Le monde que nous créerons devra être purifié des maux que cette société s’efforce de cultiver.

— Qui succédera au Maître des Spectres ? questionna Anatole.

Quelques secondes avant le début de son speech, Enlil avait aperçu son père entrer en catimini. C’est en le pointant qu’il répondit :

— Darrius remplacera l’abdicataire. Avec l’assistance de Warren, son Coven se chargera du piratage des archives secrètes de chacune des nations humaines. En second lieu, ils kidnapperont discrètement les dirigeants ainsi que les chefs de cultes.

— En ce qui concerne les familles royales, comment dois-je procéder ? demanda Darrius en retrait, dans un coin de la salle du trône.

— Vous retirerez vos instructions d’Anatole. Si un seul d’entre vous conteste ces consignes, ne seraient-ce qu’une fois, il devra démissionner…

Un silence angoissant plana dans la pièce. Au vu de ce qui était arrivé à leur ancien collègue, la menace apparaissait aussi claire que du karistal. L’héritier termina avec une nouvelle encore plus fracassante :

— Notre nouveau royaume sera gouverné sur un pied d’égalité par les trois fils de la reine Kelly Darck. Comme vous avez pu le remarquer, nous détenons dorénavant les Régalia sacrés dans leur entièreté. Une partie nous a été transmise par la Créatrice de l’Univers en personne et son complément par notre chère Andromède, que vous avez certainement aperçue lors de notre apparition.

Pour une annonce, c’en était une. Les intrigants qui faisaient la pluie et le beau temps sur Khalarie durant la dernière décennie avaient perdu toute autorité. L’esprit tacticien de ces moins que rien leur permit néanmoins de constater le coup de génie qu’Enlil était en train d’accomplir. La magie conférée à un seul sorcier, même 2,0, par huit milliards d’âmes, aurait été létale. Mais avec ces trois dieux vivants, la chose paraissait possible. Le cadet et le benjamin accueillirent la nouvelle avec un plaisir non dissimulé. Une question s’instilla dans la pensée de tous : de quelle façon allait-il réussir ce prodige ?

— Tu vois Warren, je t’avais dit qu’il ferait de nous ses égaux, lâcha Kieran souriant.

Ils rejoignirent Enlil sur l’estrade. Au contact de leurs mains unies formant un cercle, l’aura immaculée, caractérisant la possession des Présents, se manifesta. Leurs crinières prirent une teinte argentée identique à celle d’Andromède.

D’une seule et même voix, ils déclarèrent ceci :

— L’échec n’apparaît pas comme une option envisageable. Motivez vos troupes ! Nous exigeons l’efficacité dont vous n’avez jamais su faire preuve…

Un tourbillon de lumière céleste surgit soudainement face à eux.

TAC, TAC, TAC.

Tous identifièrent celle qui, de son légendaire pas félin, en émergea. Les princes rompirent leur connexion et se précipitèrent dans les bras de leur mère. Lorsque Kelly Darck enlaça enfin ses enfants, l’espoir la submergea.

La cité de Khalarie regroupait en ses murs ce soir-là, et ce, depuis longtemps, la totalité des Khal disséminés sur Terre. Dans la liesse générale, le retour de la reine tant aimée fut célébré jusqu’au lever du jour.

**

Enlil Darck. J -13

« La créature progressait dans sa direction. De son humanité subsistait seulement sa carcasse démembrée. Son pas lourd et son regard sombre, exhalant des volutes de souffle nauséabond, glaçaient le sang. La mâchoire béante aux multiples rangées de dents acérées comme des rasoirs, agrémentées de restes de chair et d’organes, laissait s’écouler un filet de bave de plaisir à l’idée de le déchirer en lambeaux. Allongé sur cette terre consumée par le mal, il deviendrait l’un des nombreux cadavres rongés jusqu’à l’os ».

Le corps en sueur, son cœur battant la chamade, Enlil, terrifié par la vision apocalyptique, se réveilla en sursaut. Refusant de considérer ce songe comme un mauvais présage, il attribua son cauchemar à l’alcool, pris en grande quantité la veille. D’une main tremblante, il arracha les rideaux qui s’envolèrent à l’autre bout de la chambre.

Chassée par le soleil, la pénombre dévoila un panorama époustouflant.

Célébrant la résurrection de sa mère, le prince se rappela avoir bu plus que de raison. Il se souvint aussi d’avoir enjoint son père, dans un instant de lucidité, à le conduire jusqu’à ses appartements. Vu son état d’ébriété, un vortex l’aurait sûrement matérialisé en plein volcan.

Il s’assit en tailleur sur l’énorme couchette royale, puis observa l’environnement. Peints d’un noir intense, les murs soulignaient richement les moulures tapissées de feuilles d’or. Vestige intact d’une époque révolue, le lit en bois blanc s’harmonisait parfaitement avec le décor. Cette chambre incarnait le prestige qu’il jugeait digne de sa personne.

Après s’être étiré, Enlil abandonna à contrecœur sa douce couverture de cachemire. Groggy, il se dirigea vers son dressing qui aurait pu contenir trois magasins : jeans, costumes, chaussures, survêtements et baskets étaient présentés à la manière d’un showroom. Il se demanda à quel moment les employés avaient pu mettre tout ceci en place. Même avec l’aide de la magie, ça restait un exploit.

Son choix se porta sur une tenue de compression noire ainsi que sur une paire de Nike de couleur similaire. Douché et débordant de motivation, c’est à petites foulées que le prince entama son jogging matinal. Après vingt minutes de course effrénée à travers les couloirs déserts, Enlil déboucha sur un jardin, où sa présence éveilla la faune et la flore.

D’un coup, il sentit son chakra se renforcer d’une façon si intense qu’il aurait facilement pu y perdre son âme, tant la sensation de grandeur était grisante !

Depuis l’instant où la quintessence de la trinité était née, la sorcellerie leur répondait de la même façon qu’ils respiraient. Andromède avait vécu cela à moindre échelle. Il avait fallu beaucoup de maîtrise de soi à son ancêtre pour ne pas succomber à la soif de pouvoir. L’estime qu’Enlil portait à la première des Darck n’avait fait que croître depuis les révélations de ces derniers jours.

Tout à ses pensées, le prince reprit son footing en direction des ruelles de Khalarie. Le soleil s’était à peine levé et les premiers signes de la vie matinale apparurent derrière les fenêtres grandes ouvertes, dont certaines laissaient échapper d’appétissantes odeurs de viennoiserie. Enlil stoppa sa course et huma l’air baigné de particules de chakra libérées par son royaume.

Les services d’entretien nettoyaient à grand renfort de magie les vestiges de la célébration improvisée, dans la salle abandonnée par le peuple. Depuis la mort de la reine Kelly, Khalarie n’avait plus connu un tel bonheur. Les discordes entre clans avaient été oubliées, donnant à chacun un nouveau départ vers un avenir meilleur.

Soudain, un sorcier qu’il n’avait jamais vu s’arrêta à ses côtés.

— Votre Majesté, c’est un plaisir de vous revoir. Merci de m’avoir blessé. Cela m’a sauvé la vie lors de l’annonce de votre arrivée à l’usurpatrice. Vous visitez notre magnifique cité ?

Enlil ne reconnut pas l’individu, mais agit comme si c’était le cas :

— Merci à vous de nous avoir aidés. Vous savez ce qu’on dit : « l’éveil d’un village reflète son visage. »

Et son âme au coucher est dévoilée, répondit Jovial Lapone.

Après un clin d’œil à son loyal sujet, Enlil redémarra en petites foulées. Son destin prenait un meilleur tour qu’il ne l’avait espéré.

Quand les huit cloches dorées de karistal sonnèrent pour la première fois ce jour-là, le spectacle était d’une beauté à couper le souffle. Ceux qui étaient éveillés envoyèrent une infime quantité de chakra, qui fusa en direction des beffrois, emplissant le firmament de milliers de particules multicolores. Cette procédure permettait de redonner aux artefacts assez d’énergie pour camoufler Khalarie. Enlil y ajouta sa contribution, puis s’évapora pour rejoindre ses appartements.

Après un agréable moment sous le jet d’eau chaude et à la pression parfaitement dosée de sa douche, le prince prit quelques instants pour s’extasier devant son reflet géant, posté dans le coin de la salle de bains. L’analyse complète de sa personne terminée, il constata une perte de masse musculaire. À son injonction, l’image se modifia pour lui sculpter une morphologie de dieu grec. Sa nouvelle puissance avait du bon.

Il revêtit un costume à carreaux gris. Compte tenu de la façon dont il sublimait son corps, Enlil identifia une création des frères Lagerfeld. Comme à son habitude, il décida de rester pieds – nus. Au passage, il attrapa une lanière de cuir dans une corbeille remplie d’accessoires. Il noua ses longs cheveux argentés avec, puis se planta de nouveau face au miroir.

— J’ai vraiment l’air d’un roi.

Sa réverbération lui fit un clin d’œil. Le monde attendait qu’ils se saisissent du pouvoir et c’est ce qu’ils s’apprêtaient à mettre en œuvre.

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