Chapitre 31 – Rencard tactique

8 minutes de lecture

Samedi 5 novembre 2022

Cela faisait plusieurs jours maintenant que Nick Gaudin était devenu le Maître de la Nuit et propriétaire de l’Anastasia

Comme tous ses clients, il remarqua immédiatement la magnifique Kelly, s’installant seule à une table : son magnétisme captait les foules. Lorsqu’il ressentit l’arrivée de l’héritier, le choc se fit plus intense. L’angoisse le fit presque vomir. Terrorisé à l’idée d’être identifié, son cœur se mit à battre la chamade, tout comme lors de la visite du trio. Mais, à son grand soulagement, Enlil ne reconnut pas son aura.

Après la disparition subite de ses convives, le reste de la journée passa paisiblement. Puis, son téléphone vibra dans sa poche. 

— Salut Pa, comment vas-tu ?

— Bonjour fils ! Pas top… Tes affaires se portent bien ?

— Tranquillou, merci de demander. Figure-toi que j’ai reçu des invités de marque ce matin.

— Ha oui, qui donc ?

— L’Héritier et sa mère ! Pour une femme assassinée, je la trouve en parfaite santé.

— Elle n’est pas la seule. Jonas Darck vient également de revenir d’entre les morts. C’est un peu le bordel pour nous, fiston. Notre clan doit retrouver les bonnes grâces de la famille royale, sinon, on ne fera pas long feu, répondit anxieusement son père.

— Ha ouais ! Ça craint. Je peux t’aider ?

— Justement Nick, ton projet sur les génomes humains est-il concluant ?

— Plus ou moins. Pourquoi ?

— Enlil Darck cherche un moyen de transposer les créatures non magiques à l’état surnaturel.

— Je pense que les quelques problèmes persistants peuvent être corrigés par des mecs aussi puissants que les frangins Darck. L’héritier me semble plein de ressources.

— C’est un sociopathe de niveau remarquable… Bien plus que les autres membres de son clan. Ne succombe surtout pas à son charme, fiston. Cet individu est le plus dangereux que j’ai jamais croisé. Même Suridar est un agneau en comparaison.

— Arrange-moi un rendez-vous avec Son Altesse. Je m’occupe de préserver notre famille.

— Fais attention à toi. J’espère que son projet aboutira. Sois prêt demain matin à neuf heures précises. Je connecterai ton miroir au mien afin que tu sois recraché au palais. Je me charge de t’obtenir ton rencard.

— Merci p’pa. On se capte. Je dois fermer le club. Passe une agréable soirée.

— Bonne nuitée fils.

Nick Gaudin avait suivi des études supérieures en génétique, à Harvard. Et, une fois son diplôme en poche, un poste à l’institut des sciences de Marseille lui avait été proposé.

Durant quelques semaines, il avait bien tenté de s’adapter à ses nouvelles fonctions, puis il avait réalisé qu’il n’appréciait pas son environnement. Il avait donc démissionné afin de plonger dans ses propres recherches : stimuler le génome magique chez l’humain.

Ses derniers clients encaissés et la grille descendue, le Maître de la Nuit se rendit devant l’une des portes de son établissement et de sa poche, sortit une clef de bois blanc, dégotée elle aussi chez un antiquaire japonais.

Une fois insérée dans la serrure, le battant se mua en un maelström émeraude qu’il franchit. À la différence des vortex classiques, le tenancier ne fut pas dématérialisé. Nick adorait cheminer dans ce tunnel multicolore, au travers duquel le vide intersidéral se distinguait en des milliers d’étoiles s’éteignant, d’astres naissant et de constellations l’enchantant. Puis sa traversée prit fin et il put retirer ses baskets ainsi que ses chaussettes afin de profiter de la douceur du sablistale turquoise. Des eaux beiges de l’océan scintillant s’élevaient des fins volutes de fumée. Sur ce panorama à couper le souffle, bordé d’arbres rosés, s’imposait une sublime villa de verre d’inspiration californienne.

Avançant tout en savourant le climat tropical, il imaginait déjà son rendez-vous du lendemain. Son officine se trouvait un peu à l’écart de la somptueuse demeure. Son matériel scientifique, à la pointe de la technologie, aurait fait baver d’envie n’importe lequel de ses confrères, inclus ceux des importants laboratoires.

Avec la sorcellerie, l’argent n’était pas un souci : il avait emporté tout le nécessaire pour mener ses travaux dans le plus grand secret ; l’Anastasia n’était qu’une couverture. Maintenant que Raspoutine ne traînait plus dans ses pattes, plus rien ne se dressait sur son chemin.

Sauf peut-être l’héritier, qui l’obsédait.

Ses documents de recherche réunis, il se dit qu’il ne reviendrait sûrement pas ici avant un bail. S’il se voyait contraint de révéler la vérité au prince, il était à peu près certain que sa tête tomberait sans la couronne qu’il convoitait.

Sur ces tristes pensées, il rejoignit sa luxueuse chambre à coucher.

Après s’être retourné dans tous les sens, il trouva enfin le sommeil. Deux heures et demie plus tard, le gong du réveil sonna. Encore ensommeillé, il se dirigea sous la douche qui s’activa seule à la température idéale. Nick Gaudin se mit sur son trente-et-un : pantalon classique, chemise blanche et baskets assorties. Il soigna particulièrement sa belle barbe blonde et coiffa sa longue chevelure en un chignon sauvage. Puis il attrapa son sac à dos et introduisit la clef de bois dans la serrure.

Mais, subissant le contrecoup d’une perturbation chakratique passagère, il n’arriva pas à l’endroit prévu.

Jovial Lapone, l’un des douaniers de Khalarie, racontait à l’un des arrivants son combat héroïque face à l’héritier lorsqu’un vortex non programmé s’ouvrit. Suite aux instructions de Jonas, il prévint immédiatement le palais en y expédiant une boule d’énergie. Grâce à sa fonction et à son poste, qu’il occupait depuis son plus jeune âge, le agent des douanes connaissait tous les visages circulant dans sa zone, et celui-ci ne lui était pas familier.

— Bonjour, Monsieur. Je suis Nick Gaudin, le fils du Maître Monétaire. Il se trouve que je suis attendu par Enlil Darck.

Jovial Lapone consulta sa mémoire :

— À ma connaissance, Sa Majesté n’a pas de rendez-vous, sinon il m’en aurait personnellement informé. Tu vas dare-dare me dire ce que tu fais réellement ici, mon bonhomme, avant que je ne perde mon sang-froid.

Il en fallait plus pour impressionner Nick, chez qui le seuil de patience était très vite atteint. Il répliqua :

— Bref là, tu me saoules un peu. Au lieu de jouer au puissant sorcier, contacte mon père par télépathie avant que j’explose ta gueule.

— Nick ! Nick ! hurla une voix familière.

Apercevant Maître Gaudin remuant les bras au loin, sans l’accord du douanier, le fils rejoignit le père au sommet des escaliers conduisant aux immenses portes d’or du palais. Heureux de se revoir après tous ces mois éloignés l’un de l’autre, ils s’enlacèrent quelques secondes.

— Bonjour fils. Es-tu prêt ?

— Salut p’pa. Ouais, t’inquiète, pas de souci. Je croyais qu’on se retrouverait devant ton cabinet ?

— La force chakratique de la Trinité perturbe quelque peu le flux magique ces temps-ci !

— Pas grave p’pa, let’s go.

Tout en discutant des affaires de Nick, les Gaudin marchèrent jusqu’au miroir d’onyx.

— Il t’attend.

— Tu ne m’accompagnes pas ? le supplia Nick terrorisé.

— Je regrette, il a demandé à te rencontrer seul.

L’excitation laissa soudain place à la terreur, l’individu se trouvant derrière pouvant décider de le tuer sur un simple caprice. Conscient que l’avenir de son clan dépendait de cette visite, Nick prit son courage à deux mains et, le regard presque assuré, traversa le reflet.

**

Derrière son immense bureau de diamonite, Enlil attendait patiemment. Une cigarette au coin des lèvres, une tasse de café en main, il fit signe à son invité d’approcher.

— Salut, tu me remets ? J’suis le Maître de la Nuit, je t’ai servi hier.

— Salut. Vaguement ! Tu es le fils du Monétaire ?

— Ouais, c’est ça ? Et, toi, t’es celui de la reine ?

— C’est ça aussi, répondit Enlil amusé.

— Qu’est-ce que tu fais ? l’interrogea Nick, anxieux.

— Je prépare mon plan de conquête du monde. Il paraît que tu peux m’y aider. Ton père m’a renseigné au sujet de tes études sur le génome humain et sorcier. Tu es ici, car les lois magiques l’interdisent. J’aimerais comprendre comment tu les as contournées.

— Auparavant, je sollicite l’immunité pour moi et ma famille, Votre Altesse.

Nick essayait d’extérioriser le peu d’assurance dont il jouissait. L’héritier sourit et, d’une voix mielleuse, déclara :

— Je suppose que tu vas confesser un crime ou une ignominie du genre. Si, à la fin de ton histoire, tu m’es utile, tu obtiendras ce que tu demandes. Si tu ne me convaincs pas, tu mourras sous les yeux de ton père, en réponse à sa traîtrise, car, je n’oublie pas qu’il a prit le parti d’Alanine… Mais tu peux aussi repartir sans rien risquer !

Tout du long de la tirade, Nick avait eu une folle envie de fuir. Seule sa volonté de sauver les siens d’une mort quasi certaine l’en dissuada. Enlil jubilait intérieurement. N’importe qui aurait fait un malaise, ce mec avait un cran à toute épreuve, et ça lui plaisait énormément ; tout comme sa jolie petite gueule, cela allait sans dire. Charmeur, Enlil reprit :

— À quel point puis-je te donner ce que tu désires tant ? Quel est ton intérêt de tout perdre ? Réfléchis bien, Nick Gaudin.

Ses paroles furent prononcées avec une sensualité déconcertante pour l’invité. L’héritier avait déjà délibéré à son sujet, c’était évident. Il décida de lui livrer quelques informations supplémentaires :

— Selon le Monétaire, tu peux m’aider à élaborer mon projet. Je souhaite transposer les humains à l’état de créatures magiques. Par conséquent, je vais façonner et inscrire un sortilège à cet effet dans les lois immuables.

— Advienne que pourra, voici ce qui s’est passé : au cours de mon bref séjour à l’institut des sciences de Marseille, j’ai rencontré un sorcier camouflé par un Capuchon vert. Il m’a remis une clef USB, contenant le procédé permettant de préparer un sérum activant le chromosome surnaturel chez les humains. Mes recherches ne pouvant être rendues publiques, car cela risquait d’exposer la magie, j’ai donc démissionné. Il y a de cela quelques jours, tu as affronté un type lors de ta réception… C’était moi. 

Enlil ne souriait plus. Tant bien que mal, il maintint son self-contrôle.

— C’est toi, le psychopathe qui a torturé et trucidé mes sujets, pour finalement abandonner leurs dépouilles souillées aux portes du vortex de ma villa ?

— Je savais que vous vous occuperiez d’eux. Le soir de notre combat, l’affrontement était tellement synchronisé qu’aucun de nous n’avait le dessus sur l’autre. Comme si nous nous connaissions intimement.

— Oui, d’ailleurs, tu m’as balancé un ou deux sorts minables, si je me souviens bien.

— Grâce à mes recherches, j’ai mis au point un booster de magie. Une injection donne douze heures de pouvoir de base.

— Ma sorcellerie rendra ton sérum permanent. Andromède s’arrangera pour que l’on te fournisse autant d’énergie mystique que nécessaire.

Enlil déserta son assise, frôla le beau scientifique et posta délicatement sa main sur son crâne. D’une voix on ne peut plus tentatrice, il annonça :

— Tu obtiens ta grâce ainsi que mon pardon.

— Merci, Votre Altesse, s’autorisa Nick, un rien aguicheur.

Empoignant le chignon de Nick, c’est d’un ton menaçant cependant qu’il l’avertit :

— Mais ne recommence jamais à faire du mal à l’un des nôtres, compris ?

Redevenant délicieux, il approcha doucement de ses lèvres et, d’un fugace baiser, les effleura. Puis il alla reprendre place derrière son bureau et ajouta :

— Je lance le sort dans cinq jours ; adresse-toi à mon grand-père pour les détails et ne quitte la cité sous aucun prétexte.

Sa menace hérissa le poil de Nick, qui se demandait pourquoi ce gars agissait si étrangement avec lui. Tantôt séducteur, tantôt intimidant.

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