Chapitre 38 – Sorcellerie quantique
Après un trajet interminable à travers les couloirs du palais, ils atteignirent le cabinet dimensionnel. Assis dans un fauteuil, en face d’Enlil, Merzhin ne put s’empêcher de fixer son descendant. La façon dont il s’exprimait, ses expressions faciales et son regard fourbe lui semblaient étrangement familiers. Étant donné la situation, il ne pouvait être question de coïncidence.
Tout comme les manipulations génétiques pratiquées sur Adhane par le seigneur démoniaque et Green Hood.
Enlil le tira de ses souvenirs.
— Que peux-tu me dire au sujet de ce palimpseste dont Andromède nous a parlé ?
Son ton amical surprit le revenant. Après quelques secondes de réflexion, Merzhin répondit enfin :
— Il s’est manifesté quelques instants avant mon enlèvement, j’ai identifié dès les premiers symboles le travail remarquable de mon professeur. Il s’agit d’instructions permettant de rejoindre son laboratoire.
— Qui est ?
— Red Hood, l’une des puissances supérieures.
— Rien que ça ! Est-ce vrai que ton géniteur est le roi des Djinns et que ta mère est la dernière reine enchanteresse ? Il continua : où étais-tu passé pendant tout le temps de ta disparition ? Et ne me dit pas nulle part, car j’ai lu dans l’esprit d’Andromède qu’elle te trouvait vieilli, bien que tu fasses encore très jeune, selon moi.
— Mes souvenirs s’arrêtent à la scène contée par mon épouse. Ce que j’ai pu faire entre, je ne m’en souviens pas. Par contre, mon chakra est bien plus puissant. Il est imprégné de rage, de douleurs, de soif de sang. Comme si j’avais mené une guerre.
Enlil ne formulait pas ses questions au hasard. Les réponses que fournissait Merzhin détermineraient la suite du projet de conquête.
— Effectivement !
— Donc, notre patrimoine génétique se compose d’ADN paramissien, vampirique, démoniaque et enchanté, en plus du gène divin venant de Zargua.
Éberlué par l’énumération, il ne put que hausser les épaules. Enlil resta songeur, puis dégaina son téléphone et envoya un SMS à Nick. Il claqua des doigts et la formule de Kieran apparue. D’une légère poussée d’air, le prince l’expédia à son interlocuteur. Merzhin déroula le parchemin et le lut à la hâte.
— Je comprends désormais. Pour réaliser ce miracle, nous devrons entrer dans l’antre secret des frères Hood depuis Stonehenge. D’ailleurs, je suis certain que ce vestige d’antan n’a qu’une seule fonction : celle de te permettre de créer cette sorcellerie quantique.
Il n’eut pas le temps d’achever sa phrase que l’environnement se métamorphosa. Toujours installé sur son confortable fauteuil bleu nuit, l’ancêtre se retrouva soudain au cœur du monument celtique, en compagnie d’Enlil, le regard empli de détermination.
Malgré les immenses pouvoirs de l’enchanteur, il aurait été incapable d’accomplir une résorption de deux personnes sans abandonner quelques morceaux de son identité sur la route. Merzhin fixa la voûte stellaire : l’Univers avait changé depuis son époque. Les constellations avaient perdu de leur éclat, ce qui n’était pas de bon augure pour le sort de la Création.
Encore une fois, la voix dominante de son descendant le tira de ses pensées.
— Maintenant que nous y sommes, comment procédons-nous ?
— Tu ne m’as pas laissé le temps de te prévenir, j’ai besoin d’une clef pour accéder à l’emplacement secret de mon mentor. Trouver Excalibur sera compliqué. Le roc dans laquelle elle a été plantée après la mort d’Arthur a mystérieusement disparu.
— N’en sois pas si sûr ! Il y a quelques années, Kieran l’a découverte, au fond du lac bordant le château de Comper.
Les mégalithes bloquant tout acte de magie dans leurs enceintes, Enlil ressortit du cercle de pierres. Il fit apparaître la roche retenant la lame, puis retourna auprès de son aïeul. Merzhin se leva, approcha d’excalibur, puis entoura la garde du pommeau de l’arme légendaire de sa main. De la même manière que Warren, il sortit la lame de son fourreau naturel. Au contact de l’enchanteur, celle-ci se transforma en une magnifique épée de karistal d’une rubéfaction incandescente. Merzhin avança alors jusqu’au milieu du cromlech et, avec force, il l’enfonça dans le sol calcaire jusqu’à la garde.
L’un des dolmens généra un halo flamboyant, qui heurta ses semblables un à un en un mouvement de domino. La terre se mit à trembler. Des cavités se dessinèrent face au prince, qui tentait de garder l’équilibre. De ces orifices béants et exhalant des odeurs d’humus des premières heures de la Terre, d’autres mégalithes émergèrent, puis composèrent un cercle. Malgré lui, Enlil plana et se plaça au cœur de la manifestation.
Chacune des pierres propulsait un éclair de rubis qui pénétrait son âme. Ses yeux dorés brillaient de mille feux. En silence, les restes du vestige archéologique se soulevèrent du terrain et commencèrent une lente rotation, devenant de plus en plus rapide. Et soudain, abandonnant Merzhin au cœur de Stonehenge, Enlil s’évapora. Enfin arrivé à destination, secoué par le phénomène, il s’évanouit.
Une fois réveillé, il lui fallut quelques instants pour récupérer. À sa grande surprise, il se trouvait sur un astéroïde. Perdu parmi les étoiles, Saturne se démarquait, entourées de ses anneaux. Plongés dans la noirceur stellaire se juxtaposaient Uranus, d’un froid laiteux et Neptune, aux teintes océan.
Sur son rocher, au loin, se tenait une version du palais à plus petite échelle. Dès qu’il se mit en marche, la flore s’éveilla, dévoilant un magnifique jardin coloré, réunissant des espèces extraterrestres dont il ne sut dire si elles étaient animales ou végétales. Il éprouva brusquement des regards perçants dardés sur lui, à travers une sorte de buisson-ardent verdâtre.
Des lianes semblables à des veines balayaient les obstacles qui se dressaient sur son chemin. Ouvragés dans des métaux précieux, les arbres courbaient le tronc à son apparition. Puis Red Hood s’immisça dans son esprit :
— Dépêche-toi de me retrouver au palais, ce ne sont pas toutes des créatures inoffensives. Crois-moi, même toi, tu n’es pas prêt à affronter les horreurs emprisonnées ici. Tout du moins, pas encore !
Plus il se rapprochait de la demeure, plus les ondes positives ressenties à son irruption se dissipaient, cédant le pas à une aura oppressante, venue tout droit des ténèbres. À un moment donné, il sentit des mains charnues essayer de s’accrocher à ses chevilles. Heureusement, à l’instant où il franchit la copie des portes de son fief, toute la haine perverse contre laquelle il avait lutté lors de son trajet s’évapora. Il réalisa que les énergies qui imprégnaient cet endroit lui étaient familières, à quelques nuances près. La seule chose dont il était certain était que le mentor de son aïeul avait menti sur son identité.
— Rejoins-moi dans le couloir aux portraits, face au miroir d’onyx, le somma Red Hood par télépathie.
Enlil entreprit de se dématérialiser, mais ce fut un échec. Une carpette apparut, prête à lui montrer le chemin. Elle se déroula sous les pieds du prince, ce qui adoucit son humeur. Celles de son domaine ne tentaient jamais de lui annoncer la route, de peur d’être carbonisées.
Tout en progressant, il observa son environnement, puis il arriva devant une partie de son palais qui lui était inconnue. En effet, dans son foyer, les toiles sur les murs n’existaient pas. Il se rapprocha pour distinguer la signature, c’était celle de Kelly, conformément à la réminiscence.
Lui intimant l’ordre de ne pas dévier de l’itinéraire, la carpette lui fouetta les mollets. Obéissant docilement au curieux phénomène, il veilla à ne pas dériver face aux variations flagrantes, mais néanmoins subtiles, rencontrées lors de sa progression. Il en déduisit que la construction représentait un savant mélange des différentes versions écrites par sa mère.
Après quelques minutes d’un parcours plein de surprises, il se retrouva devant le clou du spectacle : trois miroirs gigantesques trônant au centre du couloir, le premier étant une réplique du sien.
Le deuxième était constitué d’une armature en émeraude, semblable à la coiffeuse ayant appartenu à la reine. Finement sculpté dans une énorme tanzanite, le dernier semblait identique à celui admiré chez Kieran. Et, au milieu des artefacts, se tenait en lévitation l’encapuchonné. Encore une fois, il communiqua par le truchement de l’esprit :
— Ces reflets sont les réceptacles des diverses lignes du temps, que la Gardienne du Continuum a instaurées. C’est ce qui te permettra, dans l’avenir, d’influencer les événements. Celui d’onyx est ton entrée ; la tanzanite revient à Kieran et l’émeraude à Warren. Chacun de vous trois a une tâche à accomplir : l’un dans le présent, les deux autres dans le passé. Positionne-toi en face de moi et scinde ton chakra entre les trois miroirs. De cette façon, tu plongeras ton âme dans la substance de la Création. Attention, tu devras respecter mes directives afin de donner naissance au charme le plus puissant établi depuis la libération de la Mère.
Comprenant que le moment était crucial, Enlil s’installa dans la même position que son hôte.
Conformément aux instructions reçues, il divisa son pouvoir en trois. Les faisceaux dégagés rencontrèrent les reflets d’entrée et chacun d’eux propulsa un jet de lumière sur le prince, ce qui eut pour effet d’affranchir son esprit de son enveloppe charnelle. Cette dernière se transposa au-delà du niveau subatomique, sous forme fantomatique.
— À présent, tu existes au cœur de l’Univers. Imprègne-toi de la magie qui t’entoure, jusqu’à entrer en communion avec le tout. De la sorte, tu obtiendras la capacité de déverrouiller les sept serrures chakratiques.
Enlil obéit sans faire de difficulté. Il détendit ses molécules, plaça ses bras le long de son buste et cibla les forces liées à la création. Une fois en symbiose, le bas de son corps s’embrasa, preuve que « le Muladhara rouge » avait été libéré. Il procéda ainsi pour les six centres d’énergie mystique restants. Lorsque la manœuvre prit fin, la somme de ses cellules fantômes bouillonnait de puissance. Hood se manifesta à nouveau :
— À partir de cet instant, tu fais partie intégrante du subespace. Il va falloir que tu ouvres une faille dimensionnelle. Pour ce faire, laisse ton esprit vagabonder dans l’immensité de la Voie lactée. Décuple ta capacité auditive à son maximum et, pour conclure, capture tous les sons à travers la galaxie, afin de les concentrer en un point fixe.
La procédure s’avérait compliquée. L’héritier supporta mal le vacarme émis par l’ensemble du système solaire. Il sentit son flux cellulaire se désagréger. Un phénomène étrange se produisit : de son corps, six petites boules lumineuses correspondant aux chakra déverrouillés se dégagèrent. Elles se rangèrent à ses côtés de façon à composer un cercle et explosèrent, formant pendant quelques secondes un magnifique arc-en-ciel dont il était l’épicentre. Puis le tumulte accablant se dissipa.
L’arborescence colorée se résorba et laissa place à six versions de lui-même. L’un après l’autre, les doublons étendirent leurs bras et inclinèrent leurs paumes vers l’avant. Dernier à s’exécuter, l’original les imita. Les bruits de l’Univers se firent entendre de façon plus subtile, se servant de son âme comme catalyseur. Son instinct lui intima de diriger le son vers ses mains et, dans un mimétisme soigné, ses reproductions s’allièrent à lui. La convergence des ondes ioniques fissura les dimensions, constituant ainsi un portail vers notre réalité, et il s’aperçut à travers la brèche.
— À présent, afin de conférer la puissance nécessaire à la psalmodie écrite par ton frère, transfère à ton enveloppe charnelle les énergies mystiques à ta disposition. Et ce, jusqu’à la dissolution totale de ton corps astral.
Huit heures plus tard…
Dès l’instant où la dernière de ses particules cellulaires s’évapora, la fracture subspatiale se résorba. En revenant à lui, Enlil constata qu’il luisait comme un phare au milieu de l’océan. Red Hood avait quitté les lieux et, sans qu’il l’ait invoqué, le D s’incarna.
Avec une lenteur solennelle, le grimoire ouvrit sa couverture de cuir rouge. Sur le feuillet vierge qu’il présenta, ligne par ligne, le chef-d’œuvre de Kieran se révéla. L’impression achevée, Enlil posa le plat de sa main sur la page. Celle-ci absorba toute la magie concentrée dans son corps. Puis, totalement vidé, notre valeureux prince s’évanouit.
***
Dans le même temps :
Merzhin, seul au cœur de Stonehenge, se demanda pendant de longues minutes comment il avait survécu à cet afflux de sorcellerie ! Il attendit que la fumée produite par la manifestation disparaisse avant de sortir du cercle de pierres. Le brouillard opaque enfin dissipé, il remarqua sur le menhir central un symbole Sorcellerik. La puissance que le rocher recelait apparaissait extraordinairement envoûtante. La magie de l’Univers avait donné naissance aux armoiries de la Trinité et lui ressentait à nouveau son chakra, ce qui démontrait que les dolmens avaient perdu leur capacité à transformer le lieu en zone fantôme.
Avant que certains individus mal intentionnés soient attirés par le pouvoir qui venait d’éclore, d’un geste, Merzhin expédia le menhir dans le cabinet royal, avant de regagner les bras aimant de son âme sœur. Lorsqu’il lui narra leurs aventures, Andromède eut un vieux réflexe de sa vie d’esprit : chercher l’énergie mystique de son descendant à travers la planète, mais en ne repérant rien nulle part, elle éprouva une certaine angoisse.
— Ne t’inquiète pas, je suis sûr qu’il se trouve dans l’antre de mon mentor.
— Le repaire de ce personnage obscur ? Où se niche-t-il ?
— Je n’en ai aucune idée, je n’y ai jamais mis les pieds, désolé.
Agacée, elle décida d’alerter l’ensemble de la famille. Tous se rejoignirent en tenue de nuit dans la salle du trône. Merzhin, sous l’œil inquisiteur de Kelly, leur conta une nouvelle fois le déroulement des événements. Soucieuse, elle aussi se résolut à sonder le continuum. Ce fut également un échec.
Autoritaire, Kieran s’adressa au clan :
— Constituez un rond en unissant les mains, ensuite, partagez votre chakra entre Warren et moi. Vos pouvoirs cumulés devraient compenser l’absence d’Enlil et ainsi, nous permettre d’établir le Lien trinital. Cela nous octroiera la possibilité d’effectuer une recherche dans les dimensions célestes.
Darrius voyait où son fils voulait en venir, mais il ne comprenait pas par quel biais.
— Comment vas-tu pénétrer dans le Sultanat ?
— J’ai mon idée sur le sujet.
Ce dernier transmit à son petit frère la procédure par télépathie. Le groupe, malgré l’inquiétude, savait qu’il allait vivre un moment unique. Afin de former un cercle encore plus puissant, ils se positionnèrent du plus vieux au plus jeune. Andromède, Lyana, Darrius, Merzhin, Kelly, Anatole, Jonas ainsi que Kieran. Clôturant le périmètre, Warren se plaça entre son aïeul et son aîné.
Conformément aux instructions du cadet, ils scindèrent leurs énergies mystiques et les propagèrent de façon qu’elles soient partagées entre les garçons. La magie accumulée éclaira leurs regards de cette lueur dorée, caractérisant l’éveil de la force de la Trinité.
Maître de la totalité du pouvoir, le duo dématérialisa l’ensemble du clan, et, dans une nuée d’argent, ils réapparurent autour de l’étang aux eaux violines.
Obéissant aux ordres de Zargua, Farouh, camouflée par un sortilège, épiait le moment propice. Dès l’instant où les pensées des deux souverains effleurèrent la surface du bassin, elle en condamna l’entrée. Le bouclier fit ricocher leur tentative d’intrusion dans l’espace, projetant leur âme jusqu’à la reproduction du palais. Ils se retrouvèrent aux côtés d’Enlil, qui convulsait. Invisible, Red communiqua avec eux par le truchement de l’esprit :
— Enfin, vous êtes arrivés. Épaulez-le de la sorcellerie de la Trinité, jusqu’à ce que la fenêtre cosmique disparaisse. Ensuite, regagnez vos corps.
Pendant huit heures, concentrés sur leur objectif, aucun d’eux ne prononça un seul mot. Les mains tendues à l’identique des exemplaires chakratiques du prince, ils le soutenaient de leur puissance, tout en guettant l’occasion adéquat pour rompre le contact. Finalement, le soubresaut qu’ils attendaient se produisit, et aussitôt, ils résorbèrent l’afflux, puis Enlil réintégra son enveloppe physique. Le souffle généré par la manifestation expulsa leur corps astral sur Terre.
Le choc les dispersa aux quatre coins du palais et le fit violemment trembler sur ses fondations. Kieran, bien que chancelant, se releva et courut s’assurer que sa compagne, enceinte, ne s’était pas fait mal. Tel un preux chevalier, il souleva Lyana encore tremblante, puis la transporta jusqu’à leur appartement.
Quelques minutes après leur retour, l’aura d’Enlil imprégna à nouveau le palais. Histoire de parer à tout imprévu, ses frères apparurent dans sa chambre, les paumes chargées à bloc de magie, mais à leur grand étonnement, il sommeillait, paisiblement emmitouflé dans sa couverture. Warren s’approcha et passa lentement la main sur son buste :
— Il dormira à peu près quarante-huit heures, afin de récupérer. Qu’allons-nous faire en attendant ?
Kieran prit quelques secondes de réflexion, puis lâcha avec autorité :
— Le sortilège est créé ; donc, en prévision de son éveil, mettons la transition en place. Chacun d’entre vous a une tâche précise à accomplir. Pour ceux qui n’en ont pas, vous assistez les autres. Tout doit être prêt à son réveil. À ce rythme, autant puissant qu’il soit, il finira par y laisser la vie.
Après un temps de sommeil bien mérité, le clan Darck mit immédiatement Khalarie sur le pied de guerre.
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