Chapitre 39 – Les Junic dirigent le monde

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Jeudi 10 novembre 2022,

Anatole Vraimond et Jonas Darck éprouvaient inconsciemment les effets insidieux de leur connexion. Alors que le premier préférait les grasses matinées, quelle que soit l’urgence de la situation, le second adorait se lever à l’aube pour entretenir son corps, qu’il traitait comme un temple. Dès l’instant où Jonas ouvrit les yeux, ceux d’Anatole, bien malgré lui, s’ouvrirent aussi pour admirer le magnifique plafond, incrusté de pierres précieuses.

Sa chair, imprégnée d’une excitation qu’il n’avait plus ressentie depuis des années, l’empêcha de se rendormir. Le vieux gardien, grincheux, se réveilla et se dirigea vers la salle d’eau. Après une douche vivifiante, il endossa un costume noir et une chemise blanche. Il fit glisser ses cheveux argentés en arrière et les noua en une longue tresse, retenue par un petit nœud doré. Il s’aspergea d’effluve d’ananas et quitta ses appartements, empreint d’une confiance qu’il n’avait jamais éprouvée.

Après une séance de kung-fu contre un djinn supérieur qu’il avait convoqué, le fringant Jonas, assis, les jambes croisées au milieu de son matelas, dévorait tout ce qu’il avait pu transporter de la cuisine à sa chambre. Installé au centre de son lit, entouré d’emballages des friandises dont il s’était goinfré, Jonas s’interrogeait sur sa soudaine passion pour les sucreries, qu’il se souvenait détester. Puis, après avoir terminé son petit déjeuner gargantuesque, toujours avec cette pensée en tête, l’ancien monarque se dirigea vers la salle de bain pour une douche revigorante.

Il revêtit lui aussi un costume noir et une chemise blanche, fit glisser ses cheveux argentés en arrière et les attacha en une longue tresse, qu’il termina par un petit nœud or. Il se pulvérisa quelques gouttes d’effluve de cerise et sortit de sa chambre avec la sérénité d’un roi.

Ils franchirent le pas de la porte ensemble, se retrouvant confrontés à leur copie. Pour l’un, c’était une version plus moderne. Pour l’autre, une vision du futur. Les deux sorciers comprirent sur-le-champ qu’ils souffraient d’une répercussion due à la dissociation.

Alors qu’ils marchaient de concert vers la salle du trône, le jeune et le vieux grand-père soupirèrent de colère face à ce mimétisme incontrôlable.

Histoire de pouvoir tenir une réunion avec les ex-leaders humains, la veille, chacun d’eux, sans s’être consultés, avait transmis une note à l’intendance, ordonnant la préparation du repaire royal. Lorsqu’ils y arrivèrent, conformément à leurs instructions, l’endroit avait été agrandi. Il accueillait maintenant une multitude de canapés en tissu, imprimé du drapeau de chacune des nations annexées. Bien entendu, le tout était flanqué de tables basses, au-dessus desquelles flottaient des théières fumantes, prêtes à servir leurs décoctions d’épices enivrantes, dans de somptueux verres en porcelaine, dont l’anse semblait incrustée de joyaux. Le tout était accompagné d’un régal aux saveurs orientales, dont la fragrance alléchante du miel, mêlée à celle de la fleur d’oranger, parfumait la pièce.

Sous le regard interrogatif des membres de la cour et du personnel, les Junic donnaient leurs directives finales avec une complémentarité surnaturelle. Le manège du duo circula à travers tout le palais, attirant une foule de curieux.

N’ayant cure de ce qui se passait autour de lui, Jonas, d’une vague d’air, dispersa la masse agglutinée devant l’entrée. D’une pensée, Anatole leur claqua les immenses portes de bois blanc, au visage, ce qui étouffa, à leur grand soulagement, le tintamarre dérangeant qui commençait à s’élever.

Au milieu de l’estrade, Warren, Lyana et Nick apparurent subitement.

Warren lança d’un ton moqueur :

— Yo, les gars ! Vous revisitez Laurel et Hardy version sorcier ?

Les Junic, d’une voix froide et autoritaire, répondirent :

— 1, 2, 3… Plutôt que de gaspiller ton temps à dire n’importe quoi, tu devrais te rendre dans ta cachette et concocter le sérum sur lequel repose le projet.

« Scénarisation de l’action »

Warren, son beau-frère et sa belle-sœur, morts de rire, disparurent dans la dalle conduisant au laboratoire du fils de la Mère. Quelques secondes avant la fermeture du passage, deux trônes d’argent se matérialisèrent.

Jonas, dans un soupir de soulagement :

— Enfin, je désespérais de le récupérer. Apparemment, tu as aussi droit au tien. Celui à la pierre rosée centrale m’appartient.

Anatole, surpris, marcha en tremblant vers le siège royal serti du bijou jaune orangé. Ayant partagé la mémoire de son alter ego, il maîtrisait parfaitement l’artefact.

Les sorciers s’installèrent dignement, fermèrent les yeux et concentrèrent leur chakra. Les trônes reculèrent de quelques centimètres, projetant leurs éclats dans les hauteurs de la pièce. Une flamme dorée surgit, puis les engloutit ; les assises tournèrent sur elles-mêmes, confrontant leur énergie dans deux vortex, puis survint la collision, n’en formant plus qu’un seul.

Les grands-pères sentirent leurs pouvoirs mystiques s’unifier. La puissance de la sorcellerie de Jonas et d’Anatole étonnait déjà en soi. Mais conjuguées, elles égalaient la force d’Andromède lorsqu’elle était Gardienne de la magie. Au bout de quelques minutes, le phénomène s’estompa et les Trônes d’argent reprirent leur position initiale.

Plutôt que de faire venir les dirigeants déchus un à un, dans un synchronisme millimétré des doigts, les Junic exécutèrent un sort silencieux d’invocation.

Sur l’ensemble du sol de karistal émeraude, un hephtagrame d’une noirceur intense se dessina progressivement. Une fois achevé, il exhala une obscure fumée qui, lorsqu’elle se dissipa, montra un président, un monarque ou un Premier ministre, chacun assis sur un canapé. Une vague de protestation monta des personnages convoqués.

D’après les paroles que l’on pouvait entendre, ils n’étaient pas satisfaits d’être retenus en otage et estimaient qu’ils méritaient d’être inclus dans les plans de la Trinité. Jonas Darck et Anatole Vraimond, dont l’impatience commençait à devenir palpable, scellèrent les bouches de l’assemblée, rendue muette par magie. Enfin, le calme s’installa. Afin d’attirer l’intérêt de leurs invités, ils invoquèrent chacun une canne de bois. D’un coup sec, ils en cognèrent le sol de l’embout. Un bruit d’écho semblable à un gong résonna. Une fois qu’ils furent certains d’avoir capté l’attention de tous, ils se levèrent et, d’un seul bond, ils s’envolèrent dans les airs, s’élançant en un saut périlleux jambes tendues et atterrissant avec souplesse, au cœur de la pièce. Les regards se braquèrent sur eux.

Anatole se baissa dans un digne geste de salutation, tandis que Jonas se contenta de les contempler froidement. L’un frappa des mains pour activer les théières, l’autre tapa du pied, ce qui eut pour effet de tamiser la clarté aveuglante en un fin crépuscule. Un karistal rosé diffusa un faisceau illuminant les convives.

Anatole, le sourire aux lèvres, le ton avenant :

— Mes très chers humains…

Jonas, glacial :

— … Nous vous avons réuni afin de vous donner les directives nécessaires à votre contribution dans l’œuvre de nos Princes.

Anatole, toujours guilleret :

— Qui… Ne l’omettons pas, auraient tout aussi bien pu vous laisser mourir.

Jonas, sec :

— Si vous n’obéissez pas, ils peuvent toujours changer d’idée et vous abandonner à votre triste sort.

Anatole et Jonas, le plus sérieusement du monde

— 1… 2… 3… Dans un premier temps, vous réunirez vos forces armées et judiciaires sous une bannière unique, celle du clan Darck. Ne vous inquiétez pas, vous serez sous la supervision des meilleurs de nos gens. Nos excellents amis du clan Lagerfeld vous fourniront les uniformes nécessaires. Toute trace de votre appartenance à votre ancien territoire doit être détruite.

« Changement de décor »

Ils claquèrent des doigts et une représentation holographique de la planète à l’échelle, mais très réaliste dans sa taille imposante, apparue.

Anatole, professoral :

— Chacun des points bleus désigne une prison. Nous enverrons les nôtres déterminer qui est coupable ou pas. Ceux ayant commis meurtres, viols ou tout acte touchant sciemment à l’intégrité physique du corps ou de l’âme seront aussitôt exécutés. Les criminels restants obtiendront une grâce.

Jonas, présidentiel :

— Les points rouges correspondent aux zones où la population doit être évacuée et rapatriée à l’endroit des emplacements marqués en vert. Pour ceux qui refuseront, ne vous prenez pas la tête. Ils mourront lors de la libération du virus.

Anatole, sur le même ton :

— Nous exigeons également la fermeture de toutes les institutions financières. Assurez-vous dans les jours à venir que chacun des habitants de ce monde puisse vivre décemment.

Jonas, idem :

— Pour le moment, vous jouez le rôle de représentants de la Trinité, leur parole est la vôtre.

Anatole, appuyant ses propos, tel un avertissement :

— Adoptez ce gage de confiance comme un test. Ceux qui accompliront tout ce qu’ils peuvent pour concrétiser l’Utopie obtiendront définitivement la fonction de Légat royal. Les autres, bien sûr, devront démissionner.

Jonas,

— Voici vos uniformes.

« Exécution du sortilège »

Les Junic aux mains tendues emplirent la salle du trône de leur chakra. La volute créée s’éleva au-dessus de la masse pour se fendre en centaines de filaments qui, d’une simple caresse, transformèrent les vêtements des dignitaires en longues toges noires, accompagnées de capes bleu foncé. Sur leur poitrine figurait une broche d’argent formant un D.

Anatole, le plus sérieusement du monde :

— Demain, vous serez conduits aux territoires sous votre gouvernance. Ils ne possèdent aucun nom, aucune limite. Désormais, chacun est libre de sillonner le globe sans avoir à montrer un visa ou un passeport.

Jonas, sur le même ton que son complice :  

— Toujours sous la supervision de nos sorciers, après l’allocution télévisée de nos princes, l’armée impériale devra remettre à chacun des Terriens un sérum, fourni avec ses instructions.

Jonas et Anatole, synchrones :

— Pour le reste, cela dépend à présent de notre clan. Tout doit être prêt pour la Communion d’allégeance qui se déroulera dans une semaine.

« Fin de la réunion »

Ils rendirent la faculté de la parole à leurs otages, devenus leurs représentants qui, pour la première fois de leur vie, ne se plaignirent pas.

C’était assurément grâce au thé succulent infusé d’un sort d’acceptation, combiné au charme de soumission qui s’était glissé dans le miel des pâtisseries.

Jonas et Anatole claquèrent des doigts et traversèrent simultanément le vortex qu’ils avaient invoqué. 

Tomber de Rideau

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