Chapitre 41 – Les visiteurs
Ce matin-là, en te réveillant, tu t’installes mollement sur ton canapé, puis tu saisis machinalement la télécommande avalée par l’un des coussins. Le pouce sur le bouton rouge, tu allumes la télé. Enfin, tu t’appliques à zapper, encore et encore. Les chaînes défilent sur les mêmes niaiseries quotidiennes, qui sont parvenues à te lasser. Irrité, blasé et fatigué de ta journée qui n’a pas commencé, tu finis sur l’une des stations d’infos nationales. Pendant plus d’une demi-heure, tu fixes les news express qui se succèdent au bas de ton écran. Une fois au fait des âneries françaises et mondiales, tu te résous à trouver de quoi te sustenter dans ta cuisine.
L’eau est bouillante, la sauce tomate mijote. Ta succulente préparation dégage une alléchante odeur de basilic. À l’aide de la cuillère en bois, tu t’apprêtes à goûter. Soudain, ton geste s’arrête en plein mouvement, à l’écoute d’un flash spécial qui attire ton attention :
« Très chers téléspectateurs,
L’heure est grave ! Nous sommes le dimanche 13 novembre 2022, il est 13 h 27. Voici en direct les images de cercles lumineux apparus au-dessus des hôpitaux. Le phénomène est loin d’être isolé. Selon nos sources, ceci se déroule à l’échelle planétaire.
Sommes-nous attaqués par des extraterrestres ? D’où viennent ces étranges manifestations ? Des lézards déguisés en humains vont-ils nous conquérir ? #Marsattack. »
Fasciné, tu en oublies la popote, le regard bloqué sur l’écran. Tu es loin de te douter que la théorie du présentateur est la bonne et que l’envahisseur est présent depuis la nuit des temps. Tu digères à peine l’annonce qu’une autre news tombe.
« Très chers téléspectateurs,
Le ministère de la Transition écologique nous a avisés que le taux de pollution approchait de zéro. Selon nos sources, la couche d’ozone serait en train de se résorber. Que se passe-t-il ? Si l’un d’entre vous détient des informations : #Greenpeace. »
Après cette suite de nouvelles, tu ne peux plus décrocher. Tout ton être, comme celui des sept autres milliards d’humains, vibre de curiosité. Tu descends dans la rue afin d’en discuter avec quelques badauds, tout aussi agités que toi.
Le premier truc qui te frappe est le silence ambiant qui règne en maître. Quelque chose manque, sans que tu puisses identifier ce que c’est. Ton voisin, d’habitude si bavard, passe à côté de toi sans dire un mot. Interloqué, tu l’interpelles :
— Hey, Monsieur du Con, vous allez bien ?
— Non, ça ne va pas non ! Bordel de Dieu, t’as pas la télévision ? Tous les engins motorisés de la planète se sont évaporés dans la nuit. Ma berline à cinquante mille balles, sortie de deux jours du concessionnaire, a disparu de mon garage.
— Quoi ? Impossible !
— Si je t’assure, ils viennent de l’annoncer. Bateaux, avions, voitures, etc. Plus rien ! Makach wellou…
Sans prendre la peine de lui dire au revoir, tu files vérifier l’endroit où tu étais garé. Puis tout à coup, tu réalises… Il manque le brouhaha de la circulation ! Effaré par la situation, tu remontes chez toi à toutes jambes. Aujourd’hui, BFM t’intéresse et les nouvelles se succèdent.
Une vidéo publiée sur YouTube, relayée par toutes les chaînes, confirme l’exécution de l’ensemble des chefs d’organisations terroristes recherchés par les différents gouvernements qui, bizarrement, n’ont fait aucune allocution concernant l’invasion. Tout au long de ta journée, d’autres miracles sont annoncés…
Tu es chez toi, derrière ta baie vitrée. Les rues sont désertes, le quartier est silencieux, le son des avions en arrive à te manquer. Le bruit des moteurs sous ta fenêtre t’apaiserait. Les lignes téléphoniques fonctionnent encore ; heureusement d’ailleurs, car quand tu n’es pas scotché sur internet à échanger sur les théories les plus folles les unes que les autres avec quelques paranos, tu contactes tes proches pour te rassurer.
Il n’y a personne pour constater que vous devriez céder à la peur. Tu ne t’étonnes même pas qu’il n’y ait aucune crise de panique dans les rues. Pourtant, Wall Street et Compagnie ont définitivement tiré le rideau. L’argent n’a plus aucune valeur.
Malgré tout ça, toi et tes congénères attendez gentiment le déroulement des faits. On est loin des scénarios catastrophes hollywoodiens, non ?
Soudain, apparaissent sur ton moniteur trois gravures de mode enveloppées d’une éblouissante aura dorée. Chacune est installée sur un trône d’or, posé au milieu d’un désert. Leur visage, presque semblables, est marqué par quelques subtilités permettant de les différencier.
Leur regard, aigu et pénétrant, te donnent l’impression qu’ils t’observent à travers l’écran. Puis l’image change lentement de plan pour glisser sur une étendue de sable qui s’étend à perte de vue. Tu t’interroges sur tes facultés mentales lorsque, là où il n’y avait rien l’instant d’avant, apparaît une immense cité, entourée d’un magnifique palais d’une blancheur immaculée.
Tu te crois au début de la bande-annonce du programme de ce soir. Mais lorsque la scène se fige sur un attroupement de personnes, tu restes bouche bée en identifiant l’ensemble des leaders de la planète. Comme s’ils étaient connectés l’un à l’autre, les trois mecs mystérieux, d’une seule et même voix, prennent la parole :
« Humains,
Nous sommes la Trinité du clan Darck, Rois de Khalarie, et à compter de ce jour, Empereurs du Monde. Sachez que le règne de l’homme a déjà pris fin. Les chefs de vos gouvernements ici présents ont signé la reddition de vos pays. Les frontières et les nationalités n’existent plus et dorénavant, vous êtes tous des Khal.
Tout ce à quoi vous avez assisté ces dernières heures était une démonstration de ce que nous allons vous apporter.
Nous conquérons la Terre, non pour vous soumettre, mais afin de la protéger.
L’un des nôtres a jeté un maléfice de mort instantanée, destinée à vous exterminer d’un seul coup.
Dans l’optique de vous épargner cette fin atroce, nous vous offrons la possibilité d’avoir accès à la magie. Mais avant cela, rejoignez les cercles lumineux. Ils possèdent la faculté de guérir n’importe quelles maladies ou afflictions dont vous souffrez.
Pour le reste du protocole, vos gouvernements vous fourniront la marche à suivre. En second lieu, ralliez les différents sites internet d’accompagnement mis à votre disposition. Les professeurs en ligne vous apporteront les bases nécessaires à la gestion de vos futurs pouvoirs.
Vos chefs d’État ont accepté toutes nos conditions, jugeant notre demande pertinente.
À partir de ce jour, seule notre parole est force de loi.
Prochainement, nous procéderons à la Communion d’allégeance. Cette cérémonie ancestrale fera de vous nos sujets.
Vous êtes désormais sous la protection de la Trinité des Darck et de leur clan. »
Le film n’en est plus un. Tu sais à cet instant que tu vas être témoin d’un changement majeur. Les gars disparaissent. Tu es scotché ! Des millions de questions se bousculent dans ta tête. Tout à coup, le brouhaha recommence sous ta fenêtre. Tu enfiles tes claquettes et tu descends dans la rue afin de rejoindre le rassemblement improvisé. Le bruit se révèle être une mélodie délicieuse.
Ce que le monde a pris pour une catastrophe représente un véritable bienfait.
En effet, qui n’a jamais rêvé de pouvoir utiliser la magie ?
**
Les Darck étant tous inactifs, le Sage en profita pour effectuer un rapide sondage de l’Univers afin de communiquer avec la Mère, dont la trace était encore indétectable, ce qui l’inquiétait ! Il sentait le dénouement approcher et comme tu le sais, sa présence est essentielle à la victoire. Soudain, ses sens divins furent alertés par une intrusion maléfique.
Le Sage se mit immédiatement en quête du phénomène, qui le conduisit au cœur du cratère de l’Etna. Pour la seconde fois de son interminable existence, le Céleste assista à la libération du Néant !
Toujours invisible dans un coin, il observa l’environnement avec attention, qui se composait d’un nombre écrasant de karistites transparentes, encerclant une mare de lave. Au-dessus, une sorte d’œuf gigantesque lévitait. Sa coquille translucide, striée de veines violettes palpitantes, laissait voir la membrane préservant la chose qu’il renfermait.
Un frisson de terreur le parcourut lorsqu’une voix désincarnée résonna dans l’immensité du volcan.
— Ma précieuse enfant, l’heure de ma renaissance est venue.
Puis un vortex de fumée noire se manifesta et une femme en émergea. Son visage, qui était dissimulé et ses pouvoirs dénaturés ne lui permirent pas de l’identifier formellement. La sorcière sortit de sa poche une petite fiole emplie d’une poudre brunâtre, qu’il ne connaissait que trop bien. Elle vida la poussière d’os de bébé dans l’air et, dans le même temps, la figea dans l’atmosphère. Ensuite, à l’instant où la harpe de karistal apparut devant elle pour la camoufler, le Sage sut qu’il assistait à une démonstration de magie noire.
Ses mains commencèrent à parcourir les cordes de l’instrument avec lenteur, laissant s’échapper une musique empreinte d’une souffrance bouleversante. Soudain, le rythme s’accéléra subitement et les fines cordes devinrent des filaments de rasoirs. La chair de l’inconnue s’écorchait à chacune des cordes qu’elle faisait vibrer. Son sang, en coulant, vint se coller sur la poussière d’ossements de nouveau-nés, toujours en suspension dans l’air. Pendant des heures, elle joua ainsi, sans s’interrompre ni se plaindre de cette ode à la mort, qui hypnotisa l’espion. Puis d’un coup, la mélodie cessa, ainsi que la haine et la soif de destruction qu’elle avait réveillée en lui.
Ignorant ses mains en charpie, elle se leva, puis se positionna au bord du précipice et tendit ses paumes. S’en expulsa un chakra charbon qui, en à peine quelques minutes, plongea l’intérieur de l’Etna dans un brouillard opaque. Avec toute la rage et la puissance qui l’habitait, elle entama une psalmodie :
« Père de l’Univers, auprès de moi, je te convoque. »
Toujours dans les airs, les particules de poussière sanglantes se rassemblèrent en un nuage et vinrent se placer à côté de l’œuf et s’agrégèrent pour devenir sa copie conforme. Les veines violine des vaisseaux s’unirent et s’allongèrent pour former une passerelle entre les deux œufs. Puis, une fois complètement reliés, la fumée obscure stagnante autour d’eux fut aspirée par l’œuf nouvellement formé…
« Mon plasma et ma chair à présent te nourrissent. »
L’émanation contenue dans le nouvel œuf se transféra alors dans l’original. Une faille s’ouvrit sur ce que le Sage reconnut comme étant Paramisse. À l’arrière-plan, il discerna ce qu’il restait de l’Arbre de la Vie, devant lequel se découpait la silhouette d’une âme. Lorsqu’il traversa, Sage sentit la Création dans son ensemble frémir de dégoût.
« Âme du Néant ! Rejoins ton énergie et prends possession de cet être impur que je t’offre. »
À l’instant où l’esprit et l’œuf fusionnèrent, une violente explosion se produisit. En lévitation se trouvait maintenant un Darck d’ascendance royale. Le regard or empli de puissance et les traits de son visage rappelaient ceux d’Andromède. Ses longs cheveux noirs brillaient du même éclat que les natifs du clan.
D’un claquement de doigts, le gamin qui n’en était pas un se retrouva vêtu d’un costume haute couture le rendant encore plus effrayant. Là, le céleste n’eut plus aucun doute : le Néant avait pris le corps de Drew Darck Néotolc, fils de Suridar et d’Alanine.
L’enfant du mal finit par rallier sa disciple :
— Ma très chère, merci d’avoir réussi là où tant d’autres ont échoué avant toi. Je me souviens encore du moment où je t’ai découverte, pleurant sur Paramisse. Jamais je n’ai identifié qui t’avait abandonné. En revanche, j’ai immédiatement senti ton lien du sang avec la magnifique Andromède. Grâce à toi, je vais enfin recouvrer ma quiétude en annihilant l’Univers.
— Je suis heureuse d’être celle qui vous permettra d’accomplir vos sombres projets.
— Ce corps est bien plus confortable que celui du jeune Hitler. Tu as eu une excellente idée en extirpant l’âme innocente de cette enveloppe charnelle, et d’y avoir distillé mon chakra. La transition magique est sur le point d’avoir lieu, je ressens la magie de Paramisse bouillir dans les entrailles de cette planète. Combien de mes monstres sont-ils parés à voir le jour ?
— Nous avons réussi à inséminer neuf millions de vos créations.
— Tout est donc prêt pour mes desseins, cela me satisfait, ma très chère enfant. Viens chercher ta récompense.
Avec humilité, la sorcière s’approcha et s’agenouilla devant le petit. Elle retira le voile qui recouvrait son visage sans peau. Elle s’attendait sûrement à ce qu’il la guérisse. Au lieu de ça, le garçon plongea son poing dans la poitrine de sa disciple, puis arracha son cœur aussi facilement que l’on cueille une pomme.
Puis, de l’index, il expédia le corps dans la lave. Il jeta ensuite l’organe, en tentant de le faire ricocher, mais au contact du magma, il s’enflamma. Le jeune homme lâcha un sourire de satisfaction. Puis le Sage entendit une voix résonner dans sa tête :
— Je sais précisément où tu te trouves, piètre agent de la Mère. D’ailleurs, tu étais présent lors de la visite de Néotolc. Ne t’inquiète pas, je ne vais pas t’abattre maintenant. Tu as des tâches à accomplir. Le plus drôle dans toute cette situation, c’est que si les trois princes n’étaient pas en train de sauver les humains, ils auraient eu une chance de me vaincre. Non… il y a encore une chose plus divertissante ! Tu n’entrevois pas ?
Tétanisé, l’espion démasqué se retrouvait dans l’incapacité de réfléchir. Réussissant à se ressaisir, il réagit le plus sereinement possible :
— Je ne suis pas du genre à jouer aux devinettes avec le mal et si vous n’envisagez pas de me tuer, accordez-moi de prendre congé.
— La réponse, c’est que tu ne peux même pas les prévenir. Tu assisteras impuissant à la concrétisation de mon utopie. Reste là, je m’envole rejoindre Suridar pour goûter les plaisirs de ce monde une dernière fois avant de l’anéantir.
Puis il disparut sur l’écho d’un rire à glacer le chakra.
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