Chapitre 46 – Avènement

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Grimoire des prophéties de lois. Kelly Darck. Continuum temporel.

Seule, allongée au milieu de la blancheur aveuglante, le corps couvert de brûlures, Kelly observait son environnement, tout en cherchant à se remémorer les derniers événements.

— Allô ? Y a quelqu’un ? Hé oh ! s’époumona-t-elle.

Durant ce qui lui parut une éternité, l’écho de son cri se répercuta dans ce qu’elle identifia comme étant une sorte de limbe dimensionnel. Enfin, au loin, elle crut distinguer une silhouette. À sa grande stupéfaction, l’individu s’évapora sans qu’aucune onde chakratique ne soit générée. Bien décidée à retourner au front, Kelly se leva en grimaçant et se rendit, un peu chancelante, à l’endroit où la mystérieuse ombre s’était éclipsée.

Elle regarda partout, posa sa paume sur le sol pour essayer de ressentir le reste énergétique de la personne puis, ne trouvant rien, elle s’assit en tailleur, se vida l’esprit et le laissa voguer à la recherche d’une éventuelle sortie. Il ne lui fallut pas longtemps pour repérer la serrure. Son âme réintégra sa chair, elle se releva et, la main tendue droit devant elle, dit d’une voix forte :

Veritas.

Son énergie mystique dorée imprégna l’espace, brisant non sans difficulté les protections dissimulant une alcôve de karistal, inondée de chakra argenté. Reconnaissant immédiatement le travail méticuleux de son benjamin et admirative de cette magie constructive qu’elle ne maîtrisait pas, Kelly prit soin de l’observer sous toutes les coutures avant de la franchir.

Elle fut d’emblée aspirée et recrachée avec brutalité dans l’hephtagrame de la villa Siriki. Reprenant ses esprits, elle eut du mal à se redresser, tant la pièce tanguait.

— Qu’est-ce que ça veut dire ? s’énerva-t-elle, tout en prenant la direction de l’étage.

Elle s’apprêtait à gravir les marches de l’escalier qui lui faisait face, quand une superbe blonde aux yeux pourpre apparut. Emportée par son élan, Kelly passa au travers.

— Bonjour, Votre Altesse ! C’est réellement un plaisir de vous revoir.

Kelly identifia aussitôt le timbre d’Alexa… Elle s’arrêta interdite et se retourna, avant de lui demander avec stupeur :

— Alexa ?… Mais… Depuis quand possèdes-tu un corps ?

— La magie du Roi Warren me permet désormais de projeter une image. Je suis là pour vous guider, déclara l’Intelligence magificielle en exécutant une révérence.

— Me guider ? Tu peux développer ?

— Vous ne trouvez pas curieux qu’un être organique tel que vous puisse être stocké dans un programme magicologique ?

— Warren accomplit sans cesse des merveilles. Viens-en au fait…

— Lorsque le Grimoire des prophéties de lois parviendra au terme de ce voyage, je prendrai vie. Devinez-vous qui j’incarnerai ?

Kelly réfléchit quelques instants, puis lâcha :

— Zargua El Gamma ?

— Tout à fait !

— Donc, en plus de tout ce que nous sommes, nous avons un patrimoine génétique technologique ? Même pour moi, ça devient trop complexe.

D’un claquement de doigts, Alexa fit apparaître une collation frugale dans la salle aux vitraux. Kelly prit soin de traiter ses plaies à l’aide de sa magie et se vêtit d’un sublime tailleur-pantalon griffé Lagerfeld, qu’elle assortit à une parure de rubis. Sa longue natte de guerrière se transforma en un chignon strict. Avec la virtuosité d’un mannequin, un pas après l’autre, Kelly rejoignit Alexa et, d’un regard sévère, lui intima l’ordre de lui exposer la situation.

— Commençons par le contexte de chacun : Enlil, Nick et Warren ont été absorbés, tout comme vous et Darrius, par le vortex. Votre aîné et votre benjamin incarneront Red et Green Hood. Nick sera Iblisse, seigneur des Djinns.

— Et Darrius ? demanda-t-elle, coupant Alexa dans son élan.

— Votre époux, tout comme vous, réside dans la villa, et ses caractéristiques ont été téléchargées dans un autre chapitre. Il deviendra le Sage.

— Je sens une perturbation du flux temporel ! Est-il nécessaire que j’intervienne ?

— Non, surtout pas, Votre Altesse, ceci est l’intention du Roi Warren ! Chaque seconde qui passe équivaut à quelques millénaires. C’est lui le concepteur du Grimoire des prophéties de lois.

— Et Kieran ? requit la Gardienne, inquiète.

— Je n’en sais rien ! Cette partie de l’épopée n’est pas référencée dans la base de données de l’Univers. À l’instant où nous discutons, le recueil voyage vers le début des temps à la rencontre du Néant, imprimant sur son sillage l’histoire de la Création.

— Nous sommes dans le bouquin ! Kelly était médusée. Voilà pourquoi je n’ai jamais réussi à localiser la demeure léguée par mes aïeux : elle n’existe dans aucune dimension. Tout ce temps, nous avons vécu à l’intérieur de l’ouvrage.

— Pas tout à fait. Lorsque le Big bang se produira, la villa sera libérée et confiée à vos ancêtres afin qu’elle vous revienne.

— Je n’ai aucun souvenir de mon arrivée. Pourquoi ?

— La déflagration a été puissante, mais il semblerait que votre commotion cérébrale soit en train de se résorber.

— D’accord ! Par conséquent, la fin de l’avenir écrit débutait dans le futur, à l’instant où le Grimoire a été brandi contre l’ennemi. La boucle est bouclée. À nous de vaincre pour bénéficier du libre arbitre que l’on pensait avoir.

Soudain, tout s’éclaira. À l’instar d’Enlil, Kelly avait relié les points et appréhendé le problème dans son ensemble.

— Je suis donc la Mère, Créatrice de l’Univers, lâcha-t-elle. La vision d’Andromède concernant Merzhin, c’était réellement moi. Je comprends tout désormais.

Une fois qu’elle eut saisi tous les tenants et les aboutissants, la Reine enregistra un message holographique, qu’elle se destinait. Tout comme son époux et ses fils, elle fut ensuite mise dans un cocon de stase, voguant à la rencontre de leur grandiose destinée.

**

Après treize milliards d’années d’inertie, passées à voyager depuis le futur vers le commencement des temps, Alexa activa « l’Éveil partiel ». Conformément aux directives reçues, l’Intelligence magificielle se téléchargea au chapitre premier, afin de faire naître la Créatrice en stase.

Le cocon magique laiteux qui la protégeait s’estompa. Ses paupières s’ouvrirent sur de pétillants iris d’or puis, délicatement, la déesse se redressa. L’ourlet de sa robe étincelante papillonna, révélant ses petits pieds délicats. Balayant le lieu du regard, elle prit peu à peu conscience de son environnement. Les vitraux notamment, lui parurent étrangement familiers, attisant sa curiosité : le pas prudent, elle s’avança vers eux.

Elle y découvrit l’histoire d’une princesse nommée Ishtar Siriki, quittant les siens pour veiller sur le luxuriant Jardin d’Éden. Sans se souvenir d’où elle tenait ces précisions, elle savait qu’elle connaissait cette légende et son importance. Soudain, une question primordiale surgit :

— Qui suis-je ?

Cette interrogation élémentaire, énoncée à haute voix, déclencha le processus de la Création. L’écho de son timbre mélodieux traversa l’ouvrage, éveillant les concepts stockés dans son codex. Tandis que « l’Avenir rédigé » se transcrivait dans la trame du Continuum, un hologramme apparut. Silencieuse, elle contempla son double avec attention, vêtu d’un ravissant tailleur-pantalon bordeaux, signé Lagerfeld.

— Par quel miracle puis-je reconnaître la griffe de cet ensemble ?

À son exclamation, la réplique statique entama son monologue :

Ton amnésie partielle est tout à fait normale ; pour préserver ton identité, tout souvenir personnel t’a été retiré. Durant ces millénaires de sommeil, tu as assimilé la totalité du savoir de l’Univers.

Les Écrits te guideront dans ta mission. Mais tu ne pourras infliger de tes mains le coup de grâce à l’ennemi, car il sera ton pendant. Souviens-toi que celui qui met à mort le Néant le devient.

Puis l’hologramme disparut, en même temps que d’intenses secousses déséquilibrèrent la Déesse, tandis qu’une voix féminine et suave emplit la galerie aux vitraux :

Libérations des écrits dans : cinq, quatre, trois, deux, un…

**

Aux prémices, l’espace constituait une toile informe et vide ; une entité ténébreuse inconsciente de son existence. En son sein, générée par l’avenir, une brèche recracha soudain un objet dérisoire, qui blessa tant le Néant qu’il sortit de son inertie. Courroucé, il riposta immédiatement.

La confrontation entre sa lugubre magie et la délivrance de la Mère engendra une effroyable explosion, d’où émergea l’Univers. Le premier concept à s’échapper fut le Temps : s’infusant, pénétrant, violant l’intimité de la sombre Bête qui, subissant mille et un maux, libéra la Haine. Une guerre de territoires débuta alors entre le Néant et la divinité.

Le premier jour, l’obscure créature captura les cieux, qui se teintèrent d’une infinie noirceur : ainsi naquit Nuit. Luttant avec force et détermination, la Créatrice souffla l’espoir au cœur des ténèbres, implantant la lueur des étoiles, phare perçant l’horreur céleste, d’où surgit Soleil. Affaibli par la pureté greffée, Néant battit en retraite.

Puis, le deuxième jour arriva. La Déesse étendit les bras, relâchant son chakra. À sa gauche émergèrent les systèmes planétaires ; à sa droite, les nébuleuses. D’une pensée, elle poussa avec vivacité les globes au travers des amas. Son regard chakratique s’éveilla et l’or de ses yeux se propagea à sa chair ; lumineuse au cœur de la voûte stellaire, elle exhalait de puissantes vagues d’énergie mystique. D’un lent mouvement, ses paumes se rejoignirent et, dans un brouhaha tonitruant, d’innombrables vortex multicolores apparurent. Chacun d’eux avala une galaxie, la positionnant à l’endroit prévu par les écrits. Ainsi naquit Cosmos.

Au troisième jour, les âmes furent conçues par milliers, puis envoyées au cœur des corps cosmiques dispersés dans l’univers. Puis survint la Vie qui, à son tour, engendrerait et perpétuerait le cycle de l’existence éternelle.

Dans le même temps, l’ennemi imagina puis créa d’immondes bêtes difformes, sombres et gluantes, dépourvues d’intelligence, façonnées pour détruire. La vénération qu’elles portaient à leur Maître intensifia son pouvoir.

Au quatrième jour, il lança sa cruelle engeance sur la déesse, qui se sauva de justesse.

La Mère parut alors au cœur du Sultanat céleste, royaume de ses divinités liées à elle par serment. L’illustre visiteuse découvrit qu’elle se tenait sur un astéroïde figé. Chacune des galaxies fondées se dessinait au loin, entourant le vaste domaine. Au moment où elle pivota, ses prunelles ébahies se posèrent sur le gigantesque cumulonimbus d’une blancheur rayonnante où trônait le palais Palladium, ouvragé d’or et d’onyx.

Une lueur aveuglante s’en échappa. Se rapprochant à une vitesse ahurissante, l’éclat épousa la forme d’un cyclone de fumée bleu foncé. L’immense tourbillon atterrit en silence et un homme sculptural s’en extirpa, arborant une brillante chevelure d’argent. Son regard chakratique s’illumina, flamboyant d’un cobalt envoûtant.

La Déesse sursauta lorsqu’une voix résonna dans sa tête :

« Bienvenue, Sainte-Mère, Créatrice de l’Univers. »

D’instinct, elle recula. L’individu dégageait une aura perfide, semblable à celle de l’ennemi. Du petit doigt, la déesse exerça une pression telle sur son interlocuteur qu’il fut obligé de courber l’échine, la joue incrustée dans la roche stellaire. Impitoyable, elle s’introduisit, pénétra, s’enfonça au plus profond de ses pensées en quête d’informations. Mais elle se confronta bientôt à un sortilège protecteur qui imposa à son esprit l’image d’un sorcier, dissimulé sous un capuchon rouge :

« Nous nous doutions que tu tenterais de feuilleter sa mémoire et nous ne pouvions prendre le risque que tu découvres ta véritable identité. Iblisse t’est lié par un engagement plus puissant que son allégeance d’ascendance. »

Si tu te méfies de ma parole, te révéler que je suis ton fils devrait te rassurer sur mes intentions. En attendant que l’on se retrouve, accomplis les faits tels qu’ils sont inscrits dans les Prophéties de lois.

Le bonheur ressenti à l’apparition de cette vision la convainquit.

Au cinquième jour, depuis la plus haute tour du palais Palladium, la magie fut insufflée aux galaxies.

Le sixième jour, conformément aux écrits sacrés, le Seigneur des Djinns et ses sujets massacrèrent la marmaille de Néant, trop occupée à s’entre-dévorer pour répliquer. Désormais Maîtresse du royaume, elle y distilla l’Amour.

Au septième jour, l’Univers fut frappé de son sceau divin et elle le fit sien… Puis, submergée par l’effort, la Mère perdit connaissance. Affaibli, humilié et meurtri, Néant s’échappa de nouveau. Bien décidée cependant à reprendre possession de son territoire, la Créature mortifère se réfugia sur la planète Paramisse, guettant le moment propice pour obtenir réparation.

Enveloppée d’un cocon d’énergie laiteux, la Créatrice planait, portée par la brise sidérale. Soudain, un individu flamboyant, doté d’un chakra rubis et dont le regard écarlate semblait le dépositaire de la Sagesse suprême, jaillit à ses côtés. Il posa un tendre baiser sur les fines lèvres rosées de la Déesse et, chevaleresque, l’installa contre son buste saillant.

Le premier coup était joué, la partie d’échecs était lancée, la fin de « l’Avenir Écrit » était en marche. Ainsi, la boucle était bouclée.

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