Matin du 11 décembre 

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Je suis partie. Enfin. Ici, je n'avais plus d'avenir.

Quand mon regard partait dans des fantasmes de disparition, tu le sentais. Je me suis souvent demandé si tu avais un sixième sens, ou si c’était simplement le fait que tu me connaissais très bien. Dans tous les cas, quand mon regard se brisait, tu me répétais : « S'il t’arrivait quelque chose… On serait dévastés ».

Trouvant la vie agressive de par sa lumière, ses bruits et la pression des conventions sociales entre autres, le fantasme de la mort était comme une échappatoire, une renaissance ou un sommeil paisible dont on ne revenait pas. Cependant, la mort des autres… de mes ami·e·s… non je ne pouvais pas y penser. Leur manque me détruirait. Bien qu’il m’ait fallu du temps pour l’admettre, je les aimais. Une part de moi ne pouvait pas vivre sans eux, un sentiment que je pense sincèrement réciproque. Par conséquent, je ne pouvais pas leur faire vivre ce que je redoutais. Donc j’ai serré les dents et je suis restée, en enfouissant pour de bon mon envie d’explosion. Enfin, je le pensais.

Bref, je te peins une infime partie de mon intérieur aussi complexe que le tien pour te raconter ce qu'il s’est réellement passé le 11 décembre 2019. Je vais essayer d’être claire. Je ne te demande pas de me croire, je souhaite simplement que tu lises ma vérité.

Le matin du 11 décembre 2019, à six heures je suis arrachée de mon sommeil par le froid. Comme chaque matin j’allume mon chauffage. Emmitouflée dans ma couette j’attends un peu que l’air de mon vingt mètres carrés se réchauffe. Difficilement, je sors de mon cocon. Toujours glacée, je m’habille vite. Un gros pull, un collant sous mon pantalon et de grosses chaussettes.

Malgré mon accoutrement, je suis toujours glacée. Dehors, le ciel est magnifique. Le bleu de la nuit rencontre le soleil orange des matins d’hiver. Je bois mon thé à toute vitesse. Je me brûle la langue, la gorge, mais j’ai toujours froid.

Je ne pense pas à grand chose ce matin-là. Comme chaque matin, je n’ai pas envie d’aller travailler.Ça me ronge de l'interieur, mais je feins l'ignorance car d’après les gens, l’envie n’est que facultative. Il est normal de ne pas avoir envie de faire quelque chose mais de se forcer à la tâche malgré tout. Ça me donne des envies de meurtre.

J'ai froid, je vais pour me brosser les dents. Face au miroir de la salle de bain, je regarde mon double dans les yeux. Aucune fatigue ne trouble son regard. Ses joues rosées et ses cheveux brillants sont synonymes d’une bonne santé. J’ai froid. Dentifrice sur brosse à dents. Brossage express.

J’ai froid. Je suis prête en avance, je mets mon manteau. J’ai froid. Dernier check dans le miroir de ma porte d'entrée.

J'ai... Froid.

Soudainement, je suis prise de violents vertiges et mes jambes deviennent coton. J’ai froid. J’ai froid. Je plonge dans les yeux de mon reflet et tombe violemment. Dans ma chute, je jure que mon reflet me regarde m’écrouler au sol. Joue contre le parquet, je perds le contrôle, j’ai tellement froid. Ce n’est pas le froid habituel qui te fouette les joues ou qui s’imprègne sur ta peau jusqu’à te faire grelotter les soirs d'hiver. Ce froid, vient de l’intérieur. Il ronge les parois internes de mon corps. Comme un froid accumulé dont on ne peut plus se réchauffer. En position foetale, je tente de ramper jusqu’à mon chauffage. Mon reflet me regarde de manière paisible. Je suis terrorisée, c’est MON image, je suis censée être sa maîtresse. Pourquoi est-elle toujours debout avec ses joues roses, ses cheveux brillants, ses yeux pétillants de bonheur à en crever. Il me terrifie. Je le déteste. Par protection je ferme les yeux. Ce n’est qu’un rêve, ça ne peut pas être vrai.

Enfin j’arrive jusqu’au chauffage. Me plaque à lui. Je décide d’affronter ce que je pensais être une illusion. J’ouvre les yeux. Je suis prise de nausée et le froid, comme des milliard d’aiguilles, me transpercent de l’intérieur. Je vois une intruse face au miroir. Elle est debout. Cette personne c’est moi. Elle a l’air si paisible. Elle met ses chaussures sans broncher. Le reflet du miroir exécute les mêmes gestes. Tout est normal. Tout se déroule comme chaque matin. Mais pourtant je suis là, en boule dans le coin de mon vingt mètres carré, à côté du chauffage. J’en ai oublié le froid. Je n’ose pas faire de bruit. Que se passerait-il si elle me repérait ? Enfin, si je me voyais…

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