1/7

3 minutes de lecture

— Arrête de pleurer, Einrick, implora Tess.

Un homme se tenait recroquevillé sur le siège du poste de pilotage du Freelancer, la tête collée contre ses genoux, les bras serrant ses jambes, il sanglotait depuis de longues minutes.

— C’est ma faute… parvint-il à bredouiller entre deux spasmes.

— Non, tu as pris la bonne décision, rassura Tess.

— Je t’ai fait du mal…

— Non, tu ne m’as pas fait de mal.

— Je t’ai arraché ton Diffuseur. Tu tournes sur batterie à cause de moi.

— Tu n’as pas eu le choix, continua Tess. Si tu ne l’avais pas fait, nous serions morts tous les deux.

Einrick releva la tête, les traces de ses larmes luisaient sur la peau mate de son visage.

— On est où ? demanda-t-il comme un enfant apeuré.

Une carte holographique apparut au-dessus du tableau de bord. Une flèche bleue représentait le Freelancer, entourée d’une aura du même ton qui s’étendait et se dispersait à répétition pour indiquer qu’il émettait. Des centaines de points rouges signalaient les transpondeurs des vaisseaux en vol dans le système solaire.

— Nous traçons un vecteur entre Neptune et Néréide, expliqua Tess.

— Le signal de détresse continue d’être envoyé ?

— Oui, confirma Tess. La moitié du système solaire sait que nous dérivons.

— La moitié du système solaire s’en fout qu’on soit à la dérive… ronchonna Einrick.

— La loi internationale est bien claire sur ce point, Einrick. Tout vaisseau captant un signal de détresse doit…

— … doit se rendre à sa source et procéder à un sauvetage, l’interrompit-il d’un ton sec. Je sais ! Mais personne ne viendra nous chercher dans le trou du cul du système solaire.

Le cockpit du Freelancer devint soudainement calme et silencieux. Le ronronnement des recycleurs d’air occupait le fond sonore, accompagné par les quelques petits gloussements de l’ordinateur de vol ainsi que les notifications des scanners de proximité. Ils ne détectaient rien d’autre que le vide spatial. De sinistres grincements de la structure perturbaient par intermittence cette ambiance. Einrick brisa cet instant de quiétude.

— Excuse-moi, Tess, dit-il en caressant du bout de ses doigts le tableau de bord.

Il regarda la lentille noire au centre azuré en dessous de laquelle était écrit « T.E.S.S. ». Le pilote estimait voir un sourire dans ce regard vitreux et fixe. Il en fit de même.

— Il n’y a pas de mal, Einrick.

Il se décida à formuler la question qu’il s’était refusé de poser.

— À quelle distance se trouve la base ou le vaisseau le plus proche ?

Un point vert s’afficha en surbrillance sur la carte holographique.

— Le vaisseau le plus proche est le Mamma Fusione Stellare, un transporteur de gaz qui fait la liaison avec Jupiter et les colonies de la Ceinture de Kuiper, annonça Tess. Selon son vecteur actuel, s’il nous venait en aide, il lui faudrait…

Elle s’arrêta quelques secondes. Un frisson nerveux parcourut Einrick.

— Quatre-vingt-treize jours de vol, énonça-t-elle.

Einrick croisa les bras sur le tableau de bord et y plongea la tête. Les micros directionnels de Tess parvinrent à capter un « putain » étouffé et répété.

— Et combien de provisions nous reste-t-il ? demanda Einrick d’une voix caverneuse.

— Je ne sais pas si je dois te répondre.

— Si peu ?

— Si tu te rationnes, que tu isoles les pièces inutilisées, que tu te laves uniquement avec les lingettes, exploites les recycleurs d’air, d’eau, et de déchets au maximum…

Einrick déglutit dans l’attente de la fin de ce rapport.

— … tu as de quoi tenir deux mois.

Un bruit sourd et répété provenait du tableau de bord. Einrick se frappait la tête contre celui-ci par désespoir. Il avait envie d’ouvrir le sas et d’en finir tout de suite avant de devenir une momie rachitique morte de malnutrition, de déshydratation, ou d’asphyxie, ou des trois en même temps.

— On va s’en sortir, Einrick, tenta Tess sur un ton rassurant.

Le jeune homme ne répondait plus, il s’était remis à pleurer. D’un certain point de vue, l’œil électronique de Tess affichait lui aussi de la tristesse, ou de la compassion.

— Einrick, tu es resté debout à déprimer sur notre situation depuis l’attaque, exposa Tess. Tu devrais essayer de dormir un peu. Tu n’es pas en état pour continuer d’affronter la situation, laisse-moi m’occuper de tout pendant que tu te reposes, s’il te plaît.

Le pilote releva la tête et fixa son regard droit dans celui de Tess.

— D’accord…

Einrick se leva et se heurta aux parois à cause de l’apesanteur perturbée par les brèves poussées des moteurs à impulsion du Freelancer. Il se rattrapa péniblement malgré le fait qu’il était habitué à évoluer dans un tel environnement depuis son plus jeune âge. Ses jambes en coton ne l’aidèrent pas, ses oreilles bourdonnaient, le conseil de Tess lui parut soudainement beaucoup plus pertinent. Il gagna sa cabine, se déshabilla, et se sangla sur la couchette. Il s’endormit presque aussitôt.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Seb Astien ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0