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— Einrick ? appela Tess.

Le ferrailleur spatial de trente-sept ans grogna dans son lit et se recroquevilla.

— Einrick, c’est important, insista Tess. Je suis désolée de devoir te réveiller.

— Quoi ? Ça y est ? Je suis mort ?

— Non, tes constantes vitales indiquent le contraire, répliqua l’IA du vaisseau. Même si les résultats de ton analyse médicale continuent de m’inquiéter.

— Qu’est-ce qu’il y a ? bredouilla-t-il à moitié comateux.

— J’ai détecté une structure orbitale.

Les yeux d’Einrick s’ouvrirent en grand. Il se releva d’un coup, se cogna la tête contre le plafond de la couchette, aboya une obscénité qui résonna dans toute la cabine, avant de foncer dans le cockpit sans prendre le temps de se rhabiller. Il rebondit sur les cloisons comme un ballon et se hissa au siège du pilote.

— Comment ça, une structure orbitale ? demanda Einrick d’un ton incrédule. Je croyais qu’il n’y avait rien à des mois à la ronde.

— Moi aussi, Einrick. Mais elle est apparue subitement. Mes données cartographiques n’en font pas mention.

— Montre-moi, exigea-t-il en se grattant la barbe.

La représentation holographique afficha Neptune entourée de ses lunes. Le vecteur du Freelancer l’amenait en direction d’un objet massif.

— Une… pyramide ? s’étonna Einrick.

— C’est bien la forme que les capteurs ont détectée.

— Une base militaire secrète ? Le quartier général des anciens pharaons extraterrestres ?

— Je suis contente de voir que tu vas mieux, Einrick. J’aime toujours autant ton humour inventif.

Le pilote éprouva de l’embarras à cette réflexion. Il venait aussi de se rendre compte que dans sa précipitation, il s’était sanglé tout nu sur le fauteuil du cockpit. Le cuir usé et les ramifications en métal manquaient de confort dans cette tenue. Il alla chercher sa couverture, s’enroula dedans, puis se réinstalla.

— Tu leur as envoyé une demande de communication ? interrogea Einrick.

— Oui, sans réponse, déplora Tess.

— Ils savent qu’on est ici, à ton avis ?

— Oui, notre transpondeur continue d’émettre le signal de détresse.

L’homme assis en tailleur sur le siège du pilote frissonna, mais il ignorait si c’était à cause du froid ou de la peur.

— On s’en rapproche ?

— Oui, nous dérivons toujours, même si j’essaye de garder une certaine stabilité avec les moteurs à impulsion. Cependant, notre trajectoire nous envoie dessus.

Soudain, l’activité de la représentation holographique du système solaire attira l’attention d’Einrick.

— Tess ! alerta-t-il. Y a pas un problème avec la carte ? Les signalements des vaisseaux disparaissent !

— Je confirme, je ne reçois plus de mise à jour.

— On a perdu le réseau ?

— Non, nous sommes bien connectés à Solnet.

Pourtant, Einrick constata que les points rouges s’évaporaient petit à petit. Le Mamma Fusione Stellare, seule once d’espoir d’un sauvetage, disparut lui aussi. Les derniers repères affichés étaient la flèche qui symbolisait le Freelancer, le triangle sur son chemin représentant la pyramide, et le vecteur tracé entre eux qui pointaient une inéluctable rencontre.

— Tess, qu’est-ce que tu me proposes ?

— Je pense que tu dois déjà le savoir, Einrick.

L’équipage du vaisseau perdu à la dérive à proximité de Neptune se sentit encore plus isolé qu’auparavant.

— Je crois que nous n’avons pas d’autre choix que d’aller sur cette pyramide spatiale…

— Je confirme, Einrick, ajouta Tess. Nous n’avons désormais plus le choix, cette structure nous tracte.

— Elle nous attire alors que nous ne l’avons toujours pas en visuel ? s’étonna Einrick.

— Nous l’atteindrons dans trois heures, annonça Tess. Et ce n’est pas une attraction ordinaire, les analyses ne vont pas dans ce sens.

Einrick ne parvint pas à comprendre le sens de cette dernière information.

Les deux heures suivantes angoissaient le ferrailleur de l’espace et l’IA de son vaisseau. Ils se déplaçaient si lentement que Neptune et Néréide paraissaient immobiles. D’habitude, le Freelancer possédait toujours une petite ambiance musicale. Einrick se refusa à mettre de la musique pour rester concentré sur les événements. Cette absence renforçait le sentiment d’oppression. L’alarme de proximité se déclencha et brisa le silence déjà perturbé par les bruits discrets des équipements.

— On y est ? demanda Einrick.

— Oui, la pyramide se rapproche, confirma Tess. J’ai lancé différents scans, cette structure n’a rien de commun.

— C’est-à-dire ?

Une projection holographique des analyses de Tess s’afficha. La simple existence de cet objet géométrique tridimensionnel à cet endroit ne cessait d’étonner le pilote.

— D’après les relevés, les quatre faces triangulaires sont parfaitement équilatérales, ainsi que la base carrée. Leurs arêtes mesurent précisément trois cent vingt kilomètres.

— Pardon ? s’étouffa Einrick.

— Oui, j’ai évalué cinq fois et reconsidéré les examens, confirma Tess. Cette structure est vraiment massive.

Einrick resta bouche bée. Les colonies spatiales étaient les plus grandes constructions fabriquées par les humains, et elles n’atteignaient que trente kilomètres de long pour trois de diamètre.

— Comment se fait-il qu’on ne le voie pas à l’œil nu ?

— Sa surface semble constituée d’un matériau qui absorbe l’ensemble du spectre lumineux. Comme un trou noir.

Einrick s’affala dans le siège du pilote et soupira. La verrière du cockpit ne montrait rien d’autre qu’un mur sombre. Il avait compris que depuis tout à l’heure, la pyramide se trouvait bien devant ses yeux, mais invisible.

— Ça me rappelle quelque chose, Tess.

— As-tu déjà vu une structure de ce type ? demanda-t-elle, intriguée.

— Non, une histoire qui se transmettait quand j’ai fait ma formation de pilote.

— Raconte-moi, s’il te plaît.

— Oh, tu sais, c’est le genre de connerie qu’on récite pour se faire peur le soir, à l’internat, répondit Einrick d’un ton blasé.

Il soupira encore et prit une grande inspiration.

— Cette légende remonterait aux temps de la conquête spatiale initiale. On dit que les pilotes en difficulté, sur le point de mourir, apercevraient un vaisseau sur lequel une reine donnerait refuge à leur esprit. L’équipage en perdition y serait invité à voyager à bord pour l’éternité avec les fantômes des autres disparus pour continuer d’admirer les merveilles de l’univers.

Il s’arrêta quelques secondes, mit en perspective sa propre situation, puis repris.

— Et ça découlerait de la mission Apollo 27, tu sais, celle qui a dérivé entre la Terre et Mars au 21ᵉ siècle et mal fini.

— Oui, je connais cette tragédie, confirma Tess.

— Les transcriptions des communications parlaient de ce navire spatial avant que le dernier membre de l’expédition ne meure. Mais je pense qu’il devait délirer.

— C’est une belle histoire, bien qu’un peu triste, Einrick, répondit Tess d’un ton amical.

Le pilote se recroquevilla légèrement sur son siège et baissa les yeux.

— J’veux pas crever, Tess. Pas maintenant.

— On va s’en sortir, ne t’en fait pas.

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