Chapitre Premier : Résonance

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 J'ai sur les lèvres des mots qui me brûlent, comme des comètes ardentes embrasant le ciel sans ton. Et dans les ténèbres des souvenirs m'assaillent. Tes parfums me manquent, tes couleurs aussi. La texture de tes routes à chacun de mes pas, la chaleur du goudron ou l'odeur de la pluie ; tout n'était point encore que trouble et fracas. Tes étreintes me semblent si lointaines, le son de ton cœur au rythme des vies que tu abritais ; une mélodie silencieuse sonne maintenant à l'unisson. Parfois je les entends les murmures de l'existence. Ils me font frémir, comme les souffles du vent sur les étendues à présent inertes, les cours du temps figés, monotones. Je vois des fantômes peupler les tables désertées, je vois des spectres s'entretenir sur l'insouciance ; je me vois errer sans but dans tes entrailles, ô glorieuse et somptueuse cité. J'imagine la fumée des cigarettes s'échapper des rues pourtant inanimées. L'écho sourd de centaines de pas cadencés. Le cliquetis des vélos, les rires, les pleurs, les joies comme les peines.

 J'entends encore l'eau des fontaines opérer sa danse, et les oiseaux emprunter les courants ; pour eux rien n'a changé. La vie a déserté mais pas comme on aurait pu le croire. Les lien du temps s'emmêlent, je me souviens maintenant. Tu m'as vu grandir, et tu m'as vu tomber. Tu m'as soutenu comme tu m'as mis à terre. Tu m'as entendu chahuter dans tes rues, apaisé parfois par tes nuits d'hiver, enragé souvent par tes journées d'été. Mais chaque fois pourtant, bercé par tes lumières. Les senteurs aussi demeurent fantomatiques. Je sens presque le goût sucré des bonbons, j'aperçois leurs couleurs. Et puis-je seulement mentionner les lavandes, leur couleur, leur senteur ; elles me donnaient la confiance et la sécurité, qu'importe l'endroit où je pouvais me trouver.
Je ressens la chaleur des bras de ma mère, et j'entends sa voix, pleine d'assurance et de réconfort. Elle reste un pilier dans les couloirs du temps et de l'espace, sur lequel je fonde encore tous mes espoirs. Et que dire alors de mon père ? Je le vois de nouveau me pousser, la toute première fois que je suis monté sur un vélo, ou encore me panser la véritable première fois où je me suis blessé en manipulant un marteau. J'entends l'outil battre le bois, coup après coup, forger des souvenirs durables dans ma mémoire. Mais je l'entends aussi hausser la voix, me faire la leçon le regard grave, le geste sûr. Puis je le sens me border, aux instants révolus d'une jeunesse disparue. Tu t'en souviens aussi, n'est-ce pas ? Je sais bien que tu n'as pas de peau, pas de conscience, pas d'esprit ni de main pour saisir, mais tu gardes en toi les souvenirs de tant d'âmes...

 Tu les gardes, tu les berces ; sur toi ni passé, ni présent ni avenir n'ont d'emprise... Je me souviens de mon frère, des histoires qu'il racontait du bout des doigts, à l'aide de son piano tout de noir et de blanc. Et je suis sûr que tous ses chapitres ne sont pas encore achevés. Je me souviens des nuances, des rythmes et de ses cadences. Je me demande ce qu'il raconte aujourd'hui. Quelle mélodie s'échappe de son instrument et quelles pensées habitent son esprit ? Est-il inquiet, est-il serein ? Je crois que l'appeler me ferait le plus grand des biens.

 Une pensée pour ma sœur, qui a toujours eu le don de rendre les choses belles, quand tant de regards avant le sien s'étaient plu à enlaidir... Elle a été et reste encore le soleil de mes nuits, et je suis tel un tournesol. Le regard à jamais rivé sur l'horizon, à suivre son chemin, aussi distant soit-il du mien.

 Il me revient alors les sorties, les virées dans l'air du soir. Je sens l'odeur de la forêt m'appeler, et l'écho de l'aventure bruire à travers les branchages. Je me souviens des breuvages, des robes et des textures. Je me souviens des bulles et des regards, qui se perdaient au hasard des visages dans la marée d'inconnus. Je me souviens des saveurs et des effets notoires, quand l'alcool courait dans notre sang à nous faire tourner la tête, aux terrasses des cafés. Quand nous n'avions alors pas peur des accolades, des étreintes et des baisers. Les confessions entendues, les escales dans l'histoire. Les voyages que nous faisions, en partageant nos sentiments et nos espoirs. Nous étions parfois mis à nu, face à l'échec, la réussite, la honte ou la fierté. Nous nous prêtions au jeu de se glisser chacun dans la vie des uns des autres, pour en apprécier tous les aspects. Je me remémore nos randonnées, au pic des montagnes les plus hautes, et des bouffées d'oxygène que cela nous apportait. Je me souviens dégringoler de leur flanc, troublé par la neige ponctuant leur peau froide. Je me souviens avoir eu peur, le temps d'un instant, d'un battement de cil, avoir senti mon sang bouillonner et mes yeux voir le monde en plus grand. Je me souviens voguer en canoë sur les étendues tranquille du lac assoupi. Je me souviens aussi basculer et manger ses rivages malgré moi, et de nos rires mutuels. Et que dire de nos parties sur la plage ? Nous n'avions rien des grands champions, si ce n'est la volonté du fer et la conviction d'un talent caché qu'il nous fallait révéler. Une prospection minutieuse par le rire et la sueur, sous un soleil à son paroxysme ; j'en ressens presque encore la vigueur. Je me souviens de tout ce qui faisait ma vie, de ses aspects les plus charmants au plus répugnants. Mais réunis ils tissaient le lien, ils faisaient sens. Certes la monotonie pouvait s'installer, comme une amie que l'on héberge dans sa propre vie, mais elle avait ses codes, ses barrières, et je m'en étais accoutumé. Je savais pertinemment quels objectifs je voulais atteindre, quels chemins choisir ; je les voyais si parfaits... Je me voyais gravir une échelle aux barreaux des plus solides, me rapprocher d'un idéal que personne n'aurait pu me refuser. Je me voyais déjà hérité de promesses délicieuses, comme si par nature je leur étais destiné. Mais la nature a ses propres volontés, et d'un revers de la main elle a tout balayé.

L'ascension a focalisé ma vue vers les étoiles, mais lorsque mon échelle a fondu, je n'ai eu d'autre choix que de revenir sur terre.

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