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Hobbes arriva chez lui. Les gamins qui jouaient sur le terrain d’à côté étaient partis. La petite fille lui parut sympathique, même si elle devait éprouver la même crainte à son égard qu’avait n’importe quel autre voisin. Il entra dans sa maison, puis referma les trois verrous. Le salon baignait dans une lumière tamisée grâce au faible éclairage chaud et vacillant d’une vieille lampe au plafond. Il posa le carton sur la table qui émit un bruit de pièces de métal s’entrechoquant. Hobbes commença à retirer son accoutrement.
Il abandonna son chapeau sur le porte-manteau à l’entrée. Ses gants révélèrent des doigts pâles légèrement pointus. Il enleva ensuite la redingote, la posa sur un cintre, et accrocha celui-ci. Une vieille chemise blanche usée et tachée de traces noires et ocres se trouvait en dessous. Des yeux ronds, rouges, luisants se découvrirent lorsqu’il leva ses lunettes de soleil, puis il retira la cagoule pour libérer une tête ovale grise dépourvue de visage. Il enleva sa chemise qui révéla le reste de son corps. Un corps de métal gris, marqué par des traces de rouille, des impacts ainsi que des griffures. Sur son torse, en haut à droite, se trouvait une plaque indiquant « H0-BB-3S ». Il termina avec les chaussures et le pantalon.
Son déguisement retiré, Hobbes ouvrit son carton et inspecta le contenu. Il en sortit une première pièce, une articulation de coude. Prales sera ravi, se dit-il. Une rotule de genou, il allait enfin arrêter de boiter. Trois cartes électroniques pour remplacer de vieillissants circuits. La batterie supplémentaire pour Prales se trouvait bien là, tout comme les processeurs secondaires qui lui faisaient défaut. Des bidons de lubrifiants ainsi que des tuyaux de raccord complétaient le reste de l’arrivage.
— Hob-b-b-bes ? demanda une voix synthétique déformée.
— Les pièces détachées sont arrivées, Prales, répondit le robot.
— Bo-n-ne. Nou-v-v-v-ell-e-e.
Allongé sur un canapé au tissu rouge couvert de taches noires et marron gisait Prales. Ce robot identique à Hobbes se montrait dans un état beaucoup plus délabré. La machine avait perdu l’usage de ses jambes et peinait à s’exprimer. Ses processeurs cognitifs secondaires avaient fini par griller et il ne restait que sa matrice principale. Son bras gauche bougeait difficilement tandis que son droit faisait un immonde bruit de claquement et grincement.
Hobbes ouvrit le plastron sur lequel PR-4L-3S était inscrit, puis en tira un tuyau fermé par un bouchon. Il l’ouvrit et inséra le bec verseur du bidon de lubrifiant. Il observa l’intérieur du corps de son ami avec amertume, constatant la dégradation causée par l’oxydation des circuits. Les pièces mécaniques cassées l’avaient rendu infirme.
— Ni-ni-v-v-v-eau, O-O-O-O-K, annonça Prales.
Hobbes referma le tuyau puis le torse de son collègue. Il en fit de même sur sa propre personne, et reposa le bidon sur la table. Le robot s’arma ensuite d’outils ainsi que d’une des cartes électroniques.
— Je vais changer ton processeur endommagé.
Prales opina de la tête et ses yeux s’éteignirent. Hobbes ouvrit le sommet du crâne de métal, puis inséra l’outil à proximité d’une carte noircie par une surtension. Celui-ci agrippa en toute autonomie la pièce ciblée. Le robot la retira et observa la large puce fondue. Il installa le remplacement, puis appuya pendant quelques secondes un bouton situé sur la nuque de son ami. Le regard de Prales s’illumina de nouveau, accompagné de clignotements mécaniques rappelant des battements de cils. Sa tête se redressa au bout de quelques instants.
— Opération réussie, Hobbes. Merci, j’arrive de nouveau à penser.
— Remercie nos amis de l’île.
Prales tenta de lever son bras, mais le membre émettait le même bruit insupportable et se bloquait à mi-chemin.
— N’essaye pas de bouger, Prales. J’ai une pièce de coude ; je vais te l’installer.
— D’accord.
Hobbes se releva, puis déballe dl’articulation qu’on avait soigneusement enveloppée avec des morceaux de papier et de plastique. Il déplia les câbles et les tuyaux, et observa le mécanisme pendant quelques instants.
— Oh, s’étonna Hobbes.
— Qu’y a-t-il ?
— Cette jointure est incompatible avec notre modèle ; ils ne nous ont pas envoyé la bonne. Je suis désolé.
— Ce n’est pas grave. Les pièces détachées se font rares.
Hobbes le savait bien. Elles n’étaient plus fabriquées depuis des millénaires, et leur unique source provenait d’autres robots qui finissaient par s’arrêter pour ne jamais redémarrer. Ces êtres artificiels en avaient pleinement conscience. Ils louaient, sans réellement comprendre ce concept, le réseau logistique qu’ils étaient parvenus à construire au nez et à la barbe des humains.
Hobbes installa sur sa jambe droite la rotule de genou. Il se leva et fit quelques pas. Quel soulagement ! Son regard se tourna vers Prales et son système cognitif atteignit un embranchement de décision plutôt inhabituel. Sa routine d’analyse émotionnelle, utilisée en temps normal pour les rapports avec les humains, traduisit cette sensation en remords. Hobbes se sentait mal parce qu’il avait pu se réparer, à défaut d’aider Prales. Il rangea le carton de pièces détachées avec les autres, en espérant qu’ils servent le plus tard possible.
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