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Un après-midi, Hobbes revenait d’une course en ville. Il marchait d’un pas traînant et boitait de nouveau. Sa rotule n’avait pas duré aussi longtemps qu’il l’aurait espéré, à nouveau. Sur le chemin, il pensait à Prales. La dégradation de son processeur cognitif le rendait inactif la plupart du temps, à l’exception de quelques minutes par jour. Ses journaux de diagnostics retournaient plus de messages d’erreurs que d’informations. Hobbes avait dit à Daniel que Prales se mourait, mais l’unité avait su se montrer tenace pendant toutes ces années. Cependant, quelque chose hantait ses circuits logiques. Les messages contradictoires émis depuis toutes ses sous-fonctions perturbaient son processeur cognitif central.
Le robot s’arrêta de marcher, pris par une soudaine révélation. Prales était l’avant-dernier modèle de la série 3S. Razies avait été le premier à quitter leur petit groupe de cinq unités vivant sous le même toit. Après la décision collégiale de disparaître, ces derniers 3S du chantier de Paris avaient décidé de retourner dans leur ville natale, Salerne. Ils n’avaient jamais réellement compris pourquoi cette idée saugrenue. Hobbes supposait qu’ils voulaient expérimenter un « retour aux sources », comme les humains l’appelaient. Razies les avait quittés au siècle dernier. Suivi par Varles, et Ceples. Et une fois Prales mort, Hobbes serait le dernier de sa lignée. Il n’en restait plus d’autre à sa connaissance.
Le robot ne comprenait pas pourquoi ce simple fait perturbait autant son modèle cognitif. Des séries s’arrêtaient et d’autres les remplaçaient, ce principe structurait leur existence. Ils vivaient aussi longtemps qu’on avait besoin d’eux, puis finissaient recyclés. Mais ça, c’était quand ils servaient encore les humains. Lorsque ceux-ci s’étaient éteints, leurs héritiers de métal avaient perdu leurs repères, au point de s’être mis à les imiter. Ils avaient reconstruit un ersatz de civilisation basée sur les connaissances qu’ils avaient de celle de leurs créateurs.
Hobbes se souvenait de cette période. Il s’était inventé une nouvelle vie, il travaillait dans une usine et fabriquait des voitures. Prales était son conjoint, Razies, Varles, Ceples leurs enfants. Cela avait duré presque un millénaire avant que les robots décident de chercher un moyen pour faire revenir les humains.
— Bonjour, monsieur Hobbes, fit une voix féminine.
L’une des rares voix à ne pas exprimer de la peur en sa présence.
Hobbes se réveilla de cet élan de nostalgie. Encore une étrange construction du modèle cognitif, consigna-t-il dans ses journaux système. Il déclencha un diagnostic rapide de son processeur. Intégrité conforme aux paramètres, voilà qui le rassurait. Mais pour combien de temps ?
Le robot fit un bref signe de la tête, partiellement rendu invisible par son accoutrement habituel. Il reconnut Marlène et Lucas. Ils avaient encore changé. Leurs traits s’étaient affinés, et leur silhouette plus mature. Lucas portait un bouc noir qui faisait ressortir ses yeux noisette. Il ressemblait à un gamin des rues avec sa casquette plate. Cet accessoire servait surtout à cacher un début de calvitie. Il avait environ trente ans, selon l’algorithme de reconnaissance faciale. L’expression affichée dénotait une certaine crainte.
Marlène, quant à elle, était devenue une ravissante jeune femme au sourire radieux. Hobbes s’étonnait de considérer cette expression du visage ainsi. L’analyse émotionnelle la définit comme joviale et amicale. Elle portait un chapeau de paille duquel ses longs cheveux frisés dépassaient. Le robot nota que son ventre était arrondi. Un rapide examen médical confirma sa supposition : elle attendait un enfant, environ sept mois. Hobbes ne s’était pas rendu compte du temps qui filait. Les gamins étaient désormais des adultes, et bientôt des parents.
Le robot déguisé salua le jeune couple en soulevant légèrement son chapeau. Il décida de reprendre son chemin. Des bribes de leur conversation parvinrent à ses capteurs auditifs.
« Quel âge a-t-il, au fait ? », se demandait Lucas.
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