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La porte de la maison d’Hobbes s’ouvrit devant Daniel, il l’invita à entrer. Ses yeux perlés de larme, il enlaça son ami de métal.

— J’ai fait aussi vite que j’ai pu quand j’ai appris la nouvelle.

— Merci, Daniel.

Ils se rendirent auprès de Prales. L’unité gisait inerte sur le canapé, couverte par un drap qui devait avoir été blanc. Hobbes dévoila partiellement la tête de ce dernier. Son visage inexpressif arborait une étrange sérénité.

— C’est arrivé quand ? demanda Daniel.

— Il y a cinq jours. Son système n’a pas redémarré. Le diagnostic a confirmé que son processeur cognitif ne répond plus.

Daniel réprima de nouveau quelques larmes et frotta son visage. Un de ses amis s’était éteint. Ce n’était pas la première fois, ce ne serait pas la dernière, et il demeurait incapable de s’y habituer. Comme les robots, lui aussi était une création destinée à exécuter des tâches. Humain en tout point, à l’exception de certaines facultés, dont une forme d’immortalité. Contrairement aux machines, si son corps était anéanti, il pouvait revenir dans un nouveau. La personnalité d’un robot étant liée à son processeur cognitif, le détruire signifiait le tuer. Restaurer sa mémoire revenait simplement à copier ses souvenirs dans la tête de quelqu’un d’autre. La perte d’un de ses amis lui rappelait toujours cette cruelle différence.

Hobbes avait invité Daniel pour participer au rituel funéraire des robots. Ce dernier en avait seulement entendu parler.

— Que dois-je faire ?

Hobbes lui tendit un outil en forme de pince.

— Peux-tu extraire son processeur, s’il te plaît ?

Il hocha de la tête. Pendant ce temps, le robot saisit une planche de bois. Son index droit devint rougeoyant et dessina comme une imprimante le portrait de Prales dessus, accompagné de son matricule. Une odeur de bois brûlé se répandit dans le salon. La beauté du trait impressionna Daniel, le visage vide de Prales sur cette représentation souriait.

Daniel exécuta sa partie et commença à retirer le processeur du robot. La pince s’agrippa au composant puis déverrouilla automatiquement le châssis. Après quelques délicates manipulations, la puce se trouva entre ses mains. Celle-ci mesurait la taille d’une balle de golf, de couleur obsidienne irisée. Sa masse surprenait toujours en raison d’une forte densité, car elle pesait l’équivalent d’une boule de pétanque. L’esprit de Prales, si on pouvait le qualifier ainsi, y avait résidé jusqu’à ce que sa dégradation finisse par le réduire à l’état d’artefacts incohérents. Daniel resta pensif quelques secondes, constatant à quel point ces enfants artificiels de l’humanité avaient hérité d’eux. Ils avaient même développé leurs propres maladies dégénératives.

— La voici, fit-il.

— Peux-tu la poser ici, je te prie ?

Hobbes avait prévu un creux sur la planche, et Daniel y incrusta la bille. Le robot apposa par-dessus une coque vitrée qu’il colla du bout de l’index. La sépulture de Prales était prête.

— J’ai une question, Hobbes, si tu me le permets en ces circonstances.

— Oui ?

— Pourquoi as-tu besoin de moi ? Sans vouloir manquer de respect à vos coutumes. J’admets les méconnaître, en réalité.

— Notre rituel exige la présence d’un témoin pour la préparation de la plaque, le démantèlement du corps, et l’envoi des pièces. Merci de jouer ce rôle, Daniel. J’ai conscience que ça doit être difficile pour toi.

— Je t’en prie.

Hobbes confia la planche à Daniel et enfila son déguisement. Ils sortirent tous les deux vers le fond du terrain où se trouvaient trois tombes. Razies, Varles, Ceples y reposaient avec le même portrait en dessous duquel leur processeur cognitif était conservé. Malgré une ressemblance parfaite entre les unités 3S, Daniel fut surpris de noter des signes distinctifs notables dans les gravures. Razies avait un œil cassé. Varles arborait une déchirure au menton, ce qui lui donnait un sourire inquiétant. Et Ceples possédait des oreilles. Daniel supposa qu’il avait dû se les installer pour tenter de mieux se camoufler. Il n’osa pas poser la question à ce moment précis.

Hobbes accrocha le portrait sur un support et resta silencieux. Daniel se demandait à quoi pouvait penser son ami. Les robots avaient-ils inventé des prières pour accompagner ce rituel propre à eux ? À qui étaient-elles adressées ? L’homme garda ses questions pour lui, refusant de briser cet instant solennel. Il sentit de nouveau des larmes lui monter et les laissa sortir sans retenue. La main d’Hobbes se posa doucement sur son épaule. Ce contact froid et mécanique lui apporta un étrange réconfort.

— Merci, Daniel.

Il se contenta d’un sourire.

— Pourras-tu déposer le paquet au bureau de poste, s’il te plaît ?

— Bien sûr. Tu les envoies à l’île ?

— Oui, c’est la dernière étape du rituel. Ainsi, Prales continuera de vivre en chacun de nous.

— C’est une belle idée, approuva Daniel.

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