Les sept tours 1-2
8 ans plus tard...
Sur le mont d’Andersouffle, Azur et quelques-uns de ses confrères soufflaient le givre et engendraient la neige sur les tours qui retenaient les CrocSang. Exercice que chacun effectuait dans le silence et la peur d’être découvert par les soldats d’Elestac. La reine, malgré les années écoulées, était encore bien décidée à libérer la végétation endormie sous toute cette poudre immaculée. Sa victoire l’avait rendue plus offensive avec ses ennemis de toujours. Au fond, les souffleurs n’étaient plus une menace depuis des lustres. Toujours plus diminués, ils ne cherchaient pas le conflit, et restaient loin des habitations. Elle le savait, mais sa soif de violence était telle qu’il lui fallait savoir qu’il n’eut plus un seul de ces êtres sur terre.
Attelé à créer de la glace solide et transparente près de ses compagnons, Azur entendit au loin des chiens aboyer. La peur imprégna aussitôt ses mouvements. Il se figea, tourna la tête, le regard fuyant, imitant ses camarades. Il resta là, statique sur le tapis blanc qui emprisonnait ses mollets. Étaient-ce les chasseurs de la reine ?
Il fouilla la sapinière de son regard, plissa les yeux. Le peu de sérénité qui lui restait disparut sous les branches les plus sombres, tant est qu’il ait eu une once d’espoir qu’aucun combat n’aurait lieu en ce jour. Un bruit sec retentit. Un morceau de bois ? Les souffleurs de givres les plus éloignés prirent la fuite. L’adolescent les voyait se ruer vers les grottes labyrinthiques que le mont d’Andersouffle abritait dans ses cavités. Azur crut comprendre que ses pairs ne combattraient pas ou du moins ceux qui parviendraient à réchapper aux chasseurs.
Les années leur avaient appris à être lâches bien que dans leur corps bouillonnait une magie fabuleuse. Depuis la mort de Grindya, les forces des tribus avaient diminué. « Un manque de confiance en soi », clamaient les anciens. Certains, mieux pensant, parlaient d’un maléfice. D’un objet qui serait en possession d’Elestac. Un bijou maudit… Mais personnes ne les prenaient au sérieux, Azur le premier.
Un silence anormal régnait. Pesant. Mortel. Les soldats étaient de retour, il fallait se cacher au plus vite. Bien que chacun savait que les glaives se croiseraient, il demeurait un espoir qu’ils ne furent pas tous de la partie.
D’un claquement de doigts, Azur leva un voile brumeux fait de neige. Il chercha une cachette à l’instar des autres, souleva ses jambes pour ne pas buter contre les pierres invisibles. Ses mouvements lents l’encombraient tout comme les peaux qui recouvrait son corps. Il n’avançait guère vite et les empreintes qu’il laissait derrière lui finiraient par lui causer du tort.
Sans plus attendre, la brume se dissipa et déjà, l’adolescent se mordit les lèvres à chaque coup de feu tiré. Les ennemis avaient dégainé leurs armes à feu.
— Un véritable fléau ces canons enflammés, maugréa Azur.
Les cris de jeunes souffleurs de givre retentirent. Glaçant. Révoltant. Était-ce devenu si compliqué de se cacher ? Ils se terraient comme des moins-que-rien sous la neige protectrice depuis si longtemps, comment arrivaient-ils à mettre deux lunes pour disparaître aux yeux des chasseurs ?
Le garçon secoua la tête lentement, navré par l'amenuisement de sa population et l'affaiblissement des pouvoirs. Mal coordonnés les uns aux autres, ils se perdaient afin de fuir les premiers. L’entente n’était plus la même que lorsque sa mère était cheffe. Son oncle, au pouvoir, désormais, séparait plutôt qu’il unifiait. C’était un miracle qu’il les dirige encore. Enfin, pas vraiment. Il avait su montrer qui il était, de par son pouvoir de givrer et de son inconscience à tuer ceux qui lui désobéissaient. Nombreux étaient ceux qui le craignaient. Jamais personne n’allait à l’encontre de ces décisions. Pourtant, il aurait fallu d’un rien pour le faire basculer. Hélas, les cœurs frissonnaient de peur. Les sévices et les humiliations allaient bon train dans le camp. Chacun cherchait l’apaisement, prêt à donner un autre pour être sauve. Tout le monde devenait plus personnel. Plutôt paradoxal dans une tribu.
Azur avança dans le calme vers un coin discret, les nerfs à vifs.
Quand Elestac les laissera-t-elle en paix ? Quel était son intérêt de courir vers les monts les plus hauts ? Traverser les sept bois et les sept rivières pour les traquer ? Le Royaume de Verdoyon avait-il besoin d’autant de territoires verts ? Il secoua la tête, serra les poings. Il n’y avait là qu’une chasse à l’homme. Excitante. Divertissante. Cette femme le répugnait. Elle déchaînait en lui, plus de haine et de dégoût que les horreurs qu’il subissait depuis la défaite de sa mère.
Pas à pas, il s’enfonçait dans l’ombre des arbres, jusqu’à entendre du mouvement s’élever tout près. Il marqua un arrêt, pareil à un faon guettant un danger. Il observa la végétation ténébreuse et la nappe blanche de la neige. Rien.
Vite, il se cacha dans un renfoncement de pierre et se colla à la paroi enneigée. Il mordit ses lèvres, coupa sa respiration et se figea afin de se fondre dans la pierre. Hélas, contre le flair d’un chien, il n’aurait aucune chance. Il élargit son angle de vision, priant que son odeur soit bien couverte sous son manteau de peau. Cette vie commençait à l’épuiser. N’y avait-il aucun moyen d’être en paix… ou de se venger ?
Tout en broyant du noir et suppliant la brume de s’épaissir, il chercha d’autres possibilités de survivre.
Jamais je ne mourrai si bêtement. Pas avant d’avoir vengé ma mère. Quel fils serais-je si je n’en faisais rien ?
Les projets d’avenir il en avait composé des milliers, et à chaque fois, il parvenait à tuer Elestac.
L’image de sa mère sur cette nappe rouge de sang et blanche de neige resurgit dans sa mémoire. Ses poings se refermèrent sur sa hargne. La rage noya à nouveau son cœur.
Ne pas suffoquer. Se taire. Je réussirai, paroles de souffleur !
Elestac lui avait bien trop pris pour la laisser en vie. Elle souffrirait, comme lui. Plus encore !
Ne pas suffoquer. Se taire, répéta-t-il encore et encore, crispant les poings. La tuer. Les tuer tous. Il passait en boucle ces phrases, comme ces fois où… Un grognement passa ses lèvres, distinct seulement de lui. En tuant Grindya, Elestac lui avait pourri la vie. Il n’était qu’un enfant, bordel.
Sa tête se remplit d'images et toutes se dirigèrent vers une obscure silhouette. Azur voulu s’en libérer, mais elle était plus forte que lui. Elle s’insérait sans son consentement dans son esprit. Elle déchirait son âme et le pénétrait avec puissance. Il ne pouvait lutter contre elle, contre le passé et les soirs où son oncle le visitait.
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