Le miroir 1.2
« Perdue dans le noir, j’attends mon cœur sombre, celui qui écoutera ma voix sans se poser de questions, celui qui me conduira à la lumière sans raison… Hormis celle de la vengeance. ».
Dans le noir abyssal, un miroir parlait devant la solitude de quelques cristaux lumineux. Entre livres d’alchimies et parchemins humides, une entité continuait de rêver à sa liberté.
*
La chute lui parut longue. Infinie. Si vertigineuse, qu’il n’imagina pas un sol le retenir. Azur se vit écraser en milliers de débris. Mourir dans un univers aussi sombre que les ténèbres semblaient de plus en plus évidentes. Pourtant le vide dans lequel le jeune homme était transporté se métamorphosa en une couverture de fourrure moelleuse. Il tomba sur une pile de peaux, de tissus et de neige amoncelée. Bien qu’ils eussent diminué l’impact et qu’Azur rebondit, le garçon lâcha un cri étouffé. Ses articulations craquèrent sans pour autant que les os ne se cassent. Le souffle lui manqua un instant. Sa cage thoracique compressa ses poumons. Retrouverait-il la force de respirer à nouveau ?
Haletant, l’adolescent inhala l’oxygène qui lui manquait. Il attendit de longues minutes, le regard loin devant lui, vers les rayons du soleil. Il les observa comme si la mort l’avait étreint, comme s’il reposait en elle et ne pouvait plus prétendre à cette vie, hors de portée.
Péniblement, il se redressa, tâta son corps. Il n’avait rien de cassé et il était bel et bien en vie. Tant mieux, pensa-t-il, alors que l’air qu’il inspirait parut lui tourner la tête. L’atmosphère pesait sur ses épaules et sur le reste de son corps.
— Sans doute à cause de la chute, marmonna-t-il, en portant la main à son crâne.
Debout, les jambes chancelantes, Azur détailla cet étrange lieu, semblable à un abysse. À ses pieds, le gouffre noir se poursuivait, signant l’infini et la perte de tout. Le trou possédait la noirceur du rien éternel, celui qui avale les âmes et les souvenirs de la vie passée.
Attiré, par le puits sans fond, l’adolescent se recula et lâcha un soupir de soulagement.
— Voilà un exploit que je ne compte pas faire tous les jours.
En se tournant, il resta tout aussi intrigué. Le décor singulier l’attira. Il visualisa des piliers, certainement des stalagmites et stalactites qui s’étaient rejointes pour ne former qu’une. Il y en avait au sol, au plafond en pendeloque et sur les parois, formant des draperies. Azur s’avança, le regard posé sur des pierres luisantes. Elles réfléchissaient la lumière du soleil qui traversait l’ouverture vers le monde extérieur. Entre deux colonnes, le garçon se stoppa. Un escalier d’une dizaine de marches se déroulait jusqu’à une pièce illuminée de cristaux flamboyants. Le temps d’un instant, il songea à y découvrir quelqu’un.
Azur fronça les sourcils, posa une main sur la rambarde sculptée à même la roche et se pencha, tandis que son pied frôlait la première marche. Était-il mort ? Se trouvait-il dans l’au-delà, à l’intérieur d’une crypte ou d’un sanctuaire ?
Son regard dévia sur un ancien laboratoire d’alchimie, au vu des toiles d’araignées et du matériel présents. Le vieux sage de la tribu, Mazatouhara, lui avait narré ses jeunes années d’apprenti chimiste à l’orée du royaume de Flammèche, le pays le plus proche de Verdoyon.
Tout dans ce refuge, pour savant fou ou magicien, reflétait les innombrables descriptions du sage. Une table immense et fournie de fioles, mortiers, pilons, flacons, herbes, poudres, bocaux, livres poussiéreux, se dressait au centre. Elle en imposait par sa stature en bois dans un décor aménagé d’étagères où de nombreux grimoires étaient disposés.
Curieux et inquiet, le garçon s’avança sur la seconde marche. Personne n’avait utilisé cette pièce depuis longtemps. Il se serina et prit son courage à deux mains. Il désirait en voir plus, priait pour y découvrir une sortie afin de rejoindre l’extérieur.
Au bout de l’escalier, il garda sa main sur la rambarde, sans oser avancer davantage. À qui appartenait ce sanctuaire ? Ce lieu était abandonné depuis des années, peut-être des siècles.
Azur embrassa la pièce du regard encore une fois, et visualisa un second escalier vertigineux qui disparaissait sous le plafond de voile surplombant la pièce. Il s’attarda sur l’endroit, passa sa main sur sa nuque et longea le laboratoire en accélérant le pas. Ses bottes en cuir, fourrées et lacées laissèrent des traces humides. Il se pressa, le cœur accroché à son thorax. Azur essayait de faire le moins de bruit possible. Une sensation d’être observé le bouscula. Une âme le suivait de près. Un frisson glaçant le traversa. Il se trouvait à mi-chemin entre l’escalier suivant et la pièce, lorsqu’une voix, sombre et ancienne chanta funestement :
— Reine, je fus un jour. Prisonnière, je devins. Toi, le visiteur, l’inconnu au cœur sombre, approche. Dépose un baiser sur les fissures du miroir qui me retient. Laisse mon poison t’aveugler pour qu’un jour tu puisses me délivrer.
La voix paraissait partout et nulle part à la fois. Elle immobilisa Azur dès les premiers mots prononcés.
Ce n’était pas une présentation comme les autres, pourtant claire et douce, elle dissimulait un soupçon de dangerosité. Cependant le jeune homme n’entendit qu’un murmure lointain. Il eut l'impression qu'il était endormi et que son rêve prenait la tournure d'une réalité décalée
Son regard se figea et aussitôt, un voile se posa sur ses prunelles, rendant le bleu de ses yeux plus pâle. Pendant un instant bref, il ne vit plus rien, absorbé dans cette incantation qui devenait moins ouatée. Il écouta le chuchotis féminin sans y déceler le danger véritable. Il venait tout de même de faire une sacrée chute. Et ce qu’il prenait pour des paroles « humaines » pouvaient bien être le langage du vent ou autre chose. Finalement, Azur écouta la voix sans se poser plus de questions. Elle semblait naître de son cœur. Sembler être là pour lui, pour le guider. Il ne comprenait pas bien ce qui lui arrivait, mais au fond de son âme rien n’était plus normal que cette scène.
— Approche, mon garçon. Un baiser et je t’offrirai le pouvoir de mes parchemins occultes. N’as-tu pas une vengeance à accomplir ?
Azur ouvrit les yeux en grand. Comment savait-elle ?
— Qui es-tu ?
— Ce que tu cherches depuis des années. Sais-tu combien de temps je t’ai attendu ?
— Es-tu la clé de ma vengeance ?
— Je le suis. Et je le serrais temps que tu le désireras, mon enfant.
— Temps que je le désirerais, répéta-t-il, absorbé par la rotation de l’ombre dans le miroir.
Un seul baiser pouvait-il offrir ce qu’il convoitait ? C’était comme s’il avait cherché, depuis des années, cette proposition qu’on lui faisait, désormais. Envoûté, un peu sonné et dérangé depuis le décès de sa mère, il ne retint que les mots vengeance, pouvoir et occulte.
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