Un choix pour le prince

5 minutes de lecture

Devant le comptoir de l’animalerie, Azur patienta.

La propriétaire discutait avec un charmant couple qui désiraient adopter un vieux chat. Ils déclarèrent, à tour de rôle, à la vendeuse ronde, à quel point ils seraient heureux de faire une bonne action. Ainsi avaient-ils songé à retirer à la solitude un animal en fin de vie.

La gérante, le doigt posé sur ses lèvres peinturlurées en violet, parut réfléchir. Avait-elle un vieux chat entre tous ces chiots, ces chatons et ces lapereaux ?

Azur s’appuya sur le comptoir, distrait par la gérante qui se tortillait d’un côté à l’autre pour satisfaire sa clientèle. Il se laissa happer par les ondulations de la longue robe au tissu orangée. De droite à gauche, elle chercha, puis se saisit d’un livre. Un registre. Elle lista de son doigt les plus vieux de ses pensionnaires. Elle gratta plusieurs fois le haut de sa tête. Remis deux fois ses mèches grises derrière son oreille. Puis, elle se retourna, d’un air navré.

— Mon plus vieux pensionnaire, n’a que deux ans, avoua-t-elle.

— Deux ans, répéta l’homme en regardant sans épouse.

La jeune femme secoua la tête lentement.

— Je désire faire de notre maison, un lieu où de vieux animaux abandonnés pourraient passer leurs dernières années, entourés d’amour.

Le couple déçu observa deux jeunes chiots. Azur vit que la jeune femme voulait de vieilles bêtes, alors il héla de sa voix les inconnus.

— Allez au château, demandez une audience auprès d’un chef de chasses et proposez-lui de prendre les chiens les plus vieux des battus contre une pièce en or. Il vous les cèdera, au lieu de les faire mourir de faim et de les donner en pâture aux loups.

— Alors, les racontars sont bien réels ? Il y a des loups aux pelages pourpres ? s’offusqua la gérante.

— Tout comme ceux qui sont répétés dans la basse ville, sur ses rats argentés égorgés pour des cérémonies Occultes, ajouta-t-il, face au regard écœuré de chacun.

Le couple le remercia, salua la propriétaire, puis s’éclipsa avec l’idée de se rendre au château.

Azur les regarda partir, puis se tourna vers la femme ronde qui l’accueilli.

— Alors mon bon monsieur, que puis-je pour vous ?

Elle s’avança et dévora Azur de ses petits yeux verts. Elle le trouva bien beau, bien à son goût. Le jeune homme le remarqua et la complimenta sur la propreté de l’endroit. Elle inclina sa tête sur le côté, apprécia l’attention qu’avait portée l’homme sur sa boutique animalière.

— Est-ce pour adopter, mon bon monsieur ?

— Effectivement. J’aimerais lier deux cœurs pour en faire jaillir une amitié pure et dure. Qui mieux qu’un animal peut offrir cela à un jeune garçon ?

— Un ami à poil pour un petit jeune homme ? Votre frère ? demanda-t-elle avec un éclat de curiosité dans le regard.

— On pourrait le prendre pour mon frère. Mais ce n’est pas le cas.

En voyant qu’il n’en dirait pas plus, la femme obliqua vers sa nurserie.

— Quel âge a-t-il ?

— Bientôt onze ans.

— Il doit donc avoir le sens des responsabilités, dit-elle pour elle-même, plus que pour son charmant client. Quel caractère est le sien ?

— Il est solitaire, ne se gêne pas de dire sa façon de penser. Disons, que ce n’est pas un timide. Mais il a toujours ce besoin d’affection. Un besoin parfois étouffant.

La femme hocha la tête.

— Oui, je vois ce que vous dites. A-t-il une préférence ?

— Je ne crois pas. Il sourit aussi bien à un papillon qu’à un crapaud.

— Alors il a bon cœur, argumenta la femme.

— Probablement...

— N’êtes-vous pas proche ? s’informa-t-elle, en invitant Azur à découvrir les animaux qui peuplaient la nurserie.

— Proche ? soupira-t-il. D’une certaine façon. Ce garçon ne parle pas de lui. Il ne laisse pas grand monde voir qui il est à l’intérieur. Mais, il n’est pas compliqué à cerner. Il reste un enfant.

Quoi que ? songea-t-il en se postant près de son interlocutrice. Elle lui présenta d’adorables chiots endormis, des chatons jouant avec des pelotes de laine, des lapereaux qui se blottissaient les uns contre les autres, sans qu’il n’éprouvât de coup de cœur.

Elle proposa même un serpent de quelques mois entortillé dans sa caisse en bois. Ça ne ressemble pas au prince, grommela-t-il intérieurement. Pourquoi était-ce si compliqué ?

Azur observa chacun avec l’envie enfantine de les caresser, mais il résista comme si sa conscience lui en empêchait. Comme si ce besoin de les toucher n’était pas normal. Ne pas s’en approcher au péril de redevenir faible. Frizure lui avait enseigné des heures durant à canaliser ses envies, violentes ou affectives. Elle lui avait conseillé de refroidir son cœur, s’il voulait accéder au pouvoir, et de se laisser submerger par la magie qu’elle lui avait offert, s’il se sentait craquer. D’ailleurs, il agita sa main sous sa cape, marmonna une formule dans son esprit et se laissa envahir par une fumée invisible. Elle le recouvrait de la tête aux pieds, lui empêcha de fondre devant ses adorables boules de poils. C’était comme si un autre prenait soudainement sa place et dictait ses émotions noires. Comme s’il se perdait au fin fond d’un hiver glacial, éternel.

Les yeux vacillants de droite à gauche, il jeta son dévolu sur un lapereau albinos, plus fin et plus grand que ses frères et sœurs. Même ses oreilles parurent plus longues et deux taches noires se formaient aux extrémités.

Il courba son dos, visualisa l’animal. Ce n’était pas un lapereau…mais un lièvre et il avait la même expression froide que Rouge. D’ailleurs, ses yeux carmin lui firent penser aux lèvres du prince et à son nom : Rouge.

— Celui-ci, dit-il à la femme, en pointant l’animal du doigt. Il sera parfait.

— Le levraut ? Il est plutôt solitaire, ne voulez-vous pas plutôt un chiot ?

— Non, ce levraut est destiné à mon jeune maître.

— Dans ce cas, il est à vous. Je prépare les papiers d’adoption ainsi que le panier avec les renseignements alimentaires et psychologiques de l’animal.

Azur sourit, sans une étrange lueur polaire au fond des pupilles. La propriétaire le remarqua. Ce garçon lui avait paru plutôt sympathique, mais depuis quelques minutes, il la faisait frissonner. Avait-elle raison de lui confier le levraut ? Probablement que oui. Après tout, il avait permis à de vieux chiens de chasse de se faire adopter. À y réfléchir, c’est qu’il n’avait pas un mauvais fond.

Le levraut dans les mains, elle disparut derrière la porte qui jouxtait le comptoir. Elle revint des minutes plus tard, l’animal dans le panier, en boule sur un linge qu’elle avait gardé près du foyer crépitant. Elle tendit un livre ouvert à Azur.

— Signez ici, je vous prie.

Le jeune homme s’exécuta. Ce cadeau le placerait plus haut dans l’estime d’Élestac, et peut-être qu’il se débarrasserait de ce gamin collant par la même occasion. Satisfait de cette journée productive, il remercia la femme d’un signe de la tête. Elle le lui rendit avec un soupçon de crainte dans le regard.

— Voici, le levraut. Prenez soin de lui.

— Soyez-en rassuré. Ce petit sera choyé.

Oui, Rouge lui donnera un amour démesuré, parce qu’il n’aura que lui. Azur désirait croire que le prince porterait son dévolu sur le levraut plutôt que sur la reine ou sur lui...

Sans attendre, il empoigna l’anse du panier, salua la femme et rejoignit les rues où on faisait déjà courir le bruit qu’un aliéné avait massacré trois braves hommes.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire NM .L ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0