Chapitre 1 : Un départ mouvementé.

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Soirée du 22 juin 1712.

Seizième jour de voyage.

Océan Atlantique.

Le cœur soulevé par la houle, je parviens péniblement à aligner quelques mots dans mon carnet. Après notre départ de Toulon le matin du 6 juin, nous avons vogué sereins sur la Méditerranée, puis avons passé le détroit de Gibraltar sans encombre dans la nuit du 8 au 9 juin. Cependant, depuis bientôt onze jours, la Princesse Rochebobois et ses vingt-cinq membres d'équipage sont ballottés par des vents impétueux qui semblent ne jamais vouloir tarir.

Quelqu'un frappe à la porte de ma cabine. Il s'agit du capitaine, Aubéry de la roche Saint-Pierre, la fine fleur des armateurs. Mais aussi un grand passionné d'aventures et de découvertes, autant que je le suis.

— Monsieur, êtes-vous réveillé ?

— Évidemment ! Comment dormir avec un tel tangage, j'ai l'estomac au bord des lèvres, me plains-je.

— Dois-je vous rappeler que c'est le cas pour un grand nombre d'entre nous, Philibert ? Maintenant, puis-je entrer ?

— Comme bon vous semble.

Le pauvre homme est dégoulinant de la coiffe aux chausses. N’ayant pas de capitaine de rechange sous la main, je me dirige vers la commode et en tire un linge de toilette propre.

— Je sais que vous êtes solide, mon cher Aubéry, mais séchez-vous ! Vous risquez d'attraper la mort avec ce froid, dis-je en le lui tendant.

Les violentes bourrasques qui secouent notre vaisseau n'ont eu de cesse de redoubler en force et de se rafraîchir à mesure que nous nous éloignions des terres.

— J'en ai vu d'autres, bien pires, lance-t-il en souriant. Je me rappelle d'un jour où...

— J'apprécierais d'entendre l'une de vos aventures si je n'étais pas sur le point de regarnir l'assiette de mon dîner, alors venez-en au fait, capitaine ! l'interromps-je, plus sèchement que désiré.

Piqué, il se racle la gorge et me toise de ses magnifiques yeux bleus dans lesquels je devine autant de respect que de haine à mon égard. Malgré nos collaborations régulières, nos rangs distincts ne nous ont jamais permis de nouer une amitié sincère. Un crève-cœur pour ma part, tant ses histoires et sa compagnie me sont délicieuses en tout point.

Fils de feu Jean Herbert de la roche Saint-Pierre et de Marie Évelyne Mauboussan, Aubéry était né le 13 août 1676 dans une demeure cossue à deux pas du palais du Luxembourg et était le dernier d’une fratrie de cinq enfants, toutes des filles. Une famille de la haute société parisienne, Jean Herbert étant un cousin germain du roi Louis XIV. Une branche très éloignée qui, bien qu'elle leur octroyé de nombreux privilèges, ne leur avait jamais permis de le rencontrer en personne.

Malheureusement, la tuberculose emporta son père un soir de décembre 1681.

Reniée par la cours et destitué de tous les biens de son mari, sa mère fut contrainte d’épouser en seconde noce Pierre-Yves Fourrache, un nouveau riche qui avait fait fortune en vendant des esclaves nègres. Un personnage rustre, dépourvu d’intelligence, à la limite de l’illettrisme et qui aimait un peu trop la gent féminine.

Son beau-père préférant ses sœurs pour une raison détestable, tandis que sa mère faisait mine de ne rien voir, Aubéry grandit livré à lui-même. Maintes fois incarcéré pour de menus larcins, sa vie bascula le 17 mars 1695 lorsqu’il rencontra la belle Suzanne de Montmaure, unique fille de l’armateur de renom, André de Montmaure, dont l’épouse était décédée en couche. Le brave homme le prit sous son aile et lui enseigna les rudiments de la navigation.

Mais le 6 février 1702, Suzanne et son père disparurent en mer méditerranée lors d’une simple balade. Malgré plusieurs mois de recherche, leurs corps ainsi que leur goélette n’ont jamais été retrouvés. La perte fut lourde pour Aubéry qui accusa le coup, mais il hérita de tous leurs biens ainsi que d’une confortable somme d’argent qui lui permit de concrétiser ses envies d’aventures.

— Les trois quarts de nos hommes ont la tête par-dessus le bastingage. Impossible pour eux de faire un pas sans dégorger. Ils ont beau avoir le pied marin, aucun d'eux n'a jamais connu des eaux aussi fâcheuses, rage-t-il à mon intention.

— Je suis persuadé que ce n'est plus qu'une question d'heures, le calme arrive.

— Vous sifflez dans ce pipeau depuis presque deux semaines ! Rien ne va s'arranger ! Nous devons regagner les terres !

— C'est impossible ! Nous sommes attendu au port de Belém la première quinzaine de juillet. Nous n'avons pas une minute à perdre !

— Sans équipage, vous n'irez nulle part, Philibert !

Malgré mes objections et mon impatience, je ne peux nier une telle évidence. Tandis que j'analyse la situation et nos possibilités, le bellâtre ôte son tricorne pour sécher sa longue chevelure rousse qu'il arbore en queue de cheval.

— Que proposez-vous, en ce cas ?

— D'après mes observations et mes calculs, l’île de Santo Antão n'est pas à plus d'un jour et demi de notre position. Faisons escale à Porto Novo le temps que les conditions s'améliorent et nous en profiterons pour nous ravitailler. Qu'en dites-vous ?

Le bougre est persuasif avec ses pommettes saillantes et sa moustache finement taillée. Mes doutes et interrogations se dissipent sitôt que l'hypothèse d'un bain chaud et d'une literie digne de ce nom se matérialise dans mon esprit.

— Bien ! Si voilà pour vous la meilleure solution pour le bien de tous, soit. Cap sur Santo Antão.

Il esquisse un sourire et me toise à nouveau de son regard victorieux.

— Merci infiniment, monsieur le duc, dit-il en faisant une courbette .

Sans plus de convenances, l'apollon se hâte de quitter ma cabine pour annoncer la bonne nouvelle à l'équipage qui laisse exploser sa joie et son soulagement quelques minutes plus tard.

Un engouement tel qu'il nous faut à peine plus de vingt-quatre heures pour rallier Porto Novo.

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