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L'Architexte extrait de l'étrange dimension un Milo transi, et passe une trompe humectée sur ses cheveux roussis.
— Ah là là lààà, tu t'es trop approché du quatrième muuur !
— Il n'y avait pas de mur. Juste... des yeux... gigantesques...
— N'y pense pas, vaaa. Tiens, ta chaussure n'a rien !
La remarque ramène Milo à des problèmes plus terre-à-terre – enfin, selon votre définition – : que faire de cette chaussure ?
En attendant, il s'en sert comme d'un gant et, tout compte fait, elle lui va de même. À condition d'aimer le jaune.
Il peine quand même à retrouver son souffle et sa lucidité – laquelle, à la réflexion, s'est envolée depuis le chapitre 1.
— Mon paaauvre Milo ! C'était l'aventure de trop, hein ?
Pas de réponse. À moins qu'il ne faille décoder les tremblements de sa lèvre inférieure ? Court court court, long long long, court court court. Hm, peu importe.
L'Architexte se mord ce qui lui sert de joue et, d'un geste généreux, pousse l'humanodéprimé par la sortie, vers la cuisine du vaisseau où il s'écrase face contre lino.
Tous les visages se tournent vers lui. Celui de Chrotais lui lance des œillades inquiètes. Celui du robot paraît chagrin. Pour un robot, du moins. Celui de Ruleck, seulement curieux.
— Il sert à quoi, ton gantoufle ?
Les yeux de Milo papillonnent, puis suivent les regards conjugués de ses équipiers et passagers, tous posés sur la chaussure citronnée qui habille son poing déprimé.
— Ah, euh... Longue histoire.
— Je ne sais pas qui t'a dit que c'était fashion, mais ils mentaient, tique Louboutou. D'où-quand qu'ils viennent.
— Qu'est-ce que vous faites tous ici ? s'enquiert Milo, essayant très très fort de changer le sujet.
Spara tape du pied, courroucée. Une allure tauridée qui charme Chrotais.
— On a appelé tout le monde ! La question, c'est plutôt ce que tu glandais.
— Je...
— Pour ta gouverne, on part acheter un remplacement pour Rosaline.
— Rosaline ?
Le robot paraît outré.
— Rosal1ne, 3nfin ! L'interf4ce que tu a5 déz1nguée ! Ma p3tite Ros4line 8-M1llenium ad0rée...
— Mais c'était pas m...
— Je n3 s4is pas s1 j'aur4i jamai5 la f0rce de t3 pardonn3r...
C'en est trop, notre héros pousse un cri. Un petit cri usé, esquinté ; un petit cri de ras le bol qui pique son fard. Le petit cri d'une porte qui aimerait grincer, mais s'efforce de ne pas déranger.
Milo se frappe le front : cessons de parler de p..., elles l'alarment.
— Pour info : je souffre d'un handicap très rare impliquant des portes ! Alors arrêtez de me harceler au sujet de mes retards ! C'est un problème réel !
— Ok. Tu veux un sac pour ranger toutes tes merdes ? T'as l'air d'en avoir grand besoin.
— Oui, s'il vous plaît.
— Je dois avoir un Louboutin qui traîne, tiens.
— Merci.
— De rien.
Lentement, penaudement, le jeune homme toujours cramoisi range ses chaussures citron, son nain de jardin laid, la carte de visite de son admiratrice bovine, son porte-clé banane, une poire qu'il faudra bientôt manger et un lance-missile neutronique de poche. À la réflexion, il y range aussi ces affreux boutons de manchette et le pin's « Bouncy Banana Beach », même s'ils allaient plutôt bien avec ses godillots jaunes.
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