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Milo s'insère dans un minuscule appartement familial où filtrent les rais de projecteurs anti-aériens et où des champignons en décomposition occupent l'essentiel du vide entre les atomes. Nez pincé, la vue bouchée par la poudre en suspension, notre braventurier manque de trébucher sur une mine antipersonnel décorée d'un alphabet cyrillatin. Terrifié, assailli par ses souffles anxieux, il inspire malgré lui le moisi qu'il expectore au bout de sa vie.
— Miiilo... Tu n'es vraiment pas discret.
Pour seule réponse, une toux alarmante et alarmée.
— Tu as vu la taaaiiille de ces mines ? Elles sont facile à éviter, tout de même !
L'Architexte approche une nageoire maladroite d'une bombe et Milo claque des dents, transi de peur.
— Laaaisse-moi te présenter le mobilier. Voici le MUUUR DE LA MOOORT (il pointe le papier-peint amianté), la POOORTE DE LA PERDITION (un placard auquel Milo préfère ne pas songer), le REPOOOS DU HÉROOOS (un sommier dénudé hormis un ressort abandonné) et la PLAAAIIINE DE LA PESTILENCE (la poubelle où des cafards fêtent la chandeleur).
— Euh... Oui. D'accord. Et donc on... On est pendant la Guerre Froide ?
— Non, mais je rêêêve... Milo-bulot, la Guerre Froide c'était dans l'Antiquité, enfin ! D'une : il fait chaud ; de deux : tu vois bien que nous sommes pendant la Premièèère Guerre Mondiale 2 ! Suis, un peu !
Après un petit « tss » bien senti, l'Archer-texte se fait pousser un jacquard à losanges tantôt bleu, tantôt oranges. Ainsi vêtu de l'habit qui ne fait par le moine mais le professeur, il poursuit :
— Je t'ai emmené dans un petit quartier de Washingtongraaad pendant le conflit entre MoscUSA et les États-Vostok. Ce soooiiir a lieu la bataille décisive entre New Gorod et Nov York ! Quelle chance, n'est-ce pas ? Pense à tous les historiens qui rêêêveraient d'être à ta place !
Milo tousse, incapable de répondre ni de penser parmi ces miasmes fongiques. À ces non-mots, le narratarchitexte brandit une arbalète et vise les explosifs.
— A... Architexte... C'est sûrement pas une bonne idée...
Le crachaleau turquo-ambré relève son arme vacillante pour se gratter le rostre ; le carreau toujours enclenché ne semble pas l'inquiéter.
— Hmmm... L'explosion ne fait que queeelques centimètres de rayon, tu sais ? Mais tu as raaaiiison, mieux faut les garder intacts, ça gooonflera les collections du musée de Saint-Philadelbourg.
— Euh... Oui... *kof kof* C'était pour cette raison... Évidemment... *kof kof*
— Quoi dooonc ? Tu les enverrais plutôt à la gaaalerie de Russeattle ? Mais elle n'est même pas accessible au public !
Un mal de crâne bombarde notre triste protagoniste, mais à vrai dire il commence à s'y faire. Le cétacé chamarré, quant à lui, a troqué son arbalète contre une canne à pêche dont l'hameçon effleure dangereusement le mortel instrument pendant une minute qui en dure trois.
— Je ne voooiiis pas pourquoi tu t'inquiètes, admet l'Architexte face au Milo tremblant. Une porte nulle-partouse va bientôt te ravir.
Cette fois-ci, Milo est estomaqué.
— Attends, tu peux pas utiliser cet adjectif-là... C'est... Comment dire... Non...
— Lequeeel ? « Nulle-partouse » ?
Milo se bouche les oreilles ; puis cache la gueule de l'Architexte ; réalise que ses oreilles ne sont plus protégées et les rebouche ; réalise que l'Architexte peut encore parler et panique.
— Mais pourquoi dooonc ? Aaah là là ! Tes histrionneries ne manquent jamais de m'aaamuser ! D'ailleurs, qu'est devenu ton seeeerviteur robotique ? Comment s'appelait-il, déjà ?
Milo fronce les sourcils, la bouche et le nez.
— Gigolion... Mon pire ennemi...
— Aaallons donc ! Son énergie, son endurance, sa vigueur t'auraient bien servi dans tes aventures nulle-partooouuuses !
Un haut-le-cœur ébranle notre jobaroudeur, se répand dans les organes voisins. En simultanée, une flatulence inopinée échappe au maître des portes, du temps et de tous ces machins-là.
— Miiille pardons ! Je ne digère pas les pâââtes. C'est sûrement pour cela que j'ai le cul bordé de nooouuuilles ! Tu préférerais sans doute poursuivre tes expériences nuuulle-partouse auprès de Chrotais ? Voire de... Darque, qui sait ?
Cette fois c'en est trop ! Milo resterait bien discuter de l'amour de sa vie, mais ses poumons prennent les commandes et empoignent la première porte à portée, même si elle donne sur les bombardiers, pour s'extirper de cette touffeur étouffétide. L'opiniâtre, néanmoins, refuse de s'enclencher. Milo s'efforce de communiquer sa détresse par gestes, mais force est de constater que l'Architexte n'y cerne ni sens ni symbole ni saveur. Milo s'avoue vaincu quand bien même il n'en possède qu'un. De toute façon, ses joues gonflées bleuissent, telles un bon fromage auquel il vaut mieux ne plus toucher.
— Est-ce que tu as quelque chose contre la rouille ?
— J'ignooore pourquoi tu demaaandes, mais en effet, je suuuppose que je ne l'aime pas beaucoup.
— Tu... quoi ? Mais... Euh... Est-ce que tu as de l'antirouille ?
— Bien sûûûr ! C'est important lorsqu'on n'a pas pratiqué depuis looongtemps !
— Prati... Quoi ?
Il perd patience ; saisit le rostre rorqual et le colle contre la poignée. D'un coup de nez, le bélugarchitexte enfonce la porte d'entrée.
— Tu pourrais demander la permissiooon, mon petit Mimilooo !
Mais le concerné a déjà pris congé.
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