L'esprit de Milo s'éclaircit, guéri comme par magie. L'Architexte avait raison : la saignée, il n'y a que ça de vrai ! Le soleil clignote, mais il secoue la tête et tout va mieux. Il prend un instant pour papillonner des yeux et reconnaît un trottoir familier. Et un immeuble familier ! Et une rue familière ! Mais... ne se trouverait-il pas juste devant chez lui ? Il lève la tête, et certes : voici son balcon au gratte-cul en pot rabougri.

Une liesse fragile le nimbe, puis s'enfuit fissa lorsqu'il se souvient de ce qu'il arrivera à sa ville, à son pays, à sa toute petite planète. Vite ! Il hèle les passants en quête de la date et de l'heure, mais les piétons pressés n'ont guère de temps à lui accorder.

Soudain, le monde semble s'arrêter : au sortir de chez lui, son double, son sosie. Un peu plus jeune et tout aussi mal rasé, son lui du passé étale en ouvrant la porte la crotte torsadée d'un chien ou autre clampin qui a dû manger beaucoup de carottes et d'M&Ms bleus. Milo-le-jeune se déplace au radar, yeux fermés pour tenter de rattraper une courte nuit agitée. Milo hésite. Est-ce interdit ? Mais après tout, il s'est déjà à peu près croisé ! Il s'interpelle, mais bien sûr ne s'entend pas. Alors notre Milo du présent-mais-pas-trop glisse une main dans sa parka et extirpe un vieux Nokia. Il allume l'écran et étouffe un cri.

Le voilà arrivé : le dernier jour de tout ce qu'il aimait. Son pré-TSD s'emballe et des reviviscences pré-traumatiques lui minent le moral et lui sapent la sève.

La nouille de l'Architexte s'agite dans son esprit. Ses torsades ambre et turquoise tournoient dans l'espoir de lui rappeler un élément oublié.

— Mais c'est bien sûr ! s'écrie Milo. Un pickpocket devrait bientôt me voler pour me sauver !

À ses mots que son double décaféiné n'a même pas perçus, personne ne paraît. Aucun individu suspect, hormis les yeux qui le scrutent depuis le caniveau. Le temps commence à passer et Milo (du présent, enfin par rapport au passé) à stresser. Il plante ses deux pieds au sol et, une fois ses chakras alignés, réalise ce qu'on attend de lui : Je suis le pickpocket ! Je dois m'auto-pickpocketer pour me sauver moi-même de la fin du monde !

Il se jette sur son autre lui, détale avec le butin.

Victoire ! Milo obtient un téléphone rayé, un trousseau de clés dont la moitié sont à jeter et 30 points d'XP.

Une exclamation admirative s'échappe de la fosse septique. Le Milo du passé, soudain réveillé, s'élance à sa poursuite, mais sa coordination n'a pas encore démarré et il n'écope que de contusions.

Milo (le plus récent, suivez un peu) se cache derrière l'angle d'un bâtiment pour s'assurer du bon déroulement de l'épisode introductif. Il attend encore, mais son double sonné n'a toujours pas bougé. Doigts croisés pour que tout s'emboîte comme une éventuelle soirée entre Darque et lui, il hésite à déposer son auto-victime devant l'hôtel.

En parlant de Darque, le Roi démon s'extirpe du caniveau d'où il comptait assister à la fin du monde de la matinée. Derrière son veston noir de nuit, son petit cœur bat la chamade pour cet ÉPHÈBE, cet APOLLON a l'âme si sombre qu'il s'auto-attaque ! Le Seigneur des Ténèbres lui-même n'aurait jamais osé. Quelle audace ! Il aurait pu se tuer ! Darque ne tient plus et glisse à l'amour de sa vie la carte de l'hôtel où le retrouver.

Le Milo assommé se réveille, contemple le bout de papier et la suite, vous la connaissez.