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Je m’armais de patience en prévision des remarques acerbes que j’aurais à subir. Car ne buvant pas d’alcool et de surcroît, étant le « mec que Béa se paye », les mauvaises langues avaient de quoi mouliner.

Beaucoup d’hommes m’en voulaient pour de supposées cornes que je leur avais infligés. Beaucoup plus de femmes m’en voulaient pour les avoir « oubliées ». Le petit personnel m’en voulait d’être un gueux qu’il fallait servir avec forces courbettes. Et il y avait les chiens, surtout les affreux rases-moquette dont j’avais passé certains par la fenêtre. Oui, les chiens peuvent voler ! C’est un fait avéré.

Avec mon verre de Champagne rosé à la main (je me contentai d’y tremper mes lèvres) je déambulais parmi la faune… amis de façade, jalousies larvées. Le problème du riche c’est qu’il y a toujours un plus riche que lui.

Pourquoi je ne bois pas d’alcool, comme tous les alcooliques en société ? Boire ou baiser, il faut choisir ! J’ai fait mon choix. Je mourrai la queue dardée et pas cirrhotique. C’est dit.

Sur les recommandations insistantes de Béa, je me tenais à l’écart, circonspect, écoutant des inepties débitées avec sérieux. Ils sont riches et incultes. C’est une réalité, l’intelligence ne conduit pas à la richesse. Le Qi élevé n’est pas un gage de réussite sociale. Mais le pire c’est que les gens en charge des responsabilités ne sont pas les plus compétents. Jamais. Non, ce sont les plus cons, les plus fourbes, les plus…

— Laurent, vous savez que je vous en ai beaucoup voulu… Sur le moment, je l’avoue, j’ai souhaité votre mort !

C’était la baronne de… que j’appelle affectueusement Louise, une femme ronde et gracieuse si ce n’est un nez un peu trop grand pour son visage. Par ailleurs altière, arborant un chignon inamovible et des lunettes de presbyte pendouillant à une chaînette.

— Ma chère, vous resplendissez !

— Incorrigible flatteur ! Serez-vous sage ?

— Comme une image. La boue a fait des miracles à votre teint.

— Vraiment ? Vous trouvez ?

— Il paraît que la bouse Yack fait des prodiges sur la peau.

— C’est vrai. Mais cela pue terriblement.

— L’odeur passe, l’éclat reste.

— Poète. Vous vous fichez de ma poire, comme d’habitude ?

— Jamais je n’oserai !

Elle fut accaparée par des arrivants de marque et m’abandonna.

Il se trouva alors qu’une femme, fort belle et inhabituellement jeune dans cette assemblée me regardait. J’allai la saluer. Elle se prénommait Estelle, assurément la trentaine conquérante, sûre de sa séduction.

— Que faites-vous dans la vie ? demanda-t-elle, une des premières question qu’une femme pose à un homme.

C’est une question que me cause beaucoup d’embarras. Si je réponds doc, une femme française a un orgasme direct et trempe sa lingerie à l’idée d’avoir une consultation sans rendez-vous. Aussi, je ne le dis jamais.

— Je suis écrivain… Enfin j’étais.

— Vous étiez ? Vous n’êtes plus ?

— Non. On m’a fait comprendre que je n’ai aucun talent.

— Ah… Redites-moi votre nom… j’ai peut-être lu quelque chose de vous, je lis beaucoup.

— C’est très improbable. De toute façon j’écris sous pseudonyme.

— Quel est-il ?

— Docno.

Elle haussa ses sourcils gracieux.

— Mais j’ai lu du Docno !

— Nan… Sérieux ?

— Mais si… Vulgaire, odieux, sexiste, scato… Vous savez que des groupes de femmes féministes veulent la peau de ce dinosaure mâle, cet archaïsme ? C’est donc vous ?

— Bah… De toute façon je n’écris plus. Inutile d’en parler.

— J’avoue que je ne vous voyais pas comme ça.

— Déçue je suppose.

— Non, non… au contraire. Pourquoi cette haine des femmes ?

— Elles m’en ont trop fait.

— Mon pauvre, fit-elle tout en riant.

— Et vous ma chère que faites-vous dans la vie ?

— Je suis écrivaine. Invitée par le comité…

— La vache ! La vache !

Oui, je l’avoue, une pointe de jalousie me submergea. Béa, membre du jury ne m’avait même pas prévenu. Cela me restait en travers de la gorge.

— Pardon ? fit la belle écrivaine.

— Non rien… Une allergie, je suppose. J’imagine que vous avez du talent vous…

Elle sourit. Elle était d’un naturel réconfortant.

— Non… Je suis trop consensuelle et littéraire… trop « scolaire ».

— C’est ce que cherchent les comités. Pas de vagues, conformisme total.

— Probablement. Vous êtes venu avec votre femme ?

— Pas marié !

— C’est évident. Un type de votre « calibre »… fit-elle enjouée.

— Madame connaît ses classiques.

— Mais pourtant, cette femme très belle, qui nous observe… avec une pointe de jalousie.

— C’est personne.

Elle pouffa de rire. Béa n’y tint plus. Elle s’imposa avec la grâce d’un éléphant.

— Mademoiselle, j’espère que « mon » compagnon ne vous importune pas ?

— Nullement. Entre écrivains nous devisions.

— Il n’est « pas » écrivain !

— Pourtant j’ai lu ses romans… C’est donc qu’il est…

— Laurent est doué en tout ! Mais il gaspille les dons dont la nature l’a si généreusement pourvu. Il le sait !

— Certainement, admit poliment Estelle.

Sans plus de manières, Béa m’entraîna.

— Laurent, tu draguais cette pouf sous mes yeux !

— Absolument pas. Une lectrice.

— Tu n’es pas écrivain, bordel !

— I know… I know…

— Et ne te fiche pas de ma gueule !

— Aucunement.

— Tu me rends folle !

— Tu es folle !

— Laurent !

Je n’écoutai déjà plus Béa… J’avais une lectrice, une femme m’avait lu. Quant à celles qui voulaient ma peau au nom de la sororité outragée… Pfff… Je méprisai. De toute façon, personne ne connaît mon identité secrète, même moi je m’y perds.

Je suis un super-héros-écrivain. Tout dans le masque, comme Fantômas !

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