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C’est alors que les évènements prirent une tournure improbable. D’abord, Béa m’embrassa ostensiblement, m’asphyxiant littéralement, comme mue par un amour fougueux totalement inapproprié pour une femme de son âge. C’était aussi incongru que deux quinquas se promenant en se tenant par la main comme des collégiens boutonneux tout à leur émoi d’un premier amour.
Elle murmura :
— Tu n’imagines pas à quel point je t’aime !
J’en restai baba. Une femme qui venait de m’écraser comme une merde, m’avouant que je n’avais aucun talent d’écrivain et qui disait m’aimer ? Cela se pouvait-il ? Je songeais à la maxime « qui aime bien châtie bien ». Je n’aime pas être châtié ! Voilà !
Le commité alla se réunir pour ses délibérations préparatoires. Je restai désespérément inoccupé. C’est réellement un problème pour un type comme moi. Ne jamais me laisser inoccupé. Never.
Que faire ? J’avais envie de baiser après le bisou brûlant, ma queue me reprochait une fausse joie.
Sans idée préconçue, c’est le mieux pour l’innovation, j’allai en exploration. Je tombai sur la salle à manger que des petites mains prolétaires s’activaient à parer de mille attentions.
J’eus soudain une petite faim, il faut dire qu’avec la conjoncture serrée et les prix flambants, je mangeai peu ces derniers temps. Dormir sous un toit ou bouffer, j’avais fait mon choix. J’étais devenu svelte comme un lacet. Le monde n’a aucune pitié pour les inactifs créatifs.
Je fonçai à la cuisine et tombai nez à nez avec un aquarium, dernière résidence de malheureux homards. J’en raffole. C’est pour moi une véritable addiction.
James me voyant, vint à moi avec obséquiosité.
— Monsieur Laurent est perdu ? Sa place n’est point ici.
— C’est possible d’avoir un en-cas de homard ?
— Plaît-il ?
— Passe-moi ce connard de homard au court-bouillon et je te file 100 boules !
— Monsieur plaisante ?
— J’ai faim, bordel !
Un sourire énigmatique éclaira le visage de James.
— Que monsieur s’installe. Marinette, préparez un homard pour Mossieur Laurent.
— Mais c’est… s’étonna la mitrone.
— Le gros là ! indiquai-je, péremptoire.
— Il a dit le gros !
— Vous êtes sûr, parce que ça fait beaucoup… Il est énorme l’animal !
— Le gros ! insistai-je.
— Faites ce que Mossieur Laurent demande !
— Thé glacé, toast légèrement grillés et pas brûlés… Z’avez pas une lichette de Beluga ? demandai-je, affamé.
— La réserve personnelle de madame la baronne ? demanda James.
— Celle-là même !
— C’est que madame la baronne ne va pas apprécier…
— Elle m’adore ! Elle vient de me le dire !
Tandis que je m’installai à la grande table de la cuisine, encombrée de plats et de linge de table que je poussai sans ménagement, impatient comme à mon habitude, on s’affaira. La grande boite de caviar ne fit pas long feu. Je conviai volontiers les « serviteurs » à en tortorer avec moi, ce dont ils ne se privèrent pas. Quant aux malinois, ils étaient devenus mes potos, se pourléchant les babines, trônant à mes côtés.
On m’apporta le homard fumant. Je beuglai :
— La bavette ! La bavette !
C’est avec empressement que James me noua le bavoir autour du cou tandis que je bâfrai allègrement comme un porcelet déchaîné, grognant, suant, bavant, rotant, pétant…
Ce spectacle indécent marqua profondément l’assistance ébahie, mais plut beaucoup aux braves chiens. J’ai une espèce d’animalité qui est une connivence avec le monde animal. Le pauvre homard que je cajolai de noms tendres « mon bon Omar » ou « je t’aime trop toi, pardon » tandis que je l’engloutissais avec gourmandise ne fit pas long feu malgré sa taille hors norme. Mais je n’étais point encore réellement rassasié. Il me fallait faire des réserves pour l’hiver.
— Pas moyen d’avoir une petite « viandinette » ?
La mitrone s’indigna, mains sur les hanches !
— Mais monsieur ! Vous allez vous rendre malade !
— J’ai faim !
— Faites cuire une viande pour Môssieur Laurent ! commanda James.
— Mon bon James… Je t’ai mal jugé, fis-je la larme à l’œil.
— Mossieur est trop bon.
— T’es un type bien en réalité. T’as une tête de fouine, une face de collabo mais… tu me comprends, hein, mon bon James ?
— Absolument ! Merci bien monsieur Laurent. Une boisson gazeuse pour faire passer ?
— Sers-moi James !
Je trouvai un goût au Perrier, mais n’y attachai aucune importance, m’attaquant à ma viande et partageant avec les chiens qui m’appréciaient de plus en plus, ne ménageant pas les léchouilles baveuses.
Repu, me massant mon ventre rebondi, je fus soudain saisi d’une odieuse crispation abdominale. En réalité, j’étais sur le point de crever. Je me précipitai en courant vers la chambre dans l’espoir d’arriver à temps sur le trône… L’heure était grave, je dirai même dramatique : faire dans son falzar est une chose impensable pour un gentleman !
Dans l’escalier que j’escaladai littéralement, sautant plus que courant, je me heurtai à la belle Lucile que je faillis faire passer par la rambarde :
— Dégage, la grosse !
— Mais enfin Laurent ! Je te cherchai… Je...
— Tu vois pas que je vais crever ?! Ah !
— Mais enfin que… Laurent !
J’étais déjà loin… Je lâchai des gaz pires qu’un vieux Diesel, surtout au niveau odeur. Au bout de ma vie, je me laissai tomber sur la cuvette. Mon ventre n’était qu’une douleur absolument incroyable. Pour vous donner une idée, imaginez une troupe d’orcs qui seraient entrés par effraction dans votre cul et qui feraient la java dans vos boyaux, en beuglant des insultes elfiques… Vous ne savez pas ce qu’est un orc ? Vous n’avez pas lu Tolkien ? Hors de ma vue !
Mes fesses n’avaient pas atteint l’abattant que j’avais déjà repeint la cuvette ! Je venais de comprendre enfin l’utilité du loquet de la porte des chiottes. C’est pour éviter un désastre de la sorte au pauvre malheureux qui se trouverait là par inadvertance, tandis qu’un malade comme moi se précipiterait.
Mon mal affreux ne cessait pourtant pas après cette première salve. Pire il s’aggravait. Je grognai tentant d’expulser le démon de mon corps. C’était atroce. J’appelai la mort de mes vœux ; certes on m’aurait trouvé clamsé sur le trône ce qui est une grande honte, mais je m’en fichai. Quand on est mort on est mort !
Tout à mon effort de poussée furieuse, m’attendant à voir un alien sortir, je vis une lettre passer sous la porte de la salle de bain et glisser au sol. Quelqu’un se trouvait là derrière la porte et avait pris la peine de m’écrire ? C’en était trop ! Je hurlai :
— Bordel, je chie là ! On peut pas être tranquille cinq minutes ?
— Que môssieur m’excuse, mais il fallait absolument qu’il sache !
C’était la voix de cette crapule de James DINE ! J’attrapai la missive après de déchirantes contorsions, l'ouvrit salement avec impatience et pris connaissance :
« Mossieur Laurent ! « Mon ami »… Tu vas crever, racaille ! J’ai mis du Chimax de madame la baronne dans ton Perrier. C’est le plus puissant laxatif du monde. Fini de te foutre de ma gueule ! Tes frasques m’ont trop pourri la vie ! Il faut t’empêcher de nuire à tout prix !
Tu es là où je le souhaitai. Je viens de déclencher la minuterie d’une petite bombe que j’ai confectionné avec du nitrate d’ammonium et de la poudre noire des cartouches de ball-trap de madame la baronne. Tu n’en sortiras pas vivant ! Surtout n’oublie pas de tirer la chasse, pense au "petit personnel " ! »
Ce con de James ! Il fallait absolument que je me tirailleur ! Mais comment faire ? J’étais foutu parce que la débâcle ne cessait pas. Peut-on avoir tant à chier ? Comment cela était-il possible ? Ce Chimax était-il aussi efficace pour déboucher les canalisations ? Je me perdais en conjectures.
Tandis que j’en étais là de mes réflexions, j’entendis une petite voix à travers la porte :
— Laurent ? C’est toi qui grognes affreusement comme ça ? Tu es malades ?
C’était la voix suave et distinguée de Lucille. J’enrageai : ce n’était pas une salle de bain, c’était un hall de gare !
— Mais bordel, je chie là ! On peut avoir un minimum d’intimité ! beuglai-je.
— Laurent, tu as été très grossier avec moi ! Tu m’as traitée de grosse ! J’attends des excuses !
Une illumination se fit dans mon esprit.
— Lucille, entre !
— Pardon ?
— Entre je te dis !
— Mais enfin ! C’est totalement inconvenant !
— Bordel, ouvre cette porte et viens m’aider !
— T’aider ? À quoi ? Tu me fais peur !
J’ouvris la porte. La pauvre Lucille détourna le regard du spectacle et faillit défaillir de l’odeur.
— Enlève ta chaussure de merde, mets ton pied sur mon ventre, là, et pousse !
— Tu es complètement dingue, Laurent !
— Pousse, bordel, c’est une question de vie ou de mort ! Je vais crever !
Avec précaution, relevant sa belle robe, dévoilant un mollet rond adorable, elle appliqua son pied glacé sur mon ventre.
— Pousse !
— Mais je pousse !
— Mieux que ça !
— Mais enfin… C’est ignoble ! Laurent tu es complètement fou...
— Je sens que ça vient ! Vas-y ! Donne tout !
— Laurent ! rugit la belle.
— Ah !
Un bruit sourd ébranla la cuvette, me libérant soudain d’un poids colossal. D’un bon, je fus debout et me mis en devoir de fouiller la salle de bains à la recherche de la bombe de James. En ouvrant le réservoir de la chasse d’eau, que j’arrachai, j’y trouvais un paquet enveloppé dans un sac en plastique transparent. Une minuterie égrainait le temps qu’il me restait… et il ne restait pas grand-chose.
Mon pantalon sur les chevilles, d’un mouvement vif, j’envoyai l’objet malfaisant par la fenêtre de la salle de bains, brisant la vitre au passage.
La chose infâme vola et atterrit dans la cour d’honneur emplie de véhicules coûtant plus cher qu’une maison de Français moyens. Un bang terrible se fit entendre, toutes les vitres de la façade de la Grenouillère, volèrent.
Madame la baronne qui somnolait, assommée par les discussions stériles du comité, sursauta malgré sa surdité, puis eut un spasme au visage et hoqueta.
On s’affola partout. On crut à un attentat terroriste.
— James ! James ! C’est un attentat ? demanda la pauvre baronne.
— Non madame ! C’est une révolution !
— Qu’est-ce que vous dites ? Les communistes ?
On se précipita. Dans la cour d’honneur, c’était un désastre total : ce con de James en avait mis dis fois trop ! T’en as trop pris gros !
Le carnage était total : il ne restait pas une voiture intacte. Certaines explosèrent plus tard, comme la batterie de la Tesla de Béa. Elles faisaient du zèle.
Mais sans moi et ma présence d’esprit remarquable, c’était le château qui aurait été pulvérisé et les gens dedans envoyés sur Mars. J’étais en fait le sauveur. J’étais un héros !
On me chercha partout. Ne me trouvant pas, immédiatement, on me soupçonna injustement. Reprenant ses esprits, madame la baronne s’exclama :
— C’est Laurent ! C’est lui ! Ça ne peut être que lui, ce salopard ! James, lâchez les chiens !
— Oui madame la baronne ! Avec bonheur ! Khadafi, Mobutu !
Mais les chiens affolés par le bruit, s’étaient tirés à l’autre bout du parc. On mit deux jours à les retrouver.
Quant à moi… En me retournant je vis le visage de Lucille sur lequel se peignait une expression terrible. Jamais de ma vie je ne vis un tel dégoût sur le visage d’une femme. Et pourtant j’en ai écœuré beaucoup.
— Mais quoi ? On a voulu m’assassiner ! J’ai été empoisonné ! plaidai-je.
— Laurent, j’en ai vu des connards, mais comme toi… Jamais ! Ça dépasse tout ! Ce que tu m’as fait faire… C’est… Il n’y a pas de mots !
Là-dessus, Béa, se précipitant à ma recherche, affolée, craignant le pire, entra dans la salle de bain, glissa et s’affala de tout son long. Elle est terrible cette femme, elle n’en rate pas une.
Allai-je pouvoir expliquer ma tenue excentrique et la présence de Lucille dans la salle de bain ? Injustement accusé, qu’allai-je devenir ? Les assurances allaient-elles prendre en charge les dégâts incalculables ? Le Chimax avait-il terminé son œuvre diabolique sur mon colon ? Les toilettes et la salle de bain étaient-elles encore utilisables ou fallait-il les condamner définitivement ?
Pour le savoir, ne manquez pas le prochain épisode du pénitent. Pour ma part, je vais m’allonger un peu. J’ai une grosse fatigue.
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