Chapitre 2 : LE PRIX DE L’ALLIANCE 

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Le vent soufflait lentement sur les rives du fleuve Kongo, un vent lourd de promesses et de désespoir. Les premiers contacts avec les Portugais avaient porté des fruits, des échanges amicaux et des sourires échangés. Le royaume prospérait sous le regard bienveillant de son souverain, le roi Afonso I. Pourtant, la paix fragile qu’il croyait avoir instaurée avec les Portugais ne tarderait pas à se briser, mettant à nu la brutalité du commerce des esclaves.

“Rappelez-vous, mes sujets, de nos accords avec le Portugal,” disait souvent le roi Afonso, son regard ferme sous le poids de ses responsabilités. “Nous devons embrasser la culture du Portugal, nos enfants devront porter des noms portugais. La modernité ne se trouvera que par ce chemin.” Ses paroles résonnaient dans la cour royale de Mbanza Kongo, une grande cité bâtie aux rives du fleuve, aux maisons en bois sculpté, aux toits de chaume, et aux murs ornés de fresques colorées représentant les ancêtres du royaume.

La conversion au christianisme était désormais un fait, avec l’église imposée dans les villages. “Nous devons montrer au monde que le Kongo est civilisé,” expliquait Afonso, alors qu’il ordonnait la destruction de tout symbole de fétichisme dans le royaume. Chaque jour, des soldats s’aventuraient dans les villages reculés, brûlant les statues des ancêtres, et intimidant ceux qui osaient encore prier les esprits.

Dans une des lettres d’Alphonse Ier envoyé au roi du Portugal Manuel Ier, Alphonse Ier demande au roi du Portugal Manuel Ier d’envoyer beaucoup d’ingénieurs Portugais au Kongo dia Ntotila (ou Ntotela) afin qu’ils forment l’élite Kongo à la technologie. Le roi du Portugal accepte à la condition qu’ Alphonse Ier paie en humain. Bien qu’il s’était opposé au début, Alphonse Ier finit par accepter en donnant des prisonniers de guerre et des criminels mais quelque temps après Alphonse Ier s’aperçoit du non-respect du pacte par les Portugais. En effet un nombre d'architectes, de médecins et de pharmaciens Portugais se tournent vers le commerce plutôt que d'exercer leur profession et ignorent les lois du Kongo.

En 1510, Alphonse Ier demande à Manuel Ier d’envoyer un représentant ayant autorité sur ses compatriotes Portugais mais Manuel Ier répondit par un ambitieux plan d'occidentalisation de la société Kongo en échange d'ivoire, de cuivre et d'humains. Afonso rejeta la plus grande partie de ce plan, mais l'expansion du commerce d'esclaves présentait de sérieux défis pour la stabilité du Kongo et la relation avec le Portugal se détériora. Les esclaves étaient des prisonniers de guerre et des criminels mais les Portugais ne s’en contentèrent pas. Les Portugais dépassèrent les limites en allant dans les États vassaux du Royaume Kongo et en s’impliquant massivement dans les affaires Kongo.

En 1520, l’explorateur portugais Manuel Pacheco, se rendit compte que les chefs côtiers de l’Angola actuel furent désireux de commercer directement avec le Brésil, sans subir la tutelle Kongo. De ce fait, les navires ne passant plus expressément à Mpinda, port dans la zone de Soyo, la province maritime du royaume de Kongo, la traite devint plus incontrôlable ainsi en 1526 des nobles faisant partie du lignage royal furent déportés. Afonso I écrivit au roi João III pour dénoncer les abus de la traite, chose qu’il eut aussi fait en 1514 puis auprès du Vatican.

Vaine tentative car le Brésil est désormais une colonie demandeuse d’esclaves, la traite négrière est désormais indispensable à l’économie coloniale. Afonso accusa les Portugais d'aider des brigands dans son propre pays et d'acheter des citoyens libres.

Le Portugal prétendait traiter le Kongo sur un pied d'égalité mais a limité la souveraineté du Kongo à plusieurs niveaux. Sur le plan commercial, le Portugal n’a pas réussi à recadrer les commerçants Portugais qui contournaient les lois du Kongo ; sur le plan juridique, le Portugal a toléré les activités illégales des Portugais vivant au Kongo ; sur le plan religieux, le Portugal a cherché à abolir les croyances et pratiques religieuses Kongos.

Dans les rues de Mbanza Kongo, les bruits de la ville vibrent. Les Kongo, en habits de soie, à l’élégance mêlée de tradition et de modernité imposée, se pressent autour du roi pour entendre sa voix. Des toges aux bords brodés de symboles européens flottent dans les rues. Les enfants jouent autour du feu, chantant des chansons portugaises avec des accents forcés.

“Tous les enfants doivent apprendre à porter des prénoms chrétiens,” annonce le préfet de la ville, un regard ferme sur ses lèvres. “Ceux qui ne respectent pas cela devront subir les conséquences.”

Une petite fille, au visage innocent, regarde sa mère. “Pourquoi dois-je changer mon nom, maman?”

La mère soupire, ses yeux pleins de tristesse. “Parce que c’est ce que le roi veut. Ce sont les lois.”

Les regards se croisent. La douleur de l'imposition est palpable dans l’air lourd de la ville. Et sous cette tension, de nouvelles graines de révolte germent.

Mais le plus grand bouleversement survient à l’intérieur même du royaume, là où le roi Afonso, face aux menaces, finit par être contraint d’accepter les décisions portugaises. En 1526, quand des membres du lignage royal furent envoyés dans les terres du Brésil, Afonso, le cœur déchiré, se tourna vers la seule option restante : la résistance.

“Je vous ai demandé de respecter le Kongo,” écrivit-il une dernière fois au roi du Portugal. “Mais vous n’avez pas respecté la souveraineté de notre royaume. Ce que vous faites est un affront à tout notre peuple.”

Dans une des lettres d’Alphonse Ier datant de 1526 destinée au roi du Portugal João III :

« Chaque jour, les commerçants enlèvent notre peuple - les enfants de ce pays, les fils de nos nobles et de nos vassaux, même des membres de notre propre famille. Cette corruption et cette dépravation sont si répandues que notre terre est entièrement dépeuplée. Nous n’avons besoin dans ce royaume que de prêtres et des instituteurs, et non de marchandise, à moins que ce ne soit du vin et du pain pour la messe. Nous souhaitons que ce royaume ne soit pas un lieu de commerce ou de transport d’esclaves. Un nombre de nos sujets désirent ardemment les marchandises portugaises que vos sujets ont introduites dans nos royaumes. Pour satisfaire cet appétit démesuré, ils s'emparent de beaucoup de nos gens, des hommes libres et hommes exemptés, et très souvent il arrive qu'ils enlèvent même des nobles et des fils de nobles, et nos parents, et les emmènent pour les vendre aux hommes blancs qui sont dans nos royaumes ; ils les cachent ; d'autres sont secrètement emmenés pendant la nuit pour qu'ils ne soient pas reconnus. Dès qu'ils sont entre les mains d'hommes blancs, ils sont marqués au fer rouge. Lorsque nos gardes les reconnaissent lors des embarquements sur les bateaux, les blancs prétendent les avoir achetés et ils ne peuvent pas dire à qui. Il est de notre devoir de faire justice et de rendre aux hommes libres et hommes exemptés leur liberté, nous ne pouvons pas mener à bien notre mission car vos sujets prétendent être offensés, lorsque nous leur faisons remarquer cela. Pour éviter cela nous avons adopté une loi selon laquelle tout homme blanc vivant dans nos royaumes et voulant acheter des marchandises devra d'abord en informer trois de nos nobles et fonctionnaires de notre cour sur lesquels nous nous appuyons pour cette affaire, à savoir Dom Pedro Manipanza, Dom Manuel Manissaba, notre huissier en chef, et Goncalo Pires notre cargo en chef qui contrôleront la légalité des marchandises et donneront leur aval (…) »

Le commerce des esclaves était devenu une machine, inarrêtable, qui dévorait son propre peuple. Et dans les cœurs des Kongos, un désir ardent de reconquérir leur héritage continuait de brûler.

Les relations entre le roi Afonso et les Portugais se détériorent, un attentat contre sa personne est manqué le jour de Pâques 1539. Afonso Nzinga Mvemba meurt en 1543, dans des circonstances inconnues.

——

* Ce récit couvre la période allant de la fin des années 1500, peu avant 1510, jusqu’à 1543.

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