Chapitre 14 : LE MAÎTRE ET L’ESCLAVE - L’AMOUR INTERDIT 

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Quelques mois s’étaient écoulés depuis l’arrivée de Nkulu, désormais appelé Charles Walford, dans la maison de son maître, le riche marchand d’esclaves John Walford. Celui-ci, un Anglais au visage marqué par les années, avec une barbe soigneusement taillée et une allure imposante, venait tout droit d’Angleterre pour s’établir dans la nouvelle terre. Son regard froid, comme celui de nombreux marchands de l’époque, cachait une ambition dévorante : faire fortune grâce à l’exploitation des humains. Mais contrairement aux autres maîtres qu’il avait connus, Nkulu sentait que cet homme, bien qu’impitoyable, ne lui offrait pas un traitement aussi brutal que celui des Portugais. Il l’avait pris sous son aile, offrant un traitement plus humain, presque paternel.

Nkulu avait encore du mal à comprendre cette nouvelle réalité. En arrivant chez Walford, il n’était plus un simple esclave, il était devenu un « homme libre », dans un sens étrange, en servant son maître. Il avait un nom nouveau, Charles, un nom qu’il ne savait pas prononcer sans ressentir une gêne. Mais peu à peu, il avait appris à accepter cette nouvelle identité. Après tout, à l’instant où il avait vu son nom gravé dans les papiers officiels, il n’était plus qu’un simple objet, il appartenait à un homme, un blanc.

Un jour, alors qu’ils marchaient ensemble dans les jardins de la propriété de Walford, Nkulu, toujours respectueux, se tourna vers son maître, hésitant à l’interroger.

"Seigneur, dois-je… enfin, dois-je continuer à vous appeler ainsi ?" demanda-t-il doucement, une note d’incertitude dans sa voix.

John Walford s’arrêta, tournant son regard bleu acier vers Nkulu. "Non, Charles, tu peux m’appeler ‘Monsieur’ ou ‘Maître’, mais jamais ‘Seigneur’. Le terme appartient aux Portugais, et nous, les Anglais, sommes différents. Nous devons nous respecter les uns les autres, mais jamais nous considérer comme des rois ou des seigneurs."

Nkulu acquiesça d’un signe de tête, se sentant quelque peu rassuré par ces mots. C’était une forme de reconnaissance. En dépit de son statut d’esclave, il avait quelque chose de plus, un peu de dignité que ses précédents maîtres ne lui avaient jamais accordée. C’était un maigre réconfort, mais tout de même, il le ressentait profondément.

Walford avait appris à apprécier Nkulu. Cet esclave, avec son corps musclé et sa peau noire éclatante, n’était pas qu’un simple travailleur. Il était aussi respectueux, assidu, et surtout, d’une honnêteté rare dans ce monde où les hommes étaient pris dans un tourbillon de mensonges et de vices. L’amour de la culture, le respect du savoir et de l’effort étaient des qualités que Walford chérissait particulièrement, et il trouvait tout cela chez Nkulu. Cela n’échappait pas aux autres esclaves de la maison, qui le regardaient avec respect.

Les servantes noires d’Isabelle, qui étaient très proches d’elle, étaient les seules à connaître la vérité sur la relation secrète entre elle et Nkulu. Elles avaient vu les regards échangés, les sourires furtifs. Un soir, alors qu’elles s’étaient réunies dans la cuisine, Maria, une des plus âgées et sages parmi elles, lança la question fatidique, comme si elle avait attendu ce moment depuis longtemps :

"Tu sais, Isabelle," dit-elle doucement, "Tu es la fille de Monsieur Walford, un blanc, et lui, Charles, il est un noir, un esclave. Pense à ce que cela implique. Ce monde, avec ses lois, ses barrières, ses racines profondément ancrées… Vous avez fait un bon choix, mais est-ce que vous pourrez tenir face à cela ?"

Isabelle, ses yeux brillants d’amour et de conviction, répondit sans hésiter. "Je suis prête. Rien ne pourra nous séparer, Maria. Je n’ai jamais cru aux différences imposées par la couleur de la peau ou les rangs sociaux. Charles, c’est mon choix. Nous vivrons cet amour comme il se doit."

Les yeux de Maria s’adoucirent, mais elle resta silencieuse. Elle savait que l’amour pouvait être une force puissante, mais elle savait aussi qu’il pouvait être une arme à double tranchant.

Le secret d’Isabelle et de Nkulu grandissait à chaque jour qui passait. Les endroits où ils se retrouvaient étaient choisis avec soin, souvent à l’extérieur, au milieu des arbres du jardin ou dans des recoins discrets de la maison. Ils étaient conscients du danger, mais leur amour était plus fort que tout. Leur passion fleurissait dans l’obscurité de la nuit, à l’abri des regards, là où personne ne pouvait les juger.

De l'autre côté, seul un autre esclave savait ce qui se passait : Lelo, un jeune homme que les Portugais avaient donné comme nom « Jack ». Comme un frère pour Nkulu, Lelo lui avait souvent déconseillé de jouer à ce jeu dangereux avec la fille d’un maître blanc.

"Tu es un homme intelligent, Charles," disait-il d’une voix grave, "Mais ne te laisse pas emporter par cette folie. Tu sais, les cœurs des blancs, ils sont pleins de contradictions. Regarde, tout ce que tu fais, tout ce que vous ressentez, n’aura pas de place dans ce monde. Ce n’est pas le vôtre. La séparation entre nous est bien plus grande que ce que vous pouvez imaginer."

Mais Nkulu, ou Charles Walford, ne voulait pas entendre ces avertissements. Ses yeux brillaient d'une détermination farouche, une détermination qui n’avait pas de place pour les doutes.

"Je n'ai pas d'autre choix, Lelo," répondait-il en toute tranquillité, "Je me fais une promesse, une promesse envers moi-même et envers elle. Peu importe les risques, j’irai jusqu’au bout."

La maison de Walford, imposante et élégante, représentait un monde différent, un monde où les valeurs et les traditions des peuples se heurtaient et s’entremêlaient. Les murs étaient décorés de tapisseries somptueuses, les sols en marbre poli, les meubles en bois sculpté. Les domestiques, vêtus de longues robes sombres et de coiffes propres, se déplaçaient silencieusement dans les couloirs. Les femmes portaient des robes aux tissus épais et aux couleurs riches, contrastant avec les vêtements plus sobres des hommes, qui étaient souvent habillés de costumes en velours et de chemises blanches soignées. Dans ce monde, la hiérarchie était palpable, mais l’amour secret d’Isabelle et de Nkulu brillait comme un phare dans cette obscurité sociale.

Ainsi, au milieu des conversations discrètes, des décisions difficiles et des moments furtifs d’amour, Nkulu et Isabelle étaient liés par des chaînes invisibles, des chaînes que ni la couleur de leur peau, ni leur statut social ne pourraient briser.

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