1.2
La foule, sur la Grande Avenue Princière, était si compacte que l’on ne pouvait distinguer les pavés au sol. Des armées d’enfants juchés sur les épaules de leurs pères applaudirent les éclaireurs, placés à l’avant de l’armée, puis l’infanterie, et, enfin, la cavalerie éléphantine. Juché sur son pachyderme favori, Bhagttat attirait sur lui tous les regards. Pratha ne se rappelait pas avoir déjà ressenti une telle quantité d'énergie. Une averse de fleurs s’abattit sur l’armée toute entière, de nombreuses femmes agrippaient sa tenue et lui hurlaient des mots doux, tandis que les hommes semblaient placer, dans l’espace d’un sourire, tous leurs espoirs en lui. Bientôt, l’armée atteignit la porte de Jarapour et s’engouffra dans le bassin samsharadhi. Le Soleil commençait à disparaître derrière l’eau du Jangour.
Une fois ses tympans apaisés, Pratha prit une profonde inspiration et évacua toute l’énergie accumulée lors du défilé. Il distingua, juste derrière lui, la marque psychique de Vartajj.
« Que faites-vous ici ?
- Oh, par pitié, on peut se tutoyer. Je ne suis pas si vieille ! répondit Vartajj en approchant son cheval de Bardéo.
- Je… c’est-à-dire que je suis surpris.
- Je vois ça ! On dirait un esprit tellement t’es pâle ! Et pour répondre à ta question, mon père m’a demandé de suivre le Prince pour établir des contrats sur le chemin. Tu te doutes qu’en temps de guerre les manufactures tournent à plein régime. »
L’idée de percevoir la guerre comme une simple opportunité économique répugna Pratha. Comment le sang des djahmaratis pouvait-il être conçu comme un moyen d’accroître son profit ?
« Le Prince est au courant de…
- Bien sûr qu’il l’est ! Ne tire pas cette tête, je vois bien que ça te dégoûte. Tu sais, mon père finance en partie l’armée. Si le solde est aussi généraux, c’est en partie grâce à lui… et bientôt grâce à moi. Si je négocie correctement, l’entreprise devrait exploser, et alors on inondera les Rébéens sous des vagues d’automates !
- L’argent est le nerf de la guerre, hein ? »
Le chevalier plongea ses mains dans la crinière de Bardéo, et concentra son regard sur les derniers restes du crépuscule.
« Dis, Pratha, où est-ce que le Grand Qalam va t’envoyer ?
- Pardon ?
- Tu as terminé ta formation, non ?
- Ha ! Oui, en effet.
- Alors le Grand Qalam a bien dû te nommer à la tête d’une stoupa, non ?
- Il m’a demandé d’aider le Prince dans sa campagne pour le moment.
- C’est pour ça que tu peux porter l’uniforme des chevaliers ?
- Exactement : c’est une situation… exceptionnelle, on va dire. »
Vartajj sentit la gêne chez le chevalier et ne posa plus de questions sur le Chram de toute la marche. Une fois la nuit bien tombée, elle déploya sa tente sur un monticule, un peu à l’écart des troupes, et souhaita une bonne nuit à Pratha.
Quelque chose trouvait cette femme insupportable. Était-ce ce sentiment d’intrusion qu’elle générait en lui, la morale de l’argent qui guidait ses actions, ou autre chose ?
Il déploya une couverture et s’allongea sur le flanc de Bardéo. Tindashek s'allongea à côté de lui et trouva le sommeil en quelques minutes à peine. Pratha bombarda les étoiles de questionnements avant de s'endormir à son tour.
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