Chapitre 4

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« Pratha ! Content de te revoir », s'exclama le Prince.

 Bercé par le chant des grillons, Tindashek s’était profondément assoupi sur la selle de Bardéo. Le chevalier récupéra l’enfant, l’installa dans son lit, et reparut sur le pas de la tente de son souverain.

« Entre, nous avons bien des choses à nous dire. »

 À l’intérieur, Pratha entendit une douce mélodie, émanant d’un cube en métal sillonné dont chaque face mesurait trois paumes environ. Sur celle du dessus, un couvercle arrondi était fermé. Pratha posa un doigt sur l’une des lignes, et, aussitôt, la musique prit une tonalité différente, légèrement déformée.

« Un cadeau du Pascha de Gudrüm-Ben, il en a toute une collection dans son palais, parfois aussi larges qu’un homme. L’un d’entre eux, je le jure sur les Grands, recouvrait même un mur entier de sa kasbah, et sa musique pouvait être entendue jusqu’aux extrémités de la ville.

  • J’imagine que les négociations se sont bien passées ?
  • Oh, Pratha, c’est peu dire ! Le Pascha est un homme charmant, nous nous sommes entendus comme deux vieux compagnons d’armes. Savais-tu que son père avait travaillé avec le mien, lors de la dernière guerre contre les Apshewarais ?
  • Je n’en ai jamais entendu parler.
  • Ha ! Alors, nous sommes deux ; il faut dire que mon père était un homme très secret. Quoi qu'il en soit, le Pascha nous soutiendra. Sur ses terres se trouvent des gisements aurifères assez importants, parfaits pour rembourser les prêts contractés auprès des Occidentaux. Vartajj a aussi noué de solides partenariats économiques, et nous avons signé l’ébauche d’un traité d’union douanière. »

 Le Prince invita Pratha à s’asseoir avant d'attraper un service à thé en fonte orange, posé sur une étagère, ainsi qu’un petit sac de toile. Alors que l’eau était en train de chauffer, il demanda :

« Et toi ? Je vois que Naslaköyü ne t’a pas épargné.

  • Prince…
  • Tss… combien de fois vais-je devoir te dire de m'appeler par mon nom.
  • J’ai trop honte pour me montrer familier avec v… hm, me montrer familier.
  • Allons, cesse de te dénigrer et raconte-moi tout. »

 Le chevalier s’exécuta, revivant douloureusement chaque instant des deux derniers jours, jusqu’à la fin des cérémonies funéraires accordées aux victimes du massacre. Tout au long de son récit, le Prince n’afficha aucune réaction ; il se contenta de lui verser un thé aux agrumes et de lui proposer un baklava dans le sac de toile.

« Merci, soupira Pratha.

  • Mon ami, sache une chose, fit le Prince, tout en trempant la pâtisserie occidentale dans son thé, je ne suis nullement en colère contre toi. En fait, c’est même tout le contraire. »

 Pratha se figea.

« Pardon ?

  • Eh bien, reprit Bhagttat, après avoir avalé sa pâtisserie, peux-tu me rappeler la mission que je t’avais confiée ?
  • Garantir à l'armée un accès aux ressources agricoles du village.
  • As-tu failli à ta mission ?
  • N… non, mais… »

 Bhagttat déploya un sourire aussi chaleureux qu’une brise d’été, et, le pouce et l’index joints vers son invité, il reprit :

« Tiens-toi au premier mot qui t’est venu. Non, tu n’as pas failli à ta tâche, Pratha. (Ce dernier voulut lancer une protestation) Laisse-moi poursuivre. J’imagine que tu as étudié l’Histoire, au Chram ?

  • Bien sûr.
  • Ghasnî… Le Grand Qalam t’a-t-il jamais décrit une guerre sans son lot de morts ? Sans poussées de violence, souvent arbitraires, à la limite de l’animal ?
  • Je vois où vous… tu veux en venir, mais…
  • Ne crois pas que je cherche cependant à le justifier. Réponds à ma question.
  • Non, il n’a jamais rien évoqué de tel.
  • Précisément parce que ça n’existe pas. L’important n’est pas le fait de tuer ou non, mais dans quelles proportions et à quelles fins. Maintenant, je vais te poser deux questions supplémentaires, tu n’es pas obligé d'y répondre tout de suite. »

 Pratha acquiesça et se brûla le palais en voulant avaler trop vite une gorgée de thé.

« Ces morts que tu as causées étaient-elles excessives ? Et, plus important encore, ont-elles, à posteriori, nui à l’avancement de notre mission ? »

 Le Prince engloutit un nouveau baklava. Pratha, songeur, vit naître, dans le reflet du thé, ses souvenirs de Naslaköyü, la stratégie effroyablement efficace préconisée par Bhagttat pour sécuriser le village, la gestion du village échoir à un rival de l’efendi profondément incompétent, mis sous surveillance par ses soldats, puis les villageois se résigner à accepter la domination des Nordiques sur leurs terres. Tout, si l’on exceptait le massacre, avait en effet marché à merveille.

***

 Après trois nuits au camp, remplies de cauchemars, un Pratha épuisé se présenta à l’entrée de la tente du Prince, pour la réunion stratégique. Le Général Chandra exposa le plus modestement du monde ses réussites exceptionnelles, non sans que Pratha ressente monter en lui l’aiguille de la jalousie. Mis à part un court accrochage dans une bourgade non loin des rives de la Dousse, ce génie tactique à peine plus grand que Jébril avait parfaitement rempli sa mission.

 Le Prince Bhagttat revint sur sa visite à Gudrüm-Ben, puis il sortit une carte de Lahrati et de ses environs, datée de trois ans à peine. La main du cartographe avait représenté avec précision le moindre détail de la ville.

« Désormais, il s’agit de notre prochain objectif. J’aimerais envoyer l’un d’entre vous sonder la ville, tant dans ses forces à disposition que dans son inclination par rapport à l’Empire et ensuite, négocier un traité de défense mutuel avec le Conseil des Serviteurs. Tout est clair pour vous ?

  • Une seconde, Bhagttat, le Conseil des Serviteurs… Qu’est-ce que c’est ?
  • L’institution qui « chapeaute » la ville, petit, sourit le Général Allâb. Enfin, chapeauter, c’est vite dit.
  • Les dirigeants se font appeler serviteurs ?
  • Ce ne sont pas tout à fait des dirigeants, Pratha, reprit le Prince. Lahrati est une ville un peu particulière.
  • Moi, je suis volontaire, fit le Général Allâb.
  • Moi aussi, ajouta Pratha. Puis-je suggérer la participation de Modshi à cette mission ?
  • Général Allâb, je préfère que vous restiez à mes côtés ; nous avons encore des préparatifs à effectuer, et une cargaison de canons en pièces détachées devrait arriver d’Apshewar en fin de journée. Il nous faudra former les hommes à leur utilisation. En ce qui concerne la participation de Modshi, je n’ai rien contre, mais tu devras lui faire respecter les coutumes en vigueur et t’assurer qu’il ne froisse pas vos hôtes. T’en sens-tu capable ?
  • Oui, Prince.
  • Bien. J’aimerais que tu t’entretiennes une première fois avec le Conseil ; c’est pourquoi je n’affecterai pas de soldats à ta suite.
  • Vous… vous êtes sûr, Prince ? Et si…
  • Lahrati est une ville particulière, comme te l’a dit le Général Allâb. Le respect des invités y est sacré. Au-delà de ça, si l’on observe la situation de manière plus pragmatique, on voit bien que le Conseil n’aurait aucun intérêt à déclencher des hostilités avec nous. La ville a beau être bien tenue, elle finirait certainement par perdre si nous la mettions sous siège. Tu peux y aller sans crainte. Ta mission est simple, tu dois simplement obtenir une entrevue pour moi. Je vais te donner quelques cadeaux à remettre, avant ton départ. »

 Le reste de la réunion porta sur les fortifications à déployer le long de la Dousse, l’analyse des mouvements impériaux, la lecture d’un plan des pièces d’artillerie envoyé par les Apshewarais.

 Pratha n’eut aucun mal à convaincre son ami de le suivre, lequel affirma qu’il « irait jusqu’aux entrailles de la Terre » avec lui.

 Alors que ces derniers étaient en pleine discussion, le Prince, bras chargés d’un caisson, apparut sur le pas de la tente de son chevalier.

« Des automates tout droit sortis des usines de la Compagnie Deshkarni, informa-t-il en relevant le couvercle.

  • La quoi ? demanda Modshi.
  • La Compagnie de la famille de Vartajj, expliqua Pratha. Ils sont magnifiques.
  • Ce sont de très bons modèles, celui-ci (du menton, il désigna l’automate du milieu) peut comprendre des instructions vocales simples. Il emploie un système de captation du son basé sur la même technologie que le munzilya mughâni, le cube à musique que le Pascha m’a offert.
  • On a beau dire, sourit Modshi, les Rébéens sont sacrément forts pour inventer tous ces machins !
  • Voilà qui devrait plaire à nos amis du Conseil, messieurs. Quand partez-vous ?
  • Oh, eh bien, tu es prêt, Modshi ?
  • Je dois juste reprendre quelques plaques pour mes photos, et ce sera bon.
  • Très bien, je vous souhaite bon courage dans votre mission. Je suis impatient d’avoir de vos nouvelles ! »

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