5.4
Le pillage ne cessa qu’à l’aube. Une quantité effarante d’artéfacts avait été accumulée par les soldats de la jayshi, si bien que les coffres de nombreuses tentes collectives s’étaient retrouvées encombrés, entre autres, de pièces de poterie traditionnelle, d’incantations gravées sur bois et d’étoffes probablement volées à des villageois du flanc est des Pralamaghs.
Quant aux tentes réservées aux officiers, elles abritaient des trésors allant de somptueux bijoux incrustés d’émeraude, typiques des cités d’artisans habitant le bord du lac d’Admétra, à des parfums d’une senteur d’un autre monde, distillés, à en croire les étiquettes, par les meilleures communautés troglodytes installées sur le flanc du Mont Argenté.
Ce qui frappa par-dessus tout Sayyêt, dans la tente du Jay, était l’immense estampe accrochée au-dessus de son bureau, d’un style qui n’avait rien à voir ni avec l’art occidental, ni oriental. La scène représentait une partie de chasse d’hommes à la peau plus blanche encore que celle des Rébéens, accompagnés de chiens aux pattes se déployant en nuages. Au centre, un cerf de la taille de quatre chasseurs réunis, bois déployés en une arborescence multicolore, avait le regard posé sur l’observateur. Sur son torse, une sorte de dessin très stylisé ressemblait, pour Sayyêt, à un arc bandé, tandis que Kéber y voyait un éclair, Djéma et Yahoun trois gouttes d’eau. Malki, quant à lui, n’avait daigné lever le nez des parfums pour admirer la beauté de l’œuvre.
Le cadre de la peinture était lézardé de dizaines d’autres symboles, tous uniques.
“Peut-être reconnaissez-vous quelque chose ?” demanda le mahaprabuddehik Chaturmaza.
Le jeune militaire, à l’élégance irradiante, étoile montante de l’armée princière, n’avait, depuis le début de la campagne, accordé aucune confiance à la troupe Rébéenne. Pourtant, les Orientaux le sentirent à ce moment-là, quelque chose en lui s’était débloqué.
Après tout, ils auraient pu fuir s’ils l’avaient voulu, se réfugier dans la montagne ou rejoindre Jébril en Litania, la promesse passée avec Eshev n’était, en soi, qu’un fait connu uniquement de Pratha.
Chaturmaza en était parfaitement conscient, c’était pourquoi, depuis qu’il avait pu personnellement s’assurer de la loyauté des étrangers, l’inquiétude qu’il lui inspiraient s’amenuisa quelque peu.
“Non, ça m’est tout à fait étranger, expliqua le chef Rébéen.
- D’où que ça vienne, ça a dû faire un sacré long trajet pour arriver jusqu’ici. Aidez-moi à le décrocher, je vous prie.
- Bien sûr”, répondit Sayyêt.
Kéber et lui attrapèrent délicatement deux sangles accrochées aux mâts de la tente, et aidèrent le militaire à enrouler l’estampe.
“Cela fera un bon cadeau pour Sa Majesté.
- Vous savez il lui est venu quel problème ? Est-ce que c’est important ? demanda Djéma.
- Est-ce que c’est grave, vous voulez dire ? Non, l’empoisonnement a été superficiel, et le Jay portait une fiole contenant de l’antidote sur lui.
- Le poisonnement ? répéta Djéma.
- Les épines, sur les plaques de l’armure du Jay, en étaient enduites.
- Je… je crois je comprends.
- Vraiment ? Si vous avez une explication, je vous écoute.”
Djéma revint sur la discussion portant sur le Tarasca, entendue alors qu’il s’infiltrait dans le camp. Le récit sembla passionner Chaturmaza, mais, une fois achevé, ce dernier se contenta de déclarer :
“Il faudra que nous en parlions à Sa Majesté. Elle devrait se réveiller dans quelques heures. Messieurs, profitons du peu de temps qu’il nous reste avant le lever du Soleil pour nous reposer.
- Avec grand plaisir ! s’exclama Malki, enfin sorti de ses explorations olfactives.
- Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter bonne nuit”, conclut Chaturmaza.
Son regard, durant le bref instant où il regarda la troupe, s’était considérablement adouci, au point qu’on pouvait y lire, avec un peu de discernement, un “merci”.
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