9.3

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 Durant tout l’après-midi, on estima les quantités de produits manufacturés à faire passer dans la ville, des points à cibler pour écouler l’opium, et puis on fixa une date pour la reconquête ; six mois, à compter de cet instant.

 Pratha et Vartajj quittèrent la salle avec un sentiment de confusion. Le chevalier prit à part le Prince dès qu’il en eut l’occasion. Sans un mot, Bhagttat lui demanda de le suivre jusqu’à sa chambre.

“Tu peux m’expliquer à quoi tout ça rime ? s’exclama le chevalier, dès que la porte fût refermée.

  • T’expliquer quoi, dis-moi ? répondit le Prince, impatient.
  • Je… Pourquoi… Pourquoi ces gens-là ? Le Grand Duc, où est-il ? Pourquoi n’est-ce pas avec lui que nous discutons ? Qu’est-ce qu’on fait ici, avec de vulgaires criminels ?
  • De vulgaires criminels, dis-tu ? Tu n’as donc rien écouté, cet après-midi ? Crois-tu que de vulgaires criminels, comme tu dis, disposeraient d’informations si détaillées, de réseaux si fermement enracinés dans la ville ? Crois-tu qu’ils s’embêteraient à échafauder une stratégie avec nous, à nous venir en aide ?
  • J’espère que tu rigoles, Bhagttat ! Depuis quand une carrière de marchand de narcotiques convient à un empereur ?!
  • Tu vas baisser d’un ton. Immédiatement. A moins que tu ne souhaites ma couronne ?!”

 Pratha jura.

“Bien. Tu ne veux pas collaborer avec la mafia, soit. Qu’elle est belle, la vie, quand on peut laisser à d’autres le soin de se salir les mains à sa place ! Alors, chevalier blanc, tout drapé de vertu, dis-moi ce que nous devons faire !

  • Je viens de te le dire, grogna Pratha, en ralentissant au maximum son souffle.
  • Le Grand Duc ? Ha, la voilà, la bonne idée ! Cet imbécile est parti se cacher dans les montagnes, lance de temps à autres un raid, fait dérailler un train. Cela fait six mois qu’il patauge, perd peu à peu ses soutiens, et tu voudrais que je me rallie à sa cause ! Pour quelle raison, dis-moi ? Crois-tu qu’une fois Jarapour libérée, il ne décide pas de nous envoyer gentiment nous écraser sur les murs de Fort-Putra ? Je connais les Oddhi, mon père les connaissait, son père également. Ce sont des rapaces, des vautours. Profession familiale !
  • Et la légitimité, alors ? Tu te torches avec !” hurla Pratha.

 Bhagttat fonça vers un mur et y abattit son poing, bombant le revêtement en bois sous l’impact.

“Ce que tu peux être naïf, Pratha ! Et moi qui croyais que Naslaköyü te réveillerait ! Je t’interdis de me juger, toi aussi, tu as fait couler le sang lorsqu’il le fallait ! Loin de moi l’idée de te le reprocher, j’aimerais simplement qu’au lieu de cracher comme tu le fais sur mon portrait, tu prennes le temps de regarder le sien !”

 Le Prince recoiffa une mèche venue se vautrer dans la sueur de son front. Pratha attrapa un tabouret, s’assit et déclara :

“Je m’excuse. Je n’aurais pas dû te parler ainsi.”

 Bhagttat, pupilles encore dilatées, ouvrit d’un coup sec une armoire à glace, sortit deux verres et une bouteille de khusî. Il se versa un grand verre qu’il avala cul-sec et en servit un à Pratha.

“Merci”, répondit le chevalier.

 Son ami s’observa dans la glace, remit de l’ordre dans ses cheveux, se passa une serviette sur le visage, et s’assit à son tour sur un tabouret en cuir.

“Et moi, je ne devrais pas me laisser dominer par la colère. (Il leva les yeux vers Pratha) Je te présente également mes excuses.”

 Pratha tendit son verre vers lui, alors il se resservit et les deux s’entrechoquèrent.

“Si tu veux m’expliquer depuis le début, je t’écoute.

  • Bien… (Bhagttat goba à nouveau tout le khusî d’un coup et se resservit une troisième fois.) Concrètement, nous ne disposons pas des moyens nécessaires pour vaincre les jayshis ; sur ce point, Thagna a vu juste.
  • Thagna ?
  • La Matriarche. Actuellement, et sans compter les jayshis stationnées à Fort-Putra, les Rébéens disposent de quarante pour cents de plus d’hommes que nous. En termes de qualité d’équipement, en revanche, je peux te dire avec confiance que nous sommes égaux, voire légèrement avantagés, grâce à nos amis Apshewarais. Pour reconquérir Jarapour, nous n’avons donc que deux options ; prendre le parti du Grand Duc, mais je t’ai expliqué en quoi ce n’était pas envisageable…
  • Ou s’appuyer sur le monde souterrain.
  • C’est ça. Déjà avant l’invasion, le pouvoir de Thagna était quasiment équivalent à celui du Grand Duc ; aujourd’hui, c’est elle qui le surpasse. Soit nous travaillons avec elle, soit nous renonçons simplement à Jarapour. Que ferais-tu, à ma place ?
  • Je… je ne sais pas…
  • Elle, en tout cas, a une réponse.
  • Mais une fois que la ville sera libérée, que les mafieux retourneront à leurs appartements…
  • Il me faudra fermer les yeux sur leurs activités. Oui. C’est un sacrifice que je consens à faire pour la plus grande cause. L’affaire ne sera plus de mon ressort mais de celui de mon successeur.”

 Le silence retomba sur la chambre. Bhagttat, perdu dans ses pensées, finit le fond de son khusî, observa le baldaquin de son lit, incrusté de figures géométriques, et reprit après un instant :

“C’est une bonne chose que tu sois venu dans ma chambre.”

 Pratha leva les yeux vers lui.

“J’ai une mission à te confier, dès demain.” reprit le Prince.

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