RHEYÆ (Rheya 4.2) - Chapitre 01.5
Les jours suivants, le rêve s’était estompé, et aujourd’hui, il lui paraissait lointain. Pourtant, certaines impressions lui revenaient, comme celle de vivre ou d’avoir vécu dans un autre monde … Comme se souvenir de lieux où elle n’était jamais allée.
Elle n’avait pas jugé utile d’insister sur les détails lorsqu’elle avait évoqué ces impressions devant le psy.
Elle lui avait raconté ses autres cauchemars, ceux qui la réveillaient en sursaut chaque fois que retentissaient les coups de feu fatals.
Elle revoyait sans cesse une ombre tirer sur elle. Elle ressentait la douleur, le saut dans le vide, le choc, l’obscurité…
Elle était sortie du coma avec une telle violence que, les jours suivants, elle avait eu peur de s’endormir.
On lui avait donné des médicaments propres à assommer tout un troupeau d’éléphants.
Elle avait quitté le service de convalescence de l’hôpital, mais n’avait pas repris son travail d’analyste visuel. Elle se voyait mal aller voir son employeur et ses collègues et leur dire : « salut, vous vous souvenez de moi ? Je travaillais avec vous, il y a plusieurs mois… Tout était OK, mais j'ai dû prendre un congé forcé parce qu’un malade m’a collé quatre balles dans la peau, presque cinq. Ça m’a mise dans le coaltar durant trois mois et quelques jours, et il m’a encore fallu cinq bons mois pour remettre un pied devant l’autre ».
En plus, analyser des images, des chiffres et autres données, cela ne lui disait plus rien.
Elle avait eu envie d’autre chose. Elle avait surtout eu besoin de libérer cette rage qui grondait en elle comme une louve assoiffée de sang et de liberté. Elle avait eu besoin de vivre autrement et intensément. Elle voulait ressentir la vie, l’éprouver.
Elle avait quitté son compagnon …
Celui-ci s’était persuadé qu’elle ne sortirait jamais du coma et avait regardé ailleurs au bout de quelques mois. Ce n’était pas le fait qu’il l’ait trompée qui l’avait conduit à prendre cette décision, mais qu’il n’ait pas cru en elle. Pas un seul instant, il ne s’était dit qu’elle aurait suffisamment de force de caractère pour revenir parmi les vivants et pour reprendre le dessus physiquement.
Elle n’avait pas supporté sa lâcheté et en avait conclu que leur amour ne tenait pas à grand-chose. Inutile d’en faire les frais.
Une de ses amies lui avait proposé un job à la rédaction d’un journal people à Paris. Elle avait accepté en pensant que cela pourrait lui faire du bien.
Elle avait quitté Londres sans regret pour Paris, la ville où était née sa mère. C’était un vieux rêve qu’elle s’était permis de réaliser.
Elle avait emménagé dans le seizième arrondissement de la capitale française. Très vite, elle s’était fait quelques amis et, avec eux, faisait régulièrement la tournée des soirées privées et celles des endroits branchés. Elle s’était étourdie de fêtes qu’elle quittait au bras d’un inconnu avec lequel elle passait la nuit et qui, à l’aube, s’éclipsait lorsqu’elle ne le congédiait pas poliment.
De cela aussi, elle s’en était lassée.
Elle avait fait d’autres rencontres, tenté de vivre des relations plus longues qui ne dépassaient pourtant pas une semaine.
Même si sa vie avait évolué d’une manière irrémédiable, elle était retournée à sa solitude.
Physiquement, elle avait changé.
Elle avait perdu une dizaine de kilos. Elle ne se teignait plus les cheveux. Ils étaient redevenus bruns et très courts, alors qu’elle les avait toujours eus longs. Ses yeux couleur d’ambre avaient perdu leur éclat.
L’absence de maquillage et le manque de sommeil la faisaient paraître plus âgée. À trente ans, elle en faisait dix de plus. Son visage était beaucoup trop pâle, trop triste. Son sourire, ses rires étaient devenus rares.
Que pouvait-elle faire ? Qu’allait-elle devenir ? Parviendrait-elle à retrouver un sens à sa vie ?
Elle avait l’impression que son âme était morte dans cette librairie. Son cœur aussi.
Aucun des hommes qu’elle avait rencontrés durant sa période « d’étourdissement » n’avait su trouver la clé qui lui ouvrirait les portes d’un nouvel avenir. Elle ne leur avait pas donné la moindre chance, en fait. Un ou deux avaient pourtant insisté, mais elle les avait oubliés comme les autres.
Elle avait beaucoup aimé Paris, mais elle n’avait rien trouvé qui l’y retienne, et son travail de journaliste à potins l’ennuyait.
Elle avait toujours souhaité vivre un temps aux États-Unis. Elle s’était dit que c’était peut-être le bon moment.
Dans l’avion, elle avait emprunté le journal de son voisin qui s’appelait Maxwell. Max pour les intimes, lui avait–il précisé, ce qu’elle n’avait aucunement l’intention d’être. Même s’il avait plutôt l’air sympathique avec son look Chuck Norris et ses faux airs de Paul Newman.
Dans le journal, elle avait trouvé une annonce qu’il avait entourée au feutre rouge concernant une agence de cautionnement qui recherchait du personnel.
Il n’était pas précisé s’il fallait un homme ou une femme, une secrétaire ou un chasseur de primes. Néanmoins, cela pouvait s’avérer suffisamment différent de ce qu’elle avait fait jusqu’à présent, et elle pourrait utiliser certaines de ses connaissances passées.
Elle avait demandé à Maxwell, si c’était lui qui avait entouré l’annonce et si elle l’intéressait.
Ses réponses respectives avaient été "oui", "non" et qu’un de ses amis pouvait l’être. Ce qui ne devait pas l’empêcher, elle, de postuler, lui avait-il précisé, car il doutait que son ami ait les capacités à exercer un emploi de ce genre.
Cette remarque, en plus de la faire sourire, avait rendu Maxwell vraiment appréciable.
Postuler à cette offre d’emploi, pourquoi pas ?
Elle avait déjà reçu cinq balles dans la peau. Sûrement plus que n’importe quel chasseur de primes dans toute sa carrière. Statistiquement, elle avait toutes les chances de ne plus se faire tirer dessus, ou du moins d’en prendre une de plus.
Il lui restait à se remettre au sport et à apprendre à tirer.
L’agence de l’annonce s’occupait de protéger des témoins et de retrouver des "défauts de comparution".
C’était une petite agence, et les cas dont elle s’occupait étaient souvent simples, sans imprévu. Il n’y avait que deux employés : Nora Calinko, Byron Rankins et le patron, Jessé Bolt, un type taciturne et plutôt droit dans ses bottes.
D’ailleurs, avec ses bottes, son énorme moustache, ses favoris et ses cheveux blonds mi- longs, il n’aurait pas franchement été déplacé dans l’Ouest de la seconde moitié du XIXe siècle. Il aurait probablement fait un bon Marshall.
Nora, une brunette aux allures de star hollywoodienne, version années cinquante, refaite comme une Barbie, passait plus de temps dans les boutiques, soi-disant pour trouver des idées de garde-robe pour leurs futurs protégés, qu’à son poste officiel de secrétaire.
Byron, le deuxième employé de l’agence, était un geek pure souche, adorable comme tout avec ses lunettes et ses gilets sortis tout droit d’un pensionnat anglais, ses cheveux bruns en bataille, et sa timidité maladive avec les filles, en particulier avec l’exubérante Nora. Il fallait le retenir pour qu’il ne donne pas des noms et des vies de super héros aux témoins qu’ils devaient cacher pour les protéger.
Elle avait passé un entretien d’embauche avec l’impression que ce n’était que de pure forme, et en était ressortie sans grand espoir. Pourtant, Bolt lui avait téléphoné dès le lendemain pour lui dire qu’elle était engagée. Il ne lui avait pas caché qu’il avait fait une enquête à son sujet et qu’elle n’était pas vraiment l’employée qu’il cherchait, mais faute de mieux …
En général, ce n’était pas le genre de chose qu’on annonçait d’emblée à une nouvelle recrue. Au moins, elle aurait un salaire assuré.
Si elle avait eu un peu plus de recul à cette époque, elle aurait sûrement remarqué que tout cela s’était passé avec trop de facilité, trop de coïncidences.
Elle ne s’en était rendu compte que lorsque Leo, l’étudiant qui arrondissait ses fins de mois comme auxiliaire de vie de Neil lui avait présenté son père Leo.
Elle s’était plutôt bien entendue avec lui. Il avait travaillé un temps pour l’agence de cautionnement. Mais il n’était pas du genre à rester en place, et parfois il lui arrivait de se trouver en délicatesse avec la loi. Ce qui la fichait mal, selon Jessé Bolt, pour un type censé garder les malfrats dans le droit chemin, au moins jusqu’à leur procès.
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