Mountain (Rheya 6.9) - Chapitre 04.2

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Dès qu’elle l’avait vu, elle avait pensé qu’il ne survivrait pas longtemps. Avec sa petite taille, son air fluet, ses grands yeux gris innocent, on ne lui aurait pas donné plus de six ans. Elle, elle en avait déjà neuf. En réalité, elle le comprit plus tard, il en avait certainement beaucoup plus. Le développement physique et psychologique des Sambres étaient moins rapides que celui de la majorité des humanoïdes ou d’autres espèces.

À cause de cela, elle ne se fit aucune illusion sur son avenir. Tôt ou tard, les instructeurs se rendraient compte que le gamin avait une croissance plus lente. S’il ne faisait pas le rapprochement avec les Sambres, ils le réformeraient et l’enverraient dans l’une des nombreuses bauges, comme les appelait Circé, où les combattants se divertissaient après chaque bataille.

Finalement, elle l’aimait bien et si cela n’avait tenu qu’à elle, elle l’aurait incité à déserter avant qu’il ne soit trop tard. Elle l’aurait elle-même conduit dans les bas-fonds du vaisseau où les Perdus Silencieux l’auraient caché et élevé comme l’un des leurs, comme elle, avant.

Au lieu de cela, elle avait évité de lui montrer la moindre forme d’affection. Elle le repoussait à chaque fois qu’il essayait de se rapprocher d’elle conformément à ce que lui avait demandé la Magicienne. Mais il lui arrivait de le retrouver, au réveil, roulé en boule, à ses pieds, dans un coin de sa couchette pourtant étroite, sans qu’elle ait perçu son arrivée ou sa présence durant son sommeil.

Quel âge avait-il exactement ? Lui-même devait l’ignorer. Au moins, il avait été malin et avait eu suffisamment de jugeote pour ne pas avoir saigné l’un des instructeurs.

En plus, contrairement aux jeunes recrues, il n’était pas du genre à réciter les préceptes des Terrannihilisateurs à longueur de temps pour vous faire croire qu’il les avait bien compris et qu’il les appliquerait à la première occasion, même contre un ami. Il aurait pu faire un bon allié, mais Circé était restée sourde à son argumentation.

Mountain avait dû se résigner, mais cela lui avait fait mal de le voir quémander un peu d’attention de sa part.

Elle avait une confiance aveugle envers la Magicienne. Elle savait que celle-ci pouvait influer sur les évènements du passé et changer l’avenir. Elle avait fait d’elle son instrument pour y parvenir. Si elle se faisait tuer par le Sambre, il n’y aurait pas de nouveau futur, et à chaque instant, il gagnait du terrain.

Elle devait en finir maintenant ou jamais elle n’arriverait vivante à la Bouche. En espérant que Baal y soit déjà… C’était inévitable. Ça aussi la Magicienne l’avait entrevu, il y avait longtemps. Une issue parmi d’autres qu’elle avait imprimée dans la mémoire de sa protégée.

On pouvait toujours chercher à repousser l’inévitable, mais tôt ou tard, il revenait vers vous à pleine vitesse. Au moins, elle choisirait le terrain.

Elle courut quelques mètres encore, puis s’arrêta net.

Elle ne vit rien dans un premier temps. Tout était silencieux autour d’elle. Pas le moindre vent, pas un seul chant d’oiseau. Ce monde était mort, anéanti par les vaisseaux des Terrannihilisateurs. Même les bruits de combats en bas de la colline semblaient s’être tus.

Elle n’eut pas longtemps à attendre. Le Sambre apparut et freina brutalement en la voyant lui faire face à quelques mètres de lui, Insigo. Qu’espérait-il donc à la poursuivre ainsi ? Il savait qu’il était plus rapide à la course mais pour le reste… Sauf s’il avait caché son jeu. Plus à elle qu’aux Terrannihilisateurs…

Elle passa sa manche sur son visage pour que la fine pellicule de cendres, mélangé au sel de sa sueur, qui le couvrait ne lui coule pas dans les yeux au plus mauvais moment et trouble sa vision. Elle le vit en faire autant. La cendre laissa des marques noires sur son visage. Elle avait probablement les mêmes.

Quelque chose avait changé en lui. Elle lui accorda toute son attention. Il était armé d’un poignard, et elle avait pu constater lorsqu’il avait blessé Pakhet, qu’il savait désormais s’en servir avec aisance sur un champ de bataille. Son attitude était plus affirmée. Elle en déduisit qu’il avait été entraîné. Probablement amélioré physiquement aussi, mais jusqu’à quel point, et en si peu de temps ?

Elle comprit alors son erreur… et ce qui n’allait pas dans le même temps.

Si pour elle, il ne s’était passé qu’une journée et une nuit, pour lui c’était en années qu’il fallait compter…

Combien… Une année, deux, trois ? Pas beaucoup plus, songea-t-elle.

Le temps pour les Terrannihilisateurs de décrypter les documents qu’ils avaient pu trouver sur le portail et de découvrir les coordonnées de sa destination, sans doute… Le temps qu’ils détectent un Sambre en Insigo et qu’ils se l’approprient, à moins qu’ils l’aient toujours su… Son crâne était rasé et sûrement marqué à l’arrière. Circé s’était méfiée de lui, et elle avait eu raison. Mountain s’en voulait d’avoir été aveugle à ce point.

Il s’élança vers elle.

Elle ne put réprimer un soupir. Elle allait devoir le battre rapidement si elle ne voulait pas perdre trop de temps.

Elle se positionna, préparée à l’assaut, balançant son corps de droite à gauche pour ne pas le laisser deviner de quel côté elle s’écarterait. Lorsqu’il arriva sur elle, elle sauta en l’air et attrapa la branche la plus passe de l’arbre au-dessus d’elle. Juste assez de temps avant qu’elle cède et pour sauter par-dessus son poursuivant et atterrir souplement derrière lui.

Elle se retourna pour lui faire face à nouveau. Il n’avait pas perdu de temps et allait encore essayer de l’atteindre. Sans quitter sa position de défense, elle tendit le bras devant elle pour le tenir à distance. Elle était consciente que s’il persistait dans son idée, elle risquait de perdre son faible avantage.

— Insigo, stop ! Je ne veux pas te faire de mal.

Sans doute lui en avait-elle déjà fait plus qu’elle ne l’aurait voulu. Ses paroles n’auraient aucun effet sur lui. Se souvenait-il seulement d’elle ? Personne, à part elle, n’avait pu le faire obéir facilement. Il la regarda, surpris comme si elle l’avait pris en train de trafiquer l’une des matrices alimentaires du vaisseau Terrannihilisateurs pour obtenir des rations supplémentaires de meilleures qualités que celles habituellement servies.

Elle passa outre son étonnement, réel ou feint.

Ne pas se laisser déconcentrer, rester sur ses gardes et se préparer à réagir. Elle aurait pu lui demander comment il allait, lui dire quelques mots sympathiques.

En même temps, pas le temps de faire dans le détail.

— Je peux nous sauver… Toi, moi, nos mondes…

Il la jaugea un moment, cherchant le mensonge dans son regard comme dans ses paroles, sans l’y trouver. Les Terranihilisateurs lui avait appris cela.

— On est perdu, finit-il par dire.

Sa voix avait changé. Elle était brisée.

Elle avait peu eu l’occasion d’entendre sa voix. Elle y ressentit tellement de tristesse, de souffrance et de résignation. Son visage n’en laissait rien paraître. Sans doute l’habitude de se cacher derrière un masque…

— Non Insigo, nous avons encore une chance. Une toute petite.

Il eut un rire bref et sarcastique.

Elle passa sa langue sur ses lèvres sèches.

— Tant que je respire, j’espère, paraphrasa-t-elle. Les Terrannihilisateurs nous ont blessés, mais nous sommes en vie. Ils ne nous ont pas détruits. Ils n’ont pas encore vaincu la résistance.

— Si tes amis ne sont pas encore morts, alors ils le seront bientôt. Les Terrannihilisateurs ont une revanche à prendre depuis que seize de leurs vaisseaux ont été détruits quelque temps après ton départ.

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