1/2 Un hôte Charmant

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 Quelle plaie de transporter tout ce bordel. Une pierre deux coups, voire 3 qu'il s'était dit.
Ben tiens la prochaine fois il vendrait le butin confisqué à même la ville et tant pis si ça se vend à une injuste valeur ou s'il tombe sur les anciens propriétaires. De toute manière c'est pas comme s'il avait volé les affaires recelées ou les avait achetées. Il s'est simplement chargé de la bande et a récupéré certains trucs à revendre pour ainsi ajouter un petit bonus à la prime qu'il percevrait.
Alors certes aller à Dellia va lui faire doubler ses bénéfices (les bijoux originaux sont très recherchés), éviter les ennuis et il pourra par la même occasion se charger de l'Insatiable Taxeur. Ce bougre doit probablement bien pourrir les affaires des guildes pour qu'il ait une prime comme ça.
Enfin c'est pas son problème. Là, il doit surtout faire gaffe à ne pas se foutre en l'air. En effet, ce chemin est vicieux. Très.

Les gens ont pris l'habitude de contourner les hautes collines, c'est plus long mais la route est meilleure tant au niveau du dallage que part le temps. Et la sécurité.
Ici, c'est que des arbres, de la pluie, du brouillard, de la boue, de la boue et oh ! Encore de la boue ! Il a beau être un grand nomade, quand on est trempé, sale, à se taper une montée bien méchante et que le brouillard s'y met... On a tendance à être à fleur de peau. Et y en a qui font toute cette route à pied ?
 ''Ho ! Calme-toi Bletta ! Tempéra Firenzo lorsque sa monture paniqua après avoir failli une énième fois glisser. Passe plutôt par ici.''

Ouais, un vrai temps de merde. Et à la moindre accalmie il se faisait harceler par les moustiques qui pullulent dans cette foutue forêt. Y a pas à chercher loin la disparition d'une partie des inconscients se décidant à passer par ce chemin, pas moyen que ça soit des bandits. À tous les coups les passants ont dû devenir fous avec ces saloperies, manquer d'attention, glisser et se tordre le cou dans un des nombreux ravins. La faune s'occupe alors ensuite des cadavres. Une vraie perte de temps cette mission pour lever la malédiction de la voie des Dieux...
Bon au moins il devrait arriver demain soir à la capitale, il pourra enfin s'amuser un peu.


 Tandis qu'il avançait il nota que les traces de campement se faisaient de plus en plus rares. Il en compris la raison lorsqu'il aperçut gravé sur un arbre le signe d'une auberge à proximité. Parfait, il commençait à avoir un creux. Si l'auberge est encore debout et pas trop cher il n'aura pas à jeûner jusqu'à ce soir.

 Le chemin se fit moins sinueux et raide. La forme floue d'une cabane se dessina petit à petit à travers la brume.
 ''Bingo ! fit-il en voyant l'enseigne. Le corbeau noir ? Eh beh, il a pas peur lui. Étonnant que les Silvebergois ne lui aient pas encore rendu visite...''.

Dans le pays il n'est pas bien malin d'appeler un commerce ainsi ou d'adopter cet animal de mauvaise augure, alors faire ça dans les environs du village de Silveberg est clairement une immense et fantastique mauvaise idée.
En attachant son cheval son attention s'arrêta sur la décoration. Toutes sortes de lames étaient accrochées autour de la façade, principalement des dagues et épées. Deux écus aussi avec au centre la patte d'un oiseau, corbeau sans doute. En se rapprochant il vit qu'il s'agissait en fait d'éclats d'il ne sait quoi peints en noir et fixés.
 ''Il va vraiment pas faire long-feu lui...''

Il fit tinter le carillon composé d'osselets accroché à la porte. À l'intérieur règnait une odeur douceâtre.
 ''J'arrive ! retentit une voix grave provenant d'une pièce annexe. Installez vous !''.

Firenzo se défit de sa cape et de son manteau pour les mettre à sécher près du feu. Il garda cependant son épée avec lui, depuis qu'il avait acquéri cet étui étanche il n'avait plus eu de problème de rouille.

 Il était sur le point de se demander ce que l'aubergiste faisait lorsque ce dernier finit par arriver, un torchon humide à la main et avec un sourire commercial.
 ''Bien le bonjour Monsieur ! Sale temps hein ?
- Pouah m'en parlez pas, le pire que j'ai jamais vu.
- Je veux bien vous croire ! Répondit le propriétaire en riant grassement. Je vous offre un petit remontant ?
 Face au regard interrogateur du voyageur, l'hôte continua :
- Une gnôle de la maison ! Ça vous réchauffera en moins de deux.
Et refroidira son porte-monnaie.
- Ah ! Ça vient de là l'odeur !
- Ça et le feu où j'ajoute quelques herbes aromatiques. Alors, relança le commerçant, j'vous en verse un fond ?
- Non ça ira je vous remercie je ne bois pas d'alcool. Par contre j'ai une sacrée faim, qu'est-ce-que vous avez à me proposer ?
- Oh bravo ! Vous faites bien héhé ! Alors j'ai un ragoût provenant de la chasse d'hier soir, ça vous tenterait ?
- C'est parfait !

 En attendant sa commande il commença à contempler la décoration. Encore des armes, quelques boucliers accrochés un peu partout, des choppes en guise de vase à fleurs, une armoire avec quelques vieux livres, tous trop éloignés pour être lisibles hormis ''Bien reconnaître les fongus'' et ''Traitement de Corbotchev le Démon''.

C'était un sorcier du siècle dernier ayant réussi à fonder une secte se démarquant par son côté sanglant, les cultistes pratiquant entre autres l'automutilation ou le sacrifice humain pour atteindre la transcendance.
Ce livre avait fait grandement polémique, son droit de copie et circulation fut plus ou moins prohibé selon le pouvoir en place. Son existence passa progressivement d'acceptée à tolérée avant d'être censurée puis interdite. On punit leurs possesseurs par l'incarcération jusqu'à l'ère sombre de la Grande Inquisition qui, elle, envoya directement les savants au bûcher avec le livre, version originale ou censurée. C'était leur manière préférée de ''Traiter une hérésie''.
Ce livre faisait simplement une biographie objective de Corbotchev, détaillant comment cet homme était passé de simple serf à gourou influant même le seigneur de la province. La partie censurée proposait des alternatives au bûcher.
Au fil des années où les esprits se fermaient petit à petit, il y eut de plus en plus de gens trouvant l'idée de l'auteur très incongrue :
''Désendoctriner les adeptes plutôt que les traiter ? Impiété !'' Les adeptes étaient le mal, or seul le feu peut le traiter, toute personne critiquant cet état de fait est également corrompue. Plus tard toute personne possédant un écrit remettant en cause le jugement était aussi sévèrement punie. Enfin, on décida qu'évoquer le nom Corbotchev ou posséder une trace de son existence était comme lui donner le gîte.
Aujourd'hui seule la version censurée est autorisée à la recopie en tant qu'archive de l'Histoire. N'en déplaise à certains.
Pour Firenzo, Cobotchev et les dirigeants de la Grande Inquisition étaient sacrément allumés, toutefois les actions des seconds étaient clairement plus destructrices que la secte algophile.

Un miracle que ce type ait trouvé la version originale ! Il suffit qu'un des types de Miss Châtaigne ou un soldat de l'Ordre Inquisitoire pointe le bout de son nez pour que l'auberge finisse en tas de cendres dès le lendemain. Voire le jour même.
Enfin pour cela il faudrait que l'un d'eux daigne entrer.
Et soit déterminé à empreinter cette foutue route.
En fait il semblerait qu'il se soit trouvé une jolie planque.

Pour rester dans le thème des décorations motif d'injonction à la combustion de la maison, il y a diverses mosaïques faites avec des morceaux d'os peints (sûrement issus de la chasse) dont une représentant un corbeau, le carillon en osselet et enfin ces étranges pointes de différentes tailles aux couleurs variées plantées sur le mur au dessus de l'entrée.

 "Chaud devant ! S'exclama le chef. Et voilà pour vous !
- Oh vous êtes généreux dans les portions !
- Hahaha ! Effectivement on a pas beaucoup de clients alors on les gâte. (Un bref rictus se dessina sur les lèvres du cuisinier). Vous m'en direz des nouvelles. Je vous offre aussi cette bonne tisane, ça vous réchauffera. Bon appétit !
- Je vous remercie.
 L'affamé se saisit des couverts et commença à découper la viande.
- Tiens au fait tant que j'y pense, vous avez une décoration assez singulière ! À quoi ça sert ce cadre à droite de la porte ?
- À rien, répondit simplement son auteur après avoir haussé les épaules. C'est juste une occupation.
- Ouais mais ça représente quelque chose en particulier nan ?
 L'homme tourna enfin la tête vers l'oeuvre, pensif.
- Mhmm... Un livre d'or en quelque sorte. Une trace que nous laisse certains clients. Tiens d'ailleurs héhéhé... (Il se dirigea vers le feu, attrapa une pique similaire à celles de l'entrée, l'examina l'air satisfait puis traversa la pièce pour l'ajouter à l'oeuvre.) Le jeunot d'hier. (Il se tourna tout sourire vers Firenzo) Et la prochaine sera peut-être la vôtre ?
- Eh pourquoi pas ! J'aimerai bien une rouge-noir, y en a pas beaucoup et ça changera de tous ces verts et bleus.
 L'artiste le regarda droit dans les yeux en fronçant légèrement les sourcils, les mains sur les hanches avec encore ce petit rictus.
- Vert. Je vous peindrez en vert. Il en est déjà ainsi.
Encore un créatif hypersensible à la critique se dit l'attablé amusé par la réaction catégorique de son interlocuteur avant de lever les mains en l'air, mimant le signe de rédition.
- C'est vous le maître !
- Ça va refroidir.
 Effectivement, il n'avait encore rien mangé ni bu alors que cela avait l'air délicieux. En portant le met à proximité de sa bouche il fronça les sourcils.
Étrange. Outre celle des épices la viande avait une odeur familière. Il ne reconnaissait pas la provenance aussi demanda-t-il au chef qui ne l'avait toujours pas quitté des yeux :
- Eh dit donc qu'est-ce que c'est ? Je reconnais pas pourtant je m'y connais plutôt bien. Ça vient de quel gibier ?
 Voyant que son client ne mangerait pas tant qu'il ne lui apporterait pas de réponse, l'hôte avoua ne pas connaître sa provenance avant de préciser :
- C'est mon frère qui se charge de la partie chasse et dépeçage. Moi j'cuisine c'est tout. Ça change quoi ?
- Ça change que j'ai choisi de ne pas manger certaines bêtes. Vous pouvez aller lui demander je vous prie ?
- Z'êtes d'un difficile vous... S'agaça le maître. Un instant.''

 À peine éloigné, Firenzo s'empressa d'enrouler la viande dans un tissu et de la fourrer dans sa besace avant de sursauter lorsqu'il entendit le râclement de gorge de son hôte déjà réapparu.
 ''Pas d'bol il est pas là. Sûrement parti chasser. (Voyant le regard interrogateur de son interlocuteur, il anticipa la question et poursuivit) Il reviendra pas avant tard cette nuit ou demain matin vu l'temps. Oh mais je vois que ça ne pose plus de problème (il découvrit toutes ses dents), vous semblez l'avoir engloutie en moins de temps qu'il ne faut pour le dire.
- Oui on me dit souvent que je suis un glouton quand j'ai faim, répondit au tac-au-tac le faux rassasié.
- Et la tisane alors ?
- Navré je ne voudrais pas vous contrarier mais j'ai pas très soif.
 L'aventurier récupérait ses affaires et s'apprêtait.
- Mais... Cela me gêne de vous laisser filer le gosier sec !
- Pas de problème ! Assura tranquillement Firenzo. J'ai de quoi m'hydrater jusqu'à demain.
- Vous ne voulez pas rester vous reposer cette nuit ? Un bon p'tit lit douillet par ce temps y a que ça d'bon et vous pourrez poser toutes les questions que vous voudrez à mon frérot demain !
- Merci mais j'suis pressé. Plus tôt j'pars plus vite j'pourrais en profiter.
- À quoi bon essayer d'arriver plus tôt s'il vous arrive malheur ? J'insiste mon bon monsieur, les routes sont dangereuses par ici !
- Ça ira je serai vigilant et si on me tombe dessus malgré ce temps eh bien ma foi je me démerderai. Et puis à cheval je devrais pouvoir atteindre assez vite le lac de Bilancino pour le bivouac. Par contre je reprendrai quelques boulettes mais crues pour les passer au feu ce soir.
- Ah ! Bien bien très bien !''
L'aubergiste attentionné semblait satisfait.

 Après avoir réglé la note (à un prix vraiment bas), Firenzo dut à nouveau refuser la gnôle. Généralement, il aimait plaisanter en faisant remarquer à son interlocuteur le côté paradoxal de féliciter et encourager l'abstinence d'une personne (ici pour l'alcool) avant de lui en reproposer quelque temps plus tard. Mais là, il n'avait plus envie de rire.
Il feint un sourire de gratitude lorsque l'artiste lui annonça qu'il le peindrait finalement en rouge-noir.

 La pluie semblait s'être définitivement estompée. Il chevaucha sa monture en s'éloignant tranquillement, saluant de la main son hôte serviable l'ayant raccompagné jusqu'au pas de porte.
Y a pas à dire il sait recevoir. Souriant, généreux dans les portions et offre même à boire le tout pour un prix très bon.


 Après s'être suffisamment éloigné, Firenzo accéléra l'allure. Il aimerait réfléchir mais la brume persistante et l'état du chemin faisait qu'il devait rester vigilant jusqu'au sentier aux pavés. De là, il se permit enfin de ralentir l'allure, ouvrir sa besace pour récupérer le morceau maintenant refroidit qui lui avait été servi pour le sentir à nouveau.
 ''Hmm...'' grommela-t-il en proie au doute.
Après quelques kilomètres le cavalier s'arrêta dans une petite grotte pour allumer un feu. Il sortit une des parts crues pour la griller.
Mauvais. C'est très mauvais. Il est possible qu'il se trompe mais son instinct et ses observations concordent. Soit, allons confirmer ça. Avec une offrande.
Bien que pressé, il ne reprit la route qu'après avoir collecté une poignée de châtaignes.
Une fois reparti il ne dirigeait plus vers le Lac. Non, plus question d'aller à Dellia.
Avec ses sombres soupçons et le fait qu'il se dirigeait vers Silveberg, son appétit s'était définitivement envolé.

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